CORRESPONDANCE - Année 1757 - Partie 13
Photo de PAPAPOUSS
à M. le comte d’Argental.
Aux Délices, 19 Août 1757.
Je commence, mon cher ange, par vous dire que Tronchin s’est trompé sur les eaux de Plombières, et que j’en suis très aise. J’avais pris la liberté d’écrire à madame d’Argental contre les eaux, et je me rétracte ; mais à l’égard des eaux d’Aix-la-Chapelle, je trouve que ce serait au duc de Cumberland à les prendre, et non pas au maréchal d’Estrées. Il vient de gagner une bataille ; il faut que M. de Richelieu en gagne deux, s’il veut qu’on lui pardonne d’avoir envoyé aux eaux un général heureux. A l’égard du roi de Prusse, l’affaire n’est pas finie, il s’en faut beaucoup. Il est encore maître absolu de la Saxe ; et si les Anglais envoient quinze mille hommes à Stade, l’armée de France peut se trouver dans une position embarrassante. Je me hâte de quitter cet article pour venir à celui de Fanime. Je vous avoue que je ne suis guère en train à présent de rapetasser une tragédie amoureuse, et que le czar Pierre a un peu la préférence. Comment voulez-vous que je résiste à sa fille ? Il ne s’agit pas ici de redire ce qui s’est passé aux batailles de Narva et de Pultava ; il s’agit de faire connaître un empire de deux mille lieues d’étendue, dont à peine on avait entendu parler il y a cinquante ans. Il me semble que ce n’est pas une entreprise désagréable de crayonner cette création nouvelle ; c’est un beau spectacle de voir Petersbourg naître au milieu d’une guerre ruineuse, et devenir une des plus belles et des plus grandes villes du monde ; de voir des flottes où il n’y avait pas une barque de pêcheur, des mers se joindre, des manufactures se former, les mœurs se polir, et l’esprit humain s’étendre.
J’ai au bord de mon lac un Russe (1) qui a été un des ministres de Pierre-le-Grand dans les cours étrangères. Il a beaucoup d’esprit, il sait toutes les langues, et m’apprend bien des choses utiles. J’ai vu chez moi des jeunes gens nés en Sibérie : il y en a un que j’ai pris pour un petit-maître de Paris. C’est donc, mon cher ange, ce vaste tableau de la réforme du plus grand empire de la terre qui est l’objet de mon travail. Il n’importe pas que le czar se soit enivré, et qu’il ait coupé quelques têtes au fruit ; il importe de connaître un pays qui a vaincu les Suédois et les Turcs, donné un roi à la Pologne, et qui venge la maison d’Autriche. On me fait copier les archives, on me les envoie. Cette marque de confiance mérite que j’y sois sensible. Je n’ai à craindre d’être ni satirique ni flatteur, et je ferai bien tout mon possible pour ne déplaire ni à la fille de Pierre-le-Grand ni au public. Je me suis laissé entraîner à me justifier auprès de vous sur cet ouvrage que j’entreprends, qui convient à mon âge, à mon goût, aux circonstances où je me trouve. Une autre fois je vous parlerai au long de cette pauvre Fanime ; mais je crois qu’il faut laisser oublier le grand succès de l’Iphigénie en Tauride. Mes Russes prirent la Tauride il y a dix-huit ans. Adieu, mon divin ange ; je vous embrasse mille fois.
1 – De Wetslof. (G.A.)
à M. le maréchal duc de Richelieu.
Aux Délices, 21 Août 1757.
Mon héros, c’est en tremblant que je vous écris. Je n’aurais pas été peut-être importun à Strasbourg, mes lettres peuvent l’être quand vous êtes à la tête de votre armée. Je vous jure que, sans la maladie de ma nièce, j’aurais assurément fait le voyage Je voudrais vous suivre à Magdebourg, car je m’imagine que vous l’assiégerez. Il y a plus de quatre mois que j’eus l’honneur de vous mander qu’on en viendrait là. Je ne prévoyais pas alors que ce serait vous qui vous mesureriez contre le roi de Prusse ; mais vous savez avec quelle ardeur je le souhaitais. Vous irez peut-être à Berlin, et d’Argens viendra au-devant de vous.
