CORRESPONDANCE - Année 1759 - Partie 5

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à M. le baron de Haller.

 

A Tournay, 13 Février 1759.

 

 

          Voici, monsieur, un petit certificat (1) qui peut servir à faire connaître ce Grasset pour lequel on réclame très instamment votre protection. Ce malheureux a fait imprimer à Lausanne un libelle abominable contre les mœurs, contre la religion, contre la paix des particuliers, contre le bon ordre. Il est digne d’un homme de votre probité et de vos grands talents de refuser à un scélérat une protection qui honorerait des gens de bien. J’ose compter sur vos bons offices, ainsi que sur votre équité. Pardonnez à ce chiffon de papier ; il n’est pas conforme aux usages allemands, mais il l’est à la franchise d’un Français qui vous révère plus qu’aucun Allemand.

 

          Un nommé Lervèche, ci-devant précepteur de M. Constant, est auteur d’un libelle sur feu M. Saurin. Il est ministre d’un village, je ne sais où, près de Lausanne. Il m’a écrit deux ou trois lettres anonymes sous votre nom. Tous ces gens-là sont des misérables bien indignes qu’un homme de votre mérite soit sollicité en leur faveur.

 

          Je saisis cette occasion de vous assurer de l’estime et du respect avec lesquels je serai toute ma vie, etc.

 

 

1 – Voyez une note signée Cramer. (tome IV, page 754. )(G.A.

 

 

 

 

 

AUX MAGNIFIQUES SEIGNEURS ET CURATEURS

 

DE L’ACADÉMIE DE LAUSANNE.

 

 

 

REQUÊTE.

 

 

 

          Etant informé que les professeurs de Lausanne croient devoir favoriser le sieur Darnai leur concitoyen, et Grasset l’imprimeur, je présente cette requête aux magnifiques seigneurs curateurs, et les supplie de me pardonner si elle n’est pas dans les formes que j’ignore.

 

1°/ Je déclare et proteste que dans ce libelle infâme il n’y a, de toutes les choses qu’on m’impute, aucune pièce qui soit de moi, excepté ma déclaration (1) en faveur de la famille Saurin, qui m’a prié de prendre sa défense, et qui conjure très humblement leurs excellences de daigner empêcher qu’on la couvre d’opprobre ; qu’on renouvelle encore dans des libelles anonymes des plaies faites depuis soixante et dix ans ; qu’on fasse valoir contre leur père une lettre à lui imputée, que la famille jure n’avoir jamais été écrite.

 

2°/ Les cent douze premières pages de ce libelle sont tirées, à la vérité, de pièces anonymes ramassées dans d’anciens journaux de Hollande : je ne les avais jamais lus, et je suis aussi surpris qu’indigné qu’on m’impute dans ces fatras des opinions que je n’ai jamais professées. Ces cent douze pages sont pleines d’injures que je dois pardonner, mais que le bon ordre ne peut permettre. On imprime impunément en Hollande mille scandales que le sage gouvernement de Berne ne souffre pas.

 

 

3°/ La Défense de milord Bolingbroke (2) n’est point de moi, mais d’un homme très supérieur à moi, et à qui on doit du respect. Cet écrit n’est point l’ouvrage qu’on m’avait annoncé d’abord ; et, quel qu’il soit, je me plains qu’on m’attribue ce que je déclare n’avoir point fait. Il est dit, page 26 de la partie du libelle imprimée en petits caractères, que le roi de Prusse m’a chassé de ses Etats ; cela est faux : j’en atteste sa majesté le roi de Prusse.

 

Je proteste, et je fais serment qu’une lettre à moi imputée, page 57, écrite à M. Thieriot (3) à Paris, est falsifiée, et je m’en rapporte au témoignage du sieur Thieriot. J’ajoute qu’il est contre les mœurs d’imprimer les lettres des particuliers.

 

Je persiste à dire que la prétendue lettre d’une société de Genève (4) est un libelle infâme, qu’il est défendu d’imprimer à Genève, et qui n’y a jamais paru.

 

 

          Je pourrais demander justice des injures grossières qu’on vomit contre moi dans trente pages de ce libelle, des termes de déiste et d’athée dont on ose se servir ; mais il ne m’appartient que de demander la suppression de cette infamie, et d’attendre le jugement avec confiance et respect. VOLTAIRE.

