CORRESPONDANCE - Année 1745 - Partie 7

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE-1745---Partie-7.jpg

 

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

à M. de Moncrif

A Paris, le 16 Juin 1745.

 

 

         Je n’avais, mon cher sylphe (1), supplié madame de Luynes de présenter ma rapsodie à la reine (2) que parce qu’il paraissait fort brutal d’en laisser paraître tant d’éditions, sans lui en faire un petit hommage ; mais je vous prie de lui dire très sérieusement que je lui demande pardon d’avoir mis à ses pieds une pauvre esquisse que je n’avais jamais osé donner au roi.

 

         Enfin, sa majesté ayant bien voulu que je lui dédiasse sa bataille, j’ai mis mon grain d’encens dans un encensoir un peu plus propre, et le voici que je vous présente. C’est à présent que vous pouvez dire hardiment à la reine que cela vaut mieux que la maussaderie de notre ami le poète Roi. Je ne vois pas qu’aucun de ceux que j’ai si justement célébrés soit fort content que cet honnête homme ait dit, en style d’huissier-priseur, que j’ai adjugé les lauriers selon mon caprice ; mais c’est une des moindres peccadilles de M. le chevalier de Saint-Michel. Mon aimable sylphe, cet animal-là est un vilain gnome. Il a fait une petite satire (3) dans laquelle il dit de moi :

 

 

Il a loué depuis Noailles

Jusqu’au moindre petit morveux

Portant talon rouge à Versailles.

 

 

         On débite cette infamie avec les noms de MM. d’Argenson, Castelmoron et d’Aubeterre, en notes. Vous êtes engagé d’honneur à faire connaître à la reine ce misérable. Si je n’étais pas malade, j’irais me jeter à ses pieds. Je vous supplie instamment de lui faire ma cour. Comptez que je vous aimerai toute ma vie.

 

 

1 – Allusion à l’opéra-ballet de Zélindor. (G.A.)

 

2 – Moncrif était lecteur de la reine, et madame de Luynes dame d’honneur. (G.A.)

 

3 – La satire intitulée, Requête du curé de Fontenoy, est l’ouvrage de l’avocat Marchand. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte de Tressan

Le 17 Juin 1745.

 

 

         Je n’ose vous supplier de m’envoyer quelques belles anecdotes héroïques ; cependant il serait bien beau à vous de contribuer à faire durer mon petit monument, vous qui en élevez de si beaux. On va faire une septième édition à Paris, et peut-être la fera-t-on au Louvre ; elle est dédiée au roi, et la bonté qu’il a d’accepter cet hommage met le sceau à l’authenticité de la pièce. Je voudrais en faire un ouvrage qui passât à la postérité, et dans lequel ceux qui seront nommés pussent, dès à présent, trouver quelque petit avant-goût d’immortalité (1). Je voudrais des notes plus instructives, pour les vivants et pour les morts.

 

         Ne pourrai-je point citer quelques services de M. de Lutteaux dans mon De profundis ? N’y a-t-il rien à dire sur la poste d’Antoing ? Ne s’est-il pas fait de belles et inconnues prouesses qui sont perdues,

 

 

.  .  .  .  .  . carent quia vate sacro ?

HOR., lib IV, od. IX.

 

 

 

         Que Bellone, s’il vous plaît, instruise un peu les Muses. Je vous serai tendrement obligé.

 

         Adieu, Pollion et Tibulle ; je baise votre myrte et vos lauriers.

 

 

Et quorum pars magna fuisti.  .  .  .  .

 

VIRG., Æn., II.

 

 

1 – Tressan n’est pas nommé dans le Poème, quoique ayant été blessé deux fois. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le duc de Richelieu

Le 20 Juin 1745.

 

 

         Voici un petit morceau dans lequel il y a d’assez bonnes choses. Il y a surtout un vers admirable :

 

Un roi plus craint que Charles et plus aimé qu’Henri (1)

 

         Vous devriez bien, monseigneur, mettre le doigt là-dessus à notre adorable monarque. De héros à héros il n’y a que la main.

 

         Voici une mauvaise plaisanterie que j’ai envoyée au vainqueur de Friedberg (2). Je ne traite pas le roi de Prusse si sérieusement que le roi mon maître.

 

 

Lorsque deux rois s’entendent bien (3),

Que chacun d’eux, etc.

 

 

         On peut, je crois égayer sa majesté de ces balivernes, qui ne courront point.

 

         J’eus l’honneur de vous envoyer hier de nouveaux essais de la fête (4) ; mais il y en a bien d’autres sur le métier. Il ne s’agit que de voir avec Rameau ce qui conviendra le plus aux fantaisies de son génie. Je serai son esclave pour vous faire voir que je suis le vôtre ; mais, en vérité, vous devriez bien mander à madame de Pompadour (5) autre chose de moi que ces beaux mots : Je ne suis pas trop content de son acte. J’aimerais bien mieux qu’elle sût par vous combien ses bontés me pénètrent de reconnaissance, et à quel point je vous fais son éloge ; car je vous parle d’elle comme je lui parle de vous ; et, en vérité, je lui suis très tendrement attaché, et je crois devoir compter sur sa bienveillance autant que personne. Quand mes sentiments pour elle lui seraient revenus par vous y aurait-il eu si grand mal ? Ignorez-vous le prix de ce que vous dites et de ce que vous écrivez ? Adieu, monseigneur, mon cœur est à vous pour jamais.

 

         Il n’y a qu’une voix sur la beauté et la grandeur du sujet, et je ne sais rien de si convenable et de si heureux.