Sérieusement, vous voilà chargé d’une opération aussi brillante qu’en ait jamais fait le maréchal de Villars. Je vous connais, vous ne traiterez pas mollement cette affaire-là ; et, soit que vous ayez en tête le duc de Cumberland, soit que vous vous adressiez au roi de Prusse, il est certain que vous agirez avec la plus grande vigueur. Je ne sais pas ce que c’est que la dernière victoire remportée sur le duc de Cumberland (1) ; j’ignore si c’est une grande bataille, si les ennemis avaient assez de forces, si les Anglais viennent ajouter quinze mille hommes aux Hanovriens ; mais ce que je sais, c’est que vous êtes dans la nécessité de faire quelque chose d’éclatant, et que vous le ferez.
Permettez que je vous parle du commissaire du roi pour les domaines des pays conquis ; c’est un M. de Laporte, qui sera sans doute chargé plus d’une fois de vos ordres. J’espère que vous en serez très content. Vous le trouverez très empressé à vous obéir.
Je fais, dans ma retraite, mille vœux pour vos succès, pour votre gloire, pour votre retour triomphant.
Favori de Vénus, de Minerve, et de Mars, soyez aussi heureux que le souhaitent votre ancien courtisan le Suisse Voltaire et sa nièce.
1 – Celle de Hastembeck. (G.A.)
à M. l’abbé d’Olivet.
Aux Délices, 22 Août 1757.
Un Cramer, mon cher maître, m’a dit de vos nouvelles, que vous vous portiez mieux que jamais, que vous vous souvenez encore de moi, et que vous voulez que j’envoie mon maigre visage pour mettre à côté de votre grosse face. Tout cela est-il vrai ? et ma physionomie ne sera-t-elle point de contrebande ? Que faites-vous de tant de portraits ? bientôt le Louvre ne les contiendra pas. Portez-vous bien et conservez-vous, voilà le grand point ; c’est peu de chose d’exister en peinture. Si j’avais un portrait de Cicéron, je l’encadrerais avec le vôtre (1). Mais, pour moi, je ne serai tout au plus qu’avec Campistron ou Crébillon. Dites-moi, je vous prie, si, révérence parler, vous n’êtes pas notre doyen (2). Il me semble que cette sublime dignité roule entre M. le maréchal de Richelieu et vous.
J’ai bien une autre question à vous faire. Olivet n’est-il pas dans mon voisinage près de Saint-Claude ? N’allez-vous jamais chez vous ? ne pourrait-on pas espérer de vous voir dans mon ermitage des Délices ? je mourrais content. Interim vale, et tuum discipulum ama.
1 – D’Olivet a traduit Cicéron. (G.A.)
2 – A l’Académie française. (G.A.)
à Madame la margrave de Bareuth.
Août.
Madame, mon cœur est touché plus que jamais de la bonté et de la confiance que votre altesse royale daigne me témoigner (1). Comment ne serais-je pas attendri avec transport ! Je vois que c’est uniquement votre belle âme qui vous rend malheureuse. Je me sens né pour être attaché avec idolâtrie à des esprits supérieurs et sensibles qui pensent comme vous. Vous savez combien, dans le fond, j’ai toujours été attaché au roi votre frère. Plus ma vieillesse est tranquille, plus j’ai renoncé à tout plus je me suis fait une patrie de la retraite, et plus je suis dévoué à ce roi philosophe. Je ne lui écris rien que je ne pense du fond de mon cœur, rien que je ne croie très vrai ; et si ma lettre (2) paraît convenable à votre altesse royale, je la supplie de la protéger auprès de lui comme les précédentes.
Votre altesse royale trouvera dans cette lettre des choses qui se rapportent à ce qu’elle a pensé elle-même. Quoique les premières insinuations pour la paix n’aient pas réussi, je suis persuadé qu’elles peuvent enfin avoir du succès. Permettez que j’ose vous communiquer une de mes idées. J’imagine que le maréchal de Richelieu serait flatté qu’on s’adressât à lui. Je crois qu’il pense qu’il est nécessaire de tenir une balance, et qu’il serait fort aise que le service du roi son maître s’accordât avec l’intérêt de ses alliés et avec les vôtres. Si, dans l’occasion, vous vouliez le faire sonder, cela ne serait pas difficile. Personne ne serait plus propre que M. de Richelieu à remplir un tel ministère. Je ne prends la liberté d’en parler, madame, que dans la supposition que le roi votre frère fût obligé de prendre ce parti ; et j’ose vous dire qu’en ce cas il vous aurait beaucoup d’obligation, quand même les conjonctures le forceraient à faire des sacrifices. Je hasarde cette idée, non pas comme une proposition, encore moins comme un conseil, il ne m’appartient pas d’oser en donner, mais comme un simple souhait qui n’a sa source que dans mon zèle.
