CORRESPONDANCE - Année 1751 - Partie 7

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 Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

A Potsdam, le 27 Avril 1751.

 

 

          Mon cher ange, j’apprends que vous avez perdu mademoiselle Guichard (1). Vous ne m’en dites rien : vous ne me confiez jamais vos plaisirs ni vos peines, comme si je ne les partageais pas, comme si trois cents lieues étaient quelque chose pour le cœur, et pouvaient affaiblir les sentiments. Voilà donc cette pauvre petite fleur, si souvent battue par la grêle, à la fin coupée pour jamais ! Mon cher ange, conservez bien madame d’Argental ; c’est une fleur d’une plus belle espèce et plus forte ; mais elle a été exposée bien des années à un mauvais vent. Mandez-moi donc comment elle se porte. Aurez-vous votre Porte-Maillot cette année ? Vous me direz que je devrais bien venir vous y voir ; sans doute, je le devrais et je le voudrais ; mais ma Porte-Maillot est à Potsdam et à Sans-Souci. J’ai toutes mes paperasses, il faut finir ce que l’on a commencé. J’ai regardé le caractère d’historiographe comme indélébile. Mon Siècle de Louis XIV avance. Je profite du peu de temps que ma mauvaise santé peut me laisser encore pour achever ce grand bâtiment dont j’ai tous les matériaux. Ne suis-je pas un bon Français ? N’est-il pas bien honnête à moi de faire ma charge quand je ne l’ai plus ?

 

          Potsdam est plus que jamais un mélange de Sparte et d’Athènes. On y fait tous les jours des revues et des vers. Les Algarotti et les Maupertuis y sont. On travaille, on soupe ensuite gaiement avec un roi qui est un grand homme de bonne compagnie. Tout cela serait charmant ; mais la santé ! Ah ! la santé, et vous, mon cher ange, vous me manquez absolument. Quel chien de train que cette vie ! Les uns souffrent, les autres meurent à la fleur de leur âge ; et pour un Fontenelle, cent Guichard. Allons toujours pourtant ; on ne laisse pas d’avoir quelques roses à cueillir dans ce champ d’épines. Monsieur sort tous les jours, sans doute à quatre heures ; monsieur va aux spectacles, et porte ensuite à souper sa joie douce et son humeur égale ; et moi, tel j’étais, tel je suis, tenant mon ventre à deux mains, et ensuite ma plume ; souffrant, travaillant, soupant, espérant toujours un lendemain moins tourmenté de maux d’entrailles, et trompé dans mon lendemain. Je vous le dis encore, sans ces maux d’entrailles, sans votre absence, le pays où je suis serait mon paradis. Etre dans le palais d’un roi, parfaitement libre du matin au soir ; avoir abjuré les dîners trop brillants, trop considérables, trop malsains ; souper, quand les entrailles le trouvent bon, avec ce roi philosophe ; aller travailler à son Siècle, dans une maison de campagne dont une belle rivière baigne les murs ; tout cela serait délicieux, mais vous me gâtez tout. On dit que je n’ai pas grand’chose à regretter à Paris en fait de littérature, de beaux-arts, de spectacle, et de goût. Quand vous ne me croirez pas de trop à Paris, avertissez-moi, et j’y ferai un petit tour, mais après la clôture de mon Siècle, s’il vous plaît. C’est un préliminaire indispensable.

 

          Adieu ; je vous écris en souffrant comme un diable, et en vous aimant de tout mon cœur. Adieu ; mille tendres respects et autant de regrets pour tout ce qui vous entoure.

 

 

1 – Eléonore Guichard, née vers 1719. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Formey.

A Potsdam, le 30 Avril (si je ne me trompe).

 

 

          Il me paraît, monsieur, qu’il y a dans l’ouvrage (1) que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer beaucoup d’images qui caractérisent un homme de génie, et des beautés qui décèlent un homme de goût. Peut-être faudrait-il encore un peu de travail pour rendre la pièce digne de son auteur, qui me paraît avoir bien du mérite. Les vers exigent une correction et une précision dont la difficulté m’effraie toujours.

 

          M. Darget m’a dit que vous vous souvenez toujours de moi avec bonté ; pour moi, je me souviens de vous avec reconnaissance.

 

          J’ai à vous un gros tome que je vous renverrai à la première occasion, et que je voudrais bien vous apporter moi-même. J’ai grande envie de me trouver entre vous et M. de Jarrige (2) ; on apprend plus dans votre conversation que dans les livres. Je vous supplie d’assurer M. de Jarrige des sentiments que je vous conserverai toujours pour lui. Interim vale, tuus sum.

 

 

1 – Il s’agissait d’une pièce de poésie de M. Mallet qui allait à Copenhague pour succéder à La Beaumelle. (Note de Formey.)

 

2 – Alors secrétaire de la classe de philosophie à l’Académie de Berlin. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

Le 4 Mai 1751.

