CORRESPONDANCE avec le roi de Prusse - 1743 - Partie 52

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216 – DE VOLTAIRE

 

 

A La Haye, ce 28 Octobre 1743.

 

 

Sire, vous voyagez toujours comme un aigle, et moi, comme une tortue ; mais peut-on aller trop lentement quand on quitte votre majesté ? J’arrive enfin en Hollande ; la première chose que j’y vois, c’est un papier anglais où votre Anti-Machiavel est cité à côté  de Polybe et de Xénophon. On rapporte deux pages de ce livre où vous prouvez de quel avantage sont aux princes les places fortifiées, et on fait voir quelle était la témérité des alliés de prétendre d’entrer en France.

 

 

Ainsi donc vous êtes cité

Par les auteurs comme auteur grave ;

Comme roi politique et brave,

Des rois vous êtes respecté ;

Chacun vous craint ; nul ne vous brave :

Le taciturne et froid Batave,

Amoureux de sa liberté,

Le Russe, né pour être esclave,

Ménagent votre majesté.

Vous auriez, ma foi, tout dompté

Sur le Danube et sur la Save,

Et le double cou si vanté

De l’aigle jadis redouté (1)

Eût été coupé comme rave ;

Mais vous vous êtes arrêté :

Maintenant votre main se lave

Des malheurs du monde agité ;

Pour comble de félicité,

Vous possédez dans votre cave

De ce tokai dont j’ai tâté :

Je ne puis plus rimer en ave.

 

 

         Plus je songe à Il Tito (2), à il forte, plus je me dis que Berlin est ma patrie.

 

 

Messieurs Gérard, mes chers amis,

Dépêchez, préparez ma chambre,

Un pupitre pour mes écrits,

Avec quelques flacons remplis

De ce jus divin de septembre,

Non cet ennemi du gosier

Fabriqué de la main profane

De ce Liégeois nommé Lognier ;

Je l’ai surnommé pissat d’âne,

Et je l’ai dit à haute voix ;

Je le redis, je le condamne

A n’être bu que par des rois.

J’aime mieux la simple nature

Du vin qu’on recueille à Bordeaux ;

Car je préfère la lecture

D’un écrivain sage en propos,

A ce frelate de Voiture,

Et plus encore à Marivaux.

 

CORRESPONDANCE - Frédéric de Prusse - 52 

 

 

1 – L’aigle d’Autriche. (G.A.)

 

2 – Pendant le séjour de Voltaire à Berlin, Frédéric avait fait jouer l’opéra de Métastase, la Clémence de Titus. C’est pourquoi Voltaire le salue il Tito. (G.A.)

 

 

 

 

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