1 – Voltaire lui avait écrit une lettre de condoléances sur la défaite de Frédéric II. Elle lui avait fait une réponse toute d’abandon, accompagnée d’un billet du roi. (G.A.)
2 – On n’a pas cette lettre. (G.A.)
à M. le maréchal duc de Richelieu.
(A VOUS SEUL.)
Mon héros, vous avez vu et vous avez fait des choses extraordinaires. En voici une qui ne l’est pas moins, et qui ne vous surprendra pas. Je le confie à vos bontés pour moi, à vos intérêts, à votre prudence, à votre gloire.
Le roi de Prusse s’est remis à m’écrire avec quelque confiance. Il me mande qu’il est résolu de se tuer, s’il est sans ressource ; et madame la margrave sa sœur m’écrit qu’elle finira sa vie, si le roi son frère finit la sienne. Il y a grande apparence qu’au moment où j’ai l’honneur de vous écrire, le corps d’armée de M. le prince de Soubise est aux mains avec les Prussiens. Quelque chose qui arrive, il y a encore plus d’apparence que ce sera vous qui terminerez les aventures de la Saxe et du Brandebourg, comme vous avez terminé celles de Hanovre et de la Hesse. Vous courez la plus belle carrière où on puisse entrer en Europe ; et j’imagine que vous jouirez de la gloire d’avoir fait la guerre et la paix.
Il ne m’appartient pas de me mêler de politique, et j’y renonce comme aux chars des Assyriens ; mais je dois vous dire que, dans ma dernière lettre à madame la margrave de Bareuth, je n’ai pu m’empêcher de lui laisser entrevoir combien je souhaite que vous joigniez la qualité d’arbitre à celle de général. Je me suis imaginé que, si l’on voulait tout remettre à la bonté et à la magnanimité du roi, il vaudrait mieux qu’on s’adressât à vous qu’à tout autre ; en un mort, j’ai hasardé cette idée sans la donner comme conjecture ni comme conseil, mais simplement comme un souhait qui ne peut compromettre ni ceux à qui ont écrit, ni ceux dont on parle ; et je vous en rends compte sans autre motif que celui de vous marquer mon zèle pour votre personne et pour votre gloire. Vous n’ignorez pas que madame de Bareuth a voulu déjà entamer une négociation qui n’a eu aucun succès ; mais ce qui n’a pas réussi dans un temps peut réussir dans un autre, et chaque chose a son point de maturité. Je n’ajoute aucune réflexion ; je crois seulement devoir vous dire que, dans le cas où l’on puisse résoudre le roi de Prusse à remettre tout entre vos mains, ce ne sera que par madame la margrave sa sœur qu’on pourra y réussir.
J’espère que ma lettre ne sera pas prise par des housards prussiens ou autrichiens ; je ne signe ni ne date. Vous connaissez mon ermitage ; j’ose vous supplier de m’écrire seulement quatre mots qui m’instruisent que vous avez reçu ma lettre.
J’ai eu l’honneur de mettre sous votre protection une lettre (1) pour madame la duchesse de Saxe-Gotha. Plus d’une armée mange son pauvre pays, et, tout galant que vous êtes, vous y avez quelque part. Vous ne pouvez toujours contenter toutes les dames.
Permettez que j’ajoute que vous avez parmi vos aides-de-camp un comte de Divonne (2), mon voisin, qu’on dit très aimable, et très empressé à vous bien servir. Vous êtes très bien en médecins et en aides-de-camp. Ils sont bien heureux. Que ne puis-je, comme eux, être à portée de voir mon héros !
1 – L’idée de M. de Voltaire fut adoptée, comme on le voit par les lettres suivantes ; et elle aurait épargné de très grands malheurs à la France, si elle eût produit à la cour l’effet qu’on pouvait raisonnablement en attendre.