 

 

          Mon cher ange, le roi de Prusse, tout roi et tout grand homme qu’il est, ne diminue point le regret que j’ai de vous avoir perdu. Chaque jour augmente ces regrets ; ils sont bien justes. J’ai quitté la plus belle âme du monde, et le chef de mon conseil, mon ami, ma consolation. On a quatre jours à vivre ; est-ce auprès des rois qu’il faut les passer ? J’ai fait un prime crime envers l’amitié. Jamais on n’a été plus coupable ; mais, mon cher ange, encore une fois, daignez entrer dans les raisons de votre esclave fugitif. Etait-il bien doux d’être écrasé par ceux qui se disent dévots, d’être sans considération auprès de ceux qui se disent puissants, et d’avoir toujours des rivaux à craindre ? Ai-je fort à me louer de vos confrères du parlement ? ai-je de grandes obligations aux ministres ? et qu’est-ce qu’un public bizarre qui approuve et qui condamne tout de travers ? et qu’est-ce qu’une cour qui préfère Bellecour à Lekain, Coypel à Vanloo, Royer (1) à Rameau ? n’est-il pas bien permis de quitter tout cela pour un roi aimable, qui se bat comme César, qui pense comme Julien, et qui me donne vingt mille livres de rente et des honneurs pour souper avec lui ? A Paris, je dépendrais d’un lieutenant de police ; à Versailles, je serais dans l’antichambre de M. Mesnard. Malgré tout cela, mon cœur me ramènera toujours vers vous ; mais il faut que vous ayez la bonté de me préparer les voies. J’avoue que, si je suis pour vous une maîtresse tendre et sensible, je suis une coquette pour le public, et je voudrais être un peu désiré. Je ne vous parlerai point d’une certaine tragédie d’Oreste, plus faite pour des Grecs que pour des Français ; mais il me semble qu’on pourrait reprendre cette Sémiramis que vous aimiez, et dont M. l’abbé de Chauvelin était si content.

 

          Puisque j’ai tant fait que de courir la carrière épineuse du théâtre, n’est-il pas un peu pardonnable de chercher à y faire reparaître ce que vous avez approuvé ? Les spectacles contribuent plus que toute autre chose, et surtout plus que du mérite, à ramener le public, du moins la sorte de public qui crie. J’espère que le Siècle de Louis XIV ramènera les gens sérieux, et n’éloignera pas de moi ceux qui aiment les arts et leur patrie. Je suis si occupé de ce Siècle, que j’ai renoncé aux vers et à tout commerce, excepté vous et madame Denis. Quand je dis que j’ai renoncé aux vers, ce n’est qu’après avoir refait une oreille à Zulime et à Adélaïde. Savez-vous bien que mon Siècle est presque fait, et que lorsque j’en aurai fait transcrire deux bonnes copies, je revolerai vers vous ? C’est, ne vous déplaise, un ouvrage immense. Je le reverrai avec des yeux sévères ; je m’étudierai surtout à ne rendre jamais la vérité odieuse et dangereuse. Après mon Siècle, il me faut mon ange. Il me reverra plus digne de lui. Mes tendres respects à la Porte-Maillot. Voyez-vous quelquefois M. de Mairan ? voulez-vous bien le faire souvenir de moi ? Son ennemi (2) est un homme un peu dur, médiocrement sociable, et assez baissé ; mais point de vérité odieuse. Valete, o cari !

 

 

1 – Mauvais musicien qui, au lieu de Rameau, mit Pandore en musique. (G.A.)

 

2 – Maupertuis, qui avait voulu jadis enlever à Mairan la place de secrétaire de l’Académie des sciences. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Devaux.

A Potdsam, le 8 Mai 1751.

 

 

          Mon cher Panpan (car il n’y a pas moyen d’oublier le nom sous lequel vous étiez si aimable), le jour même que je reçus vos ordres de servir votre ami (prière est ordre en ce cas), je courus chez un prince, et puis chez un autre, et les places étaient prises. J’écrivis le lendemain à la sœur (1) d’un héros, à la digne sœur du Marc-Aurèle du Nord, pour savoir si elle avait besoin de quelqu’un d’aimable, qui fût à la fois de bonne compagnie et de service. Point de décision encore. Je comptais ne vous écrire que pour vous envoyer quelque brevet signé Wilhelmine, pour votre ami ; mais, puisqu’on tarde tant, je ne peux pas tarder à vous remercier de vous être souvenu de moi.

 

          Quand vous recevrez une seconde lettre de moi, ce sera sûrement l’exécution de vos volontés, et M. de Liébaud pourra partir sur-le-champ. Si je ne vous écris point, c’est qu’il n’y aura rien de fait.

 

          Mon cher Panpan, mettez-moi, je vous prie, aux pieds de la plus aimable veuve (2) des veuves. Je ne l’oublierai jamais, et quand je retournerai en France, elle sera cause assurément que je prendrai ma route par la Lorraine. Vous y aurez bien votre part, mon cher et ancien ami. Je viendrai vous prier de me présenter à votre Académie.