 

 

 

1 – Vers tiré des Stances de Cideville. (G.A.)

 

2 – Frédéric avait gagné la bataille de Friedberg le 4 Juin. (G.A.)

 

3 – Voyez aux Epîtres. (G.A.)

 

4 – Le Temple de la Gloire. (G.A.)

 

5 – Voilà la première fois que ce nom se trouve dans la Correspondance. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Moncrif

A Champs, le 22 Juin 1745.

 

 

         Je sens, mon très aimable Zélindor, tout le prix de vos bontés. Quoi ! au milieu de vos succès vous songez à réparer mes fautes ! J’avais déjà prévenu vos attentions charmantes. Je ne présentai point mon Poème sur les horreurs de la guerre à la vertu pacifique de la sainte duchesse (1), parce que je fus dévalisé par tout ce qui me rencontra chez la reine. Je fut dévalisé par tout ce qui me rencontra chez la reine. Je vous remercie tendrement de faire valoir mes Batailles auprès d’une princesse dont les vertus devraient inspirer la paix à tout l’univers.

 

         Il est vrai qu’on a pensé à donner une fête au héros de Fontenoy. Je ne sais pas encore bien précisément ce que ce sera ; mais je sais très certainement qu’il la faut dans le genre le plus noble. Je n’ai qu’une ambition, c’est de mêler ma voix à la vôtre, et de faire voir aux ennemis des gens de lettres et des honnêtes gens, par exemple, à M. Roi, chevalier de Saint-Michel, et à l’abbé de Bicêtre (2), que les cœurs et les talents se réunissent pour louer notre monarque, sans connaître la jalousie.

 

         Je serais enchanté que votre prologue pût nous convenir ; je tâcherai d’y conformer mon sujet. Mandez-moi, mon aimable génie, quand vous serez à Paris, afin que je puisse en raisonner avec vous.

 

         Conservez-moi votre amitié ; comptez que je vous suis dévoué pour ma vie avec la tendresse que votre caractère m’inspire, et avec l’estime que vos talents aimables doivent arracher au dragon de saint Michel et au gibier de Bicêtre.

 

 

 

1 – La maréchale de Villars. (G.A.)

 

2 – L’abbé Desfontaines, auteur d’un Avis à M. de Voltaire sur son Poème. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Cideville

A Champs, ce 25 Juin 1745.

 

 

         Mon charmant ami, celui des Muses, celui de la vertu, vous que je ne vois pas assez et avec qui je voudrais toujours vivre, vous me donnez là un laurier dont je fais beaucoup plus de cas que de tout ce que Maupertuis va chercher à Berlin, et de tout ce qu’on cherche à Versailles. Le roi saura qu’il y a dans son royaume des âmes assez belles pour joindre hardiment son nom à celui d’un ami ; il saura que mon cher Cideville atteste à la postérité que les bontés dont sa majesté m’honore ne sont pas un reproche à sa gloire.

 

         J’envoie à M. le duc de Richelieu ce beau monument que vous érigez au roi, à la nation, et à l’amitié. C’est un bel exemple que vous donnez à la littérature. Madame du Châtelet, qui vous est tendrement obligée, donnera son exemplaire à madame la duchesse de La Vallière, et il restera dans la bibliothèque de Champs. Nous en prendrons d’autres lundi à Paris, où nous comptons arriver sur les trois heures. C’est là que j’embrasserai celui qui m’immortalise.

 

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

A Champs, le 25 Juin 1745.

 

 

         Je suis, comme l’Arétin, en commerce avec toutes les têtes couronnées ; mais il s’en faisait payer pour les mordre, et je ne leur demande rien pour les amadouer. Recevez donc, monseigneur, cet énorme paquet, que vous pourriez faire partir par la première flotte que vous enverrez à la pêche de la baleine. Que direz-vous de mon insolence ? vous ai-je assez importuné de mes Batailles ? Tantôt c’est pour la princesse de Suède, tantôt c’est pour la czarine. Vous êtes bien heureux que je vous sauve le roi de Prusse, cette fois-ci ; et, si vous étiez à Paris, vous auriez vraiment un paquet pour le pape. Eh bien ! il pleut donc des victoires ! Le roi de Prusse bat nos ennemis, et fait des épigrammes contre eux. Oh ! la belle et glorieuse paix que vous ferez ! Je vous prépare une fête pour votre retour ; j’y couronnerai le roi de lauriers. En attendant, vous recevrez une septième édition de Lille, de ce petit monument que j’ai élevé à la gloire de notre monarque. Dites-lui en un peu de bien, et empêchez, si vous pouvez, les araignées (1) de se manger.

 

         Voici une mauvaise plaisanterie que j’écris au roi de Prusse. Vous verrez, monseigneur, que je ne le traite pas si pompeusement que le vainqueur de Fontenoy :

 

 

Lorsque deux rois s’entendent bien, etc.

 

 

         Cela n’est pas bon à courir, mais peut-être en peut-on amuser le roi preneur de villes et gagneur de batailles ; car encore faut-il amuser son héros.

 

         Où est M. votre fils ? négocie-t-il avec le gros M. Bertin (2) ? Je n’ai pas vu  votre belle-fille, à qui je voulais rendre mes respects. Je suis tantôt à Champs, tantôt à Etiolles (3). Préparez pour la fête les oliviers que je voudrais qui ornassent le théâtre.

 

 

1 – Les rois. (G.A.)

 

2 – Ou plutôt, Bentinck. (G.A.)

 

3 – Château de la Pompadour. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

CORRESPONDANCE 1745 - Partie 7

Commenter cet article