CORRESPONDANCE - Année 1746 - Partie 9

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à M. le comte de Tressan

A Paris, ce 21 Août 1746.

 

 

         Je dois passer, monsieur, dans votre esprit, pour un ingrat et pour un paresseux. Je ne suis pourtant ni l’un ni l’autre ; je ne suis qu’un malade dont l’esprit est prompt et la chair très infirme. J’ai été, pendant un mois entier, accablé d’une maladie violente, et d’une tragédie qu’on me faisait faire pour les relevailles de madame la dauphine. C’était à moi naturellement de mourir, et c’est madame la dauphine qui est morte, le jour que j’avais achevé ma pièce. Voilà comme on se trompe dans tous ses calculs !

 

         Vous ne vous êtes assurément pas trompé sur Montaigne. Je vous remercie bien, monsieur, d’avoir pris sa défense. Vous écrivez plus purement que lui, et vous pensez de même. Il semble que votre portrait, par lequel vous commencez, soit le sien. C’est votre frère que vous défendez, c’est vous-même. Quelle injustice criante de dire que Montaigne n’a fait que commenter les anciens ! Il les cite à propos, et c’est ce que les commentateurs ne font pas. Il pense, et ces messieurs ne pensent point. Il appuie ses pensées de celles des grands hommes de l’antiquité ; il les juge, il les combat, il converse avec eux, avec son lecteur, avec lui-même ; toujours original dans la manière dont il présente les objets, toujours plein d’imagination, toujours peintre, et, ce que j’aime, toujours sachant douter. Je voudrais bien savoir, d’ailleurs, s’il a pris chez les anciens tout ce qu’il dit sur nos modes, sur nos usages, sur le Nouveau-Monde découvert presque de son temps, sur les guerres civiles dont il était le témoin, sur le fanatisme des deux sectes qui désolaient la France. Je ne pardonne à ceux qui s’élèvent contre cet homme charmant, que parce qu’ils nous ont valu l’apologie que vous avez bien voulu en faire.

 

         Je suis bien édifié de savoir que celui qui veille sur nos côtes (1) est entre Montaigne et Epictète. Il y a peu de nos officiers qui soient en pareille compagnie. Je m’imagine que vous avez aussi celle de votre ange gardien, que vous m’avez fait voir à Versailles. Cette Michelle et ce Michel Montaigne sont de bonnes ressources contre l’ennui. Je vous souhaite, monsieur, autant de plaisir que vous m’en avez fait.

 

         Je ne sais si la personne à qui vous avez envoyé votre dissertation également instructive et polie, osera imprimer sa condamnation. Pour moi, je conserverai chèrement l’exemplaire que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer. Pardonnez-moi encore une fois, je vous en supplie, d’avoir tant tardé à vous en faire mes tendres remerciements. Je voudrais en vérité passer une partie de ma vie à vous voir et à vous écrire ; mais qui fait dans ce monde ce qu’il voudrait ? Madame du Châtelet vous fait les plus sincères compliments ; elle a un esprit trop juste pour n’être pas entièrement de votre avis ; elle est contente de votre petit ouvrage, à proportion de ses lumières, et c’est dire beaucoup.

 

         Adieu, monsieur ; conservez à ce pauvre malade des bontés qui font sa consolation, et croyez que l’espérance de vous voir quelquefois et de jouir des charmes de votre commerce me soutiennent dans mes longues infirmités.

 

 

1 – Tressa, commandait alors l’armée des côtes de la Manche. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Cideville

A Fontainebleau, ce 9 Novembre 1746.

 

 

         Je ne sais plus qui disait que les gens qui font des tragédies n’écrivent jamais à leurs amis. Cet homme-là connaissait son monde. Un tragédien dit toujours : J’écrirai demain. Il met proprement toutes les lettres qu’il reçoit dans un grand portefeuille, et versifie. Son cœur a beau lui dire : Ecris donc à ton ami ; vient un héros de Babylone, ou une piaillarde de princesse, qui prend tout le temps.

 

         Voilà comme je vis, mon très aimable Cideville ; me voici à Fontainebleau, et je fais tous les soirs la ferme résolution d’aller au lever du roi ; mais tous les matins je reste en robe de chambre avec  Semiramis. Mais comptez que je me reproche bien plus de ne vous avoir point écrit, que de n’avoir point vu habiller Louis XV. Au moins je me console en disant : C’est pour eux que je travaille. Mon cher Cideville, si j’ai de la santé, j’irai à Paris, à votre lever, je viendrai vous montrer ma besogne ; je réparerai ma paresse. Revenez, mon cher ami ; je ne sais pas ce qu’on fera sur nos frontières, mais tout sera à Paris en fête, et c’en est une bien grande pour moi de vous revoir.

 

         Bonjour ; je vous embrasse tendrement.

 

 

 

 

 

à M. le comte Algarotti

Parigi, 13 di Novembre 1746.

 

 

         Non ho voluto ringraziarla di tutti i suoi favori prima d’averli interamente goduti, me ne sono veramente inebriato. Ho letto e riletto il Newtonianismo,e sempre con un nuovo piacere. Sa bene non esservi chi abbia maggior interesse di me nella sua gloria ; si degni ella di ricordarsi che la mia voce fu la prima tromba che fece rimbombare tra le nostre zampogne francesi il merito del vostro libro, prima che fosse uscito in pubblico. La vostra luce settemplie abbarbaglio per un tempo gli occhi de’ nostri cartesi ani, e l’Accademia delle scienze, ne’ suoi vortici ancore involta, parve un poco ritrosetta nel dare al vostro bello e mal tradotto (1) libro i dovuti applausi. Ma vie sono delle cose al mondo, che sottomettono sempre i ribelli : la verità, e la beltà. Avete vinto conqueste armi ; ma mi lagnero sempre che abbiate dedicato il Newtonianismo ad un vecchio cartesiano (2), che non intende punto le leggi della gravitazione. Ho letto col medesimo piacere la vostra dissertazione sopra i sette piccoli, e mal conosciuti re romani ; l’avete scritta nella vostra gioventù ma eravate già molto maturo d’ingegno e di dottrina. Avete per avventura conoscenza d’un volume scritto in Germania, venti anni fa, da un Francese, sopra l’istessa materia ? Vi sono acute investigazioni, ma non mi ricordo dell’ autore.