Lettre de S.M. le Roi de Prusse à M. le maréchal de Richelieu.
A Rote, le 6 Septembre 1757.
Je sens, monsieur le duc, que l’on ne vous a pas mis dans le poste où vous êtes pour négocier ; je suis cependant très persuadé que le neveu du grand cardinal de Richelieu est fait pour signer des traités comme pour gagner des batailles. Je m’adresse à vous par un effet de l’estime que vous inspirez à ceux qui ne vous connaissent pas même particulièrement. Il s’agit d’une bagatelle, monsieur, de faire la paix, si on le veut bien. J’ignore quelles sont vos instructions ; mais, dans la supposition qu’assuré de la rapidité de vos progrès, le roi votre maître vous aura mis en état de travailler à la pacification de l’Allemagne, je vous adresse M. Delchetet dans lequel vous pouvez prendre une confiance entière. Quoique les événements de cette année ne devraient pas me faire espérer que votre cour conserve encore quelque disposition favorable pour mes intérêts, je ne puis cependant me persuader qu’une liaison, qui a duré seize année, n’ait pas laissé quelque trace dans les esprits ; peut-être que je juge des autres par moi-même. Quoi qu’il en soit enfin, je préfère de confier mes intérêts au roi votre maître plutôt qu’à tout autre. Si vous n’avez, monsieur, aucune instruction relative aux propositions que je vous fais, je vous prie d’en demander, et de m’informer de leur teneur. Celui qui a mérité des statues à Gênes, celui qui a conquis l’île de Minorque, malgré des obstacles immenses, celui qui est sur le point de subjuguer la Basse-Saxe, ne peut rien faire de plus glorieux que de travailler à rendre la paix à l’Europe. Ce sera, sans contredit, le plus beau de vos lauriers. Travaillez-y, monsieur, avec cette activité qui vous fait faire des progrès si rapides, et soyez persuadé que personne ne vous en aura plus de reconnaissance, monsieur le duc, que votre fidèle ami. FRÉDÉRIC.
Réponse de M. le maréchal de Richelieu au roi de Prusse.
Quelque supériorité que votre majesté ait en tout genre, il y aurait peut-être beaucoup à gagner pour moi de négocier, plutôt qu’à combattre vis-à-vis un héros tel que votre majesté. Je crois que je servirais le roi mon maître d’une façon qu’il préférerait à des victoires, si je pouvais contribuer au bien d’une paix générale. Mais j’assure votre majesté que je n’ai ni instructions ni notions sur les moyens d’y pouvoir parvenir.
Je vais envoyer un courrier pour rendre compte des ouvertures que votre majesté veut bien me faire, et j’aurai l’honneur de lui rendre la réponse de l’affaire dont je suis convenu avec M. Delchetet.
Je sens, comme je le dois, tout le prix des choses flatteuses que je reçois d’un prince qui fait l’admiration de l’Europe, et qui, si j’ose le dire, a fait encore plus la mienne particulière. Je voudrais bien au moins pouvoir mériter ses bontés en le servant dans le grand ouvrage qu’il paraît désirer, et auquel il croit que je peux contribuer ; je voudrais surtout pourvoir lui donner des preuves du profond respect avec lequel je suis, etc. (K.)
2 –Divonne est une commune située entre Prangins et Gex. (Clogenson.)
à Madame de Fontaine.
Aux Délices, 27 Août 1757.
Ma chère enfant, je vous avoue que je suis fâché de faire venir des tableaux et des glaces pour Lausanne ; j’aimerais mieux les placer à Hornoy ; mais me voilà Suisse pour le reste de ma vie. Madame Denis a voulu une belle maison à Lausanne ; les Délices s’embellissent tous les jours. Nous jouons la comédie à Lausanne ; on nous la donne aux portes de Genève. On représenta hier Alzire, et, quand j’arrivai, tous les Génevois me reçurent avec des battements de mains. Il n’y a pas moyen de quitter ces hérétiques-là. Quand, avec son âge, il ne faut plus songer qu’à mourir tranquille, et tous les lieux doivent être égaux.