 

 

          N.B. – Deux professeurs de Lausanne, liés avec le sieur Darnai et Grasset, disent, dans leur rapport, qu’il n’y a rien dans le libelle contre l’Etat et la religion. Vraiment, on le croit bien : si le libelle était contre Dieu et l’Etat, l’auteur mériterait le dernier supplice ; mais ce libelle diffame des particuliers qui implorent la justice et la bonté des magnifiques seigneurs curateurs.

 

 

1 – Réfutation d’un écrit anonyme. Voyez ARTICLES DE JOURNAUX. (G.A.)

 

2 – Voltaire attribue ici cet opuscule à Frédéric II. (G.A.)

 

3 – Le 26 Mars 1757. (G.A.)

 

4 – En réponse à la lettre écrite à Thieriot. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Bertrand.

 

A Tournay, par Genève, 16 Février 1759.

 

 

          Mon cher ami, le voleur Grasset imprimeur du libelle diffamatoire, et le prétendu bel esprit rédacteur de cet infâme ouvrage, trouvent dans Lausanne de la protection, et surtout auprès des examinateurs de l’Académie, dont un membre est associé avec Grasset. Ils remuent ciel et terre, et font servir, selon l’usage, le prétexte de la religion pour justifier leur brigandage. Je me flatte qu’ils ne trouveront pas la même faveur auprès des esprits désintéressés, nobles, et éclairés, des seigneurs de Berne leurs maîtres. J’ai lu ce libelle déjà proscrit à Genève et en France, et dont deux ballots ont été saisis. J’envoie un nouveau Mémoire aux seigneurs avoyers et aux seigneurs curateurs, et surtout à notre respectable M. de Freudenreich. L’Académie de Lausanne lui manque formellement de respect en protégeant un libelle contre moi, malgré la bonté qu’il a eue de me recommander à Lausanne, quand il est venu dans ce pays, au nom de l’Etat. Je vous prie de lire mon Mémoire, qui est entre les mains de M. de Freudenreich, et de mettre dans cette affaire toute l’activité de votre zèle prudent et de votre amitié.

 

          Si les jésuites ont comploté, comme on l’assure, l’assassinat du roi de Portugal, ils sont un peu plus coupables que vos gens de Lausanne.

 

 

O fortunatos nimium, sua cum bona norint,

Agricolas, etc.

 

VIRG., Georg., II.

 

 

 

 

 

à M. le conseiller Tronchin.

 

Délices, 17 Février 1759 (1).

 

 

          Je ne mériterai pas avec ma nouvelle charrue la gloire que M. votre frère acquiert par le zèle et les lumières qu’il emploie dans cette étonnante affaire du fameux vol de Genève (2) ; mais je tiens que c’est un très beau métier de cultiver la terre. Je voudrais qu’il y eût à Lisbonne des juges aussi éclairés que M. votre frère, et qui tirassent au clair l’aventure des jésuites. Il est tout simple qu’ils aient encouragé un assassinat et qu’ils aient prié pour le succès de cette sainte action ; mais qu’on les ait portés en prison dans des coffres comme des ballots de linge, cela me paraît suspect, et me fait trembler pour la vérité de ce qu’on leur impute.

 

          Avouez que le roi de Prusse a le diable au corps de m’envoyer deux cents vers de sa façon, dans le temps qu’il se prépare à faire marcher deux cent mille hommes.

 

          On proposait à Amyot, précepteur de Charles IX et de Henri III, d’écrire leur Vie : Ah ! dit-il, je suis trop leur serviteur pour les faire connaître. » J’en dis autant des vers du roi de Prusse, mon disciple.

 

          Le cardinal de Bernis m’écrit qu’il n’a commencé à retrouver sa gaieté et sa santé que depuis qu’il est dans sa retraite. J’ignore encore si le prince de Soubise entre dans le conseil ; mais la chose est très vraisemblable. Je souhaite qu’il y ait dans ce conseil quelqu’un qui aime la paix autant que vous et moi.

 

 

1 – Editeurs de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Le vol de Grasset. (G.A.)

 

 

 

 

 

A FRÉDÉRIC-GUILLAUME,

 

Margrave de Bareuth.

 

Au château de Tournay, 17 Février 1759.

 

 

          Monseigneur, mon cœur remplit un bien triste devoir envoyant à votre altesse sérénissime, ainsi qu’au roi votre beau-frère, cet ouvrage (1), que ce monarque m’a encouragé de composer.

 

          Ma vieillesse, mon peu de talent, ma douleur même, ne m’ont pas permis d’être digne de mon sujet ; mais j’espère qu’au moins le dernier vers ne vous déplaira pas.