 

         Ho letto sei volte la vostra epistola al signor Zeno ; oh ! quanto s’innalza un tal mobile, ed egregio volo sopra tutti i sonnettieri dell’ infingarda Italia ! Ecco dunque tre opere, tutte differenti di materia e di stile. Tri regna tenens. Non v’ è al mondo un’ ingegn cosi versatile, e cosi universale. Pare a chi vi legge che siate nato solamente per la cosa che trattate.

 

         Mi rincresce molto di non accompagnare il duca di Richelieu. Mi lusingavo di vedere in Dresda la nostra delphina (3), la magnifica corte d’un re amato da suoi sudditi, un gran ministro (4), e’ l signore Algarotti ; ma la mia languida sanità distrugge tutte queste speranze incantatrici. Non si scordi pero dell’ affare che le ho raccommandato (5) ; la protezione d’una madre è la più efficace presso d’una figlia, e ne spro un felice esito col vostro patrocinio ; le bacio di grand cuore la mano che ha scritto tante belle cose.

 

         Adieu, le plus aimable de tous les hommes. Madame du Châtelet vous fait les plus sincères compliments.

 

 

1 – Traduction de Duperron de Castera. (G.A.)

 

2 – Fontenelle. (G.A.)

 

3 – La fille d’Auguste II, que Richelieu allait chercher. (G.A.)

 

4 – Brühl. (G.A.)

 

5 –Le titre de dame du palais de la reine de Naples pour la duchesse de Montenero. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

à M. de La Place   (1)

 

Vis-à-vis la barrière des Sergents, à Paris, 26 Novembre.

 

 

         On me renvoie, monsieur, de Versailles une lettre que vous m’aviez fait l’honneur de m’adresser à Fontainebleau. Je la reçois dans le moment, et je me hâte de vous dire combien je m’intéresse à vos succès.

 

         Je fis mon devoir dès que je sus que vous étiez le premier en date, et je le ferai encore, dès qu’il s’agira de joindre mon suffrage à tous ceux que vous allez mériter.

 

         Je suis idolâtre du progrès des arts. Les succès des autres m’ont toujours été chers, et je n’ai jamais plus éprouvé ce sentiment que dans l’occasion qui se présente.

 

         J’ai l’honneur d’être, avec une estime infinie, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

1 – Cette lettre, classée par les éditeurs de Cayrol et A. François à l’année de 1747, nous semble être de 1746. Il s’agit ici de la Venise sauvée, de de La Place, qui fut jouée le 5 décembre de cette année-là. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le duc de Richelieu

 

AMBASSADEUR A BRESDE

 

A Paris, le 24 Décembre 1746.

 

 

Très magnifique ambassadeur,

Vous avez quelque sympathie

Pour ces catins dont la manie

Est d’avoir du goût pour l’honneur,

Et qui, sur la fin du bel âge,

Savent terminer quelquefois

Le cours de leurs galants exploits

Par un honnête mariage,

De votre petite maison,

A tant de belles destinée,

Vous allez chez le roi saxon

Rendre hommage au dieu d’hyménée ;

Vous, cet aimable Richelieu,

Qui, né pour un autre mystère,

Avez toujours battu ce dieu

Avec les armes de son frère,

Revenez cher à tous les deux ;

Ramenez la paix avec eux,

Ainsi que vous eûtes la gloire,

Aux campagnes de Fontenoi,

De ramener aux pieds du roi

Les étendards de la victoire.

 

 

         Et cependant, monsieur le duc, vous voulez des scieurs de long sur le devant de votre tableau ! fi donc ! Vous aurez des nonnes et des moines, des bergers et des bergères, dont les attitudes seront aussi brillantes en mécanique. Une femme en bas et un homme en haut peuvent opérer de très beaux effets d’optique qui vaudront bien des scieurs de long. Il faut que tout soit saint dans un tableau d’autel.

 

         Que dites-vous d’une infâme Calotte qu’on a faite contre M. et madame de La Popelinière, pour prix des fêtes qu’ils ont données ? Ne faudrait-il pas pendre les coquins qui infectent le public de ces poisons ? Mais le poète Roi aura quelque pension, s’il ne meurt pas de la lèpre, dont son âme est plus attaquée que son corps.

 

         Vous savez que l’aventure de Gênes s’est terminée à l’amiable (1), par la pendaison de quelques citoyens et de quelques soldats ; que cependant le général Brown a fait faire à M. de Mirepoix d’énormes reculades, et qu’il marche à M. de Belle-Ile, lequel est obligé de se retrancher sous Toulon.

 

         « In tanto le bacio umilmente le mani, e riverisco nella sua persona l’onor di nostra età. »

 

 

1 – « Pas tant à l’amiable, dit M. Clogenson, car le peuple de Gênes venait d’en chasser les Autrichiens. Voyez le Précis du Siècle de Louis XV, chap. XXI. (G.A.)

 

 

 

CORRESPONDANCE 1746 - Partie 9

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