Je n’ai point de messe en musique, comme La Popelinière ; je n’ai point un trio de complaisantes ; mais je m’accommode assez de ma médiocrité ; on peut être heureux sans être roi ni fermier-général.
Le bruit court, dans notre Suisse, que M. le prince de Conti (1) veut faire revivre ses droits sur le comté de Neufchâtel. En effet, il était le légitime héritier ; et c’est une province que le roi de Prusse pourrait perdre. Vos Français sont dans Hanovre ; j’espère qu’ils souperont à Berlin en 1758, au plus tard.
1 – Louis-François de Bourbon, prince de Conti, mort en 1776. (G.A.)
à M. de Brenles.
Aux Chêne, le 1er septembre 1757.
Mais, mon cher embaucheur, savez-vous qu’il est fort dur d’être à Lausanne quand vous n’y êtes point ! Vous faites des enfants et vous ne m’en dites mot ; vous m’avez débauché et vous me laissez là. Notre bailli est bien plus honnête que vous ; il est venu voir la comédie auprès de Genève. Il y a mené sa fille et sa nièce. Il a dîné aux Délices, et vous nous méprisez positivement. Mille tendres respects à madame de Brenles, mille souhaits pour le petit.
Je vous embrasse en vous grondant.
à M. le conseiller Tronchin.
Au Chêne, à Lausanne, 2 Septembre (1).
Je vous dirai que dans une lettre de Vienne, du 24 Août, nous lisons ces paroles : « Nous recevons la confirmation d’une glorieuse victoire remportée par le colonel James à Landshut, en Silésie, avec cinq ou six bataillons contre huit mille Prussiens, commandés par deux généraux. La perte de l’ennemi passe trois mille hommes ; tandis que la nôtre, ce qui est peu croyable, mais ce qui est très vrai, n’est que de dix-sept morts et de quatre-vingt-un blessés. »
Cette nouvelle a besoin, dans mon Eglise, d’un nouveau sacrement de confirmation. Or, mes amis, ouvrez les yeux et les oreilles. Le roi de Prusse m’écrit « qu’il ne doute pas que je ne me sois intéressé à ses succès et à ses malheurs, et qu’il lui reste à vendre cher sa vie, etc. » La margrave de Bareuth m’écrit une lettre lamentable, et je suis actuellement occupé à consoler l’un et l’autre. Je ne hais pas ces petites révolutions ; elles amusent et elles exercent : elles affermissent la philosophie.
1 – Editeurs de Cayrol et A. François. (G.A.)
à M. Bertrand.
Lausanne, 4 Septembre. (Part le 6.).
Plus la robe dont vous me parlez, monsieur, est salie ailleurs (1), plus la vôtre est pure. Je conseille aux gens en question de faire laver la leur, mais je ne gâterai pas la mienne en me frottant à eux. La robe royale est plus dangereuse encore ; elle est trop souvent ensanglantée. S’il y a quelques nouvelles touchant les barbaries du meilleur des mondes possibles, vous me ferez un grand plaisir de soulager un peu ma curiosité. Vous ne me parlez point de la réponse que vous m’aviez annoncée dans votre précédente. Je vous demande en grâce de me dire si elle paraîtra ; et, en cas qu’elle paraisse, je vous supplie instamment de faire ajouter que je n’ai aucune connaissance de cette dispute historique et critique, et que la lettre (2) qui m’est attribuée dans le Mercure de France, et sur laquelle cette dispute est fondée, n’est point du tout conforme à l’original. Ce que je vous dis est la pure et l’exacte vérité ; en un mot, n’étant point de la paroisse, je ne dois pas entrer dans les querelles des curés.
Je suis très fâché de la destitution de M. de Paulmi ; plût à Dieu qu’il fût resté en Suisse : Il aurait écrit des lettres intelligibles et agréables.
Mille tendres respects à M. et madame de Freudenreich. Si vous voyez M. l’avoyer Steiger, je vous supplie de lui dire que madame de Fontaine lui fait ses compliments, et que je lui présente mon respect.
Je vous embrasse, mon cher philosophe, du meilleur de mon cœur.
1 – A Genève. C’est une allusion à Vernet, auteur d’une Lettre contre le jugement porté sur Calvin dans l’Essai sur les mœurs. (G.A.)
2 – La lettre à Thieriot du 26 Mars. (G.A.)