 

          Elle vous aimait, monseigneur, et, après vous, son cœur était à son frère. Ce souvenir, quoique très douloureux, vous est cher, et peut mêler quelque douceur à son amertume.

 

          Que votre altesse sérénissime daigne recevoir avec indulgence ce faible tribut d’un attachement que j’aurai jusqu’au tombeau. Puissiez-vous ajouter à de longs jours tous ceux que cette auguste princesse devait espérer de passer avec vous !

 

          Je suis avec le plus profond respect, etc.

 

 

1 – L’Ode sur la mort de la margrave de Bareuth. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Brenles.

 

A Tournay, 20 Février 1759.

 

 

          Les jésuites font donc pis que Grasset, mon cher ami, ils assassinent donc le roi (1) qu’ils ont confessé ! Que ne les jugez-vous, monsieur l’assesseur baillival ! que ne sont-ils tous au tribunal de la rue de Bourg (2) ! Voilà qui est fait, disait un vieux galant, à propos de la Brinvilliers ; si les dames se mettent à empoisonner, je n’aurai plus d’estime pour elles. Je n’en ai plus pour Grasset, ni même pour Watteville (3), et, entre nous, je ne conçois guère comment Darnai s’est associé avec le valet des Cramer décrété de prise de corps pour avoir volé ses maîtres. On me paraît très indigné à Berne contre cette manœuvre. Grasset demandait à être naturalisé, et a été refusé. Darnai demandait de l’argent, et n’en a point eu. Je sens au reste, mon cher philosophe, combien ce libelle est méprisable ; mais n’est-il pas utile de faire sentir aux prêtres qu’il ne leur est pas plus permis de farcir des libelles de leurs ordures, que d’assassiner leurs pénitentes ? Et n’est-il pas convenable que votre ami fait Suisse par vous ne soit pas outragé dans votre ville ? Mille respects à la philosophe.

 

 

1 – Joseph de Portugal. (G.A.)

 

2 – A Lausanne. (G.A.)

 

3 – L’abbé de Watteville, fameux criminel. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Bertrand.

 

A Tournay, par Genève, 20 Février 1759.

 

 

          Mon amitié est enchantée de tous les témoignages de la vôtre ; je les sens, mon cher ami, du fond de mon cœur. Le plus grand service que vous me puissiez rendre est d’entretenir souvent M. le banneret de Freudenreich de ma tendre reconnaissance. Il daigne entrer avec moi dans des détails qui me font voir à quel point je lui ai obligation. Plus il est occupé des affaires de l’Etat, plus je sens ce que je dois à l’attention dont il honore l’affaire d’un particulier. Je lui avoue que feu le ministre Saurin a mérité la corde ; mais son fils, mon ami, le plus honnête homme du monde, avocat estimé, hommes de lettres considéré, secrétaire de monseigneur le prince de Conti, mais ses sœurs et leurs enfants enveloppés dans cet opprobre, ne méritent-ils pas un peu de pitié ? Saurin, le fils infortuné d’un homme qui fit une grande faute, m’écrit des lettres qu’il trempe de ses larmes, et qui vous en feraient verser. Je suis persuadé que son état toucherait les seigneurs curateurs. D’ailleurs plusieurs personnes sont outragées dans ce libelle ; j’y suis traité en vingt endroits de déiste et d’athée. Les pièces qu’on m’y impute sont supposées. Le libelle est anonyme, sans nom de ville, sans date. Il est imprimé furtivement malgré les lois. Une balle que Grasset avait envoyée à Genève y a été saisie par ordre du magistrat  on en a usé de même à Lyon, et le lieutenant civil de Paris a averti le nommé Tilliard, correspondant de Grasset, qu’il serait puni s’il en recevait, et s’il en débitait un seul exemplaire. Ce concert unanime de tant de magistrats pour supprimer un libelle diffamatoire ne me laisse pas douter que je n’aie la même obligation aux seigneurs curateurs ; et de toutes les bontés dont on m’honore en tant d’endroits, les leurs me seront les plus sensibles. Darnai joue un bien indigne rôle dans cette affaire. Comment s’est-il associé avec un laquais des Cramer, décrété de prise de corps, à Genève, pour avoir volé ses maîtres ?

 

          Tout ceci n’est qu’une tracasserie infâme ; mais que dire des jésuites ! ils assassinent le roi qu’ils ont confessé ; ils font servir tous les mystères de la religion au plus grand des crimes. Nous verrons quelles suites aura cette étrange venture. Je vous remercie et vous embrasse tendrement.

 

 

 

 

1759 - Partie 5

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