 

          Notre séjour à Potsdam est une Académie perpétuelle. Je laisse le roi faire le Mars tout le matin, mais le soir il fait l’Apollon, et il ne paraît pas à souper qu’il ait exercé cinq ou six mille héros de six pieds ; ceci est Sparte et Athènes ; c’est un camp et le jardin d’Epicure ; des trompettes et des violons, de la guerre et de la philosophie. J’ai tout mon temps à moi ; je suis à la cour, je suis libre ; et, si je n’étais pas entièrement libre, ni une énorme pension, ni une clef d’or qui déchire la poche, ni un licou qu’on appelle cordon d’un ordre, ni même les soupers avec un philosophe qui a gagné cinq batailles, ne pourraient me donner un grain de bonheur. Je vieillis, je n’ai guère de santé, et je préfère d’être à mon aise avec mes paperasses, mon Catilina, mon Siècle de Louis XIV, et mes pilules, aux soupers des rois, et à ce qu’on appelle honneurs et fortune. Il s’agit d’être content, d’être tranquille ; le reste est chimère. Je regrette mes amis, je corrige mes ouvrages, et je prends médecine. Voilà ma vie, mon cher Panpan. S’il y a quelqu’un par hasard dans Lunéville qui se souvienne du solitaire de Potsdam, présentez mes respects à ce quelqu’un.

 

          Il a été un temps où tout ce qui porte le nom de Beauvau (3) me prenait sous sa protection ; ce temps est-il absolument passé ? madame la marquise de Boufflers daigne-t-elle me conserver quelques bontés ? serait-elle bien aise de me revoir à sa cour ? serait-elle assez bonne de dire au roi de Pologne, qui ne s’en souciera peut-être guère, que je serai toute ma vie pénétré des bontés et des vertus de sa majesté ? C’est le meilleur des rois, car il fait tout le bien qu’il peut faire.

 

          Adieu, mon très cher Panpan. Aimez toujours les vers, et n’aimez que les bons ; et conservez quelque bonne volonté pour un homme qui a toujours été enchanté de votre caractère. Vale et me ama.

 

 

1 – Wilhelmine, margrave de Bareuth. (G.A.)

 

2 – Madame de Boufflers. (G.A.)

 

3 – Madame de Boufflers était une Beauvau. (G.A.)

 

 

 

 

 

à la duchesse Louis-Dorothée de Saxe-Gotha.

A Berlin, ce 23 mai 1751. (1)

 

 

          Madame, votre altesse sérénissime daignera-t-elle accepter le tribut qu’un homme, qui lui est peut-être inconnu, ose mettre à ses pieds ? Monseigneur le prince votre fils, à qui j’ai quelquefois fait ma cour à Paris, me servira de protecteur auprès de votre altesse sérénissime. J’avais la plus forte passion de me présenter dans votre cour en allant à Berlin, et d’admirer de près les vertus d’une mère si respectable ; je ne me console point de n’avoir pu jouir de cet honneur, et de celui d’approcher encore de monseigneur le prince de Gotha, que j’ai vu donner à Paris de si grandes espérances.

 

          Je ne prendrais pas la liberté de présenter à votre altesse sérénissime ce recueil qu’on a fait à Dresde de mes ouvrages (2) ; si cet exemplaire n’était, par sa singularité, digne de tenir une place dans une bibliothèque. Il y a plus de deux cents pages corrigées par ma main, ou réimprimées. Il n’y a que trois exemplaires au monde de cette espèce. J’ai cru remplir mon devoir en envoyant un de ces exemplaires à madame la princesse royale de Pologne, et en mettant l’autre à vos pieds. J’ose me flatter, madame, de votre indulgence et de votre bonté.

 

          Je suis avec le plus profond respect, madame, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – L’édition de 1748. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte Algarotti.

Le...

 

 

Ducite ab urbe domum, mea carmina, ducite Daphnin.

 

VIRG., ecl. VIIII, v. 68.

 

 

          Se ella è ammalata, compiango ; se sta bene, me ne rallegro ; se si trastulla, lodo ; se si ferma in Berlino, fa bene ; se ella ritorna al nostro monastero, farà gran piacere ai frati, e mi porgerà una gran consolazione. Ma comunque si sia del come e del perchè, la prego, di rimandarmi le bagatelle istoriche, le quali ha portate seco a Berlino. Intanto bacio le leggiadre mani che scrivono, che toccano le più delicate cose.

 

 

Adieu, belle fleur d’Italie,

Transplantée aux climats des géants grenadiers ;

Revenez, mêlez-vous aux forêts de lauriers

Que fait croître en ces lieux l’Apollon des guerriers ;

Quelle terre par vous ne serait embellie !

 

 

          Voulez-vous bien avoir la bonté de faire souvenir de moi l’estomac de milord et milady Tyrconnell, la poitrine de M. le maréchal Keith, les uretères de M. le comte de Rothembourg ? Je me flatte que, par un si beau temps, il n’y aura plus de malade que moi.

 

1751 - Partie 7

 

 

 

 

 

 

 

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