CORRESPONDANCE - Année 1745 - Partie 4

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Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

A Paris, ce 29 Avril 1745.

 

 

         Je tremble de nos tristes aventures en Bavière ne déterminent le roi de Prusse à faire une seconde paix (1). Vous êtes, monseigneur, dans des circonstances bien critiques, et nous aussi. Si cela continue, le bel exploit que celui d’historiographe !

 

         Mon tendre attachement pour vous fait ma consolation.

 

 

P.S. : J’apprends que tous ces écrits qui, par parenthèse, sont de faibles armées quand on est battu, pour donner l’exclusion au grand-duc, ne font point un bon effet en Allemagne. On y sent trop que ce sont des Français qui parlent. Il me semble qu’un air plus impartial réussirait mieux, et qu’un bon Allemand, qui déplorerait de tout son cœur les calamités de sa pesante patrie, ferait une impression tout autre sur les esprits. Pardon ; je soumets mon petit doute à vos lumières, et je vous rends compte simplement de ce qu’on m’écrit.

 

  Il ne m’est rien revenu de mon correspondant, qu’une prière du roi de Prusse à la reine de Hongrie de ne point prendre ses vaisseaux sur l’Elbe. Ses vaisseaux sont des bateaux ; mais gare que le roi de Prusse ne fasse d’autres prières !

 

 

1 – Avec Marie-Thérèse. (G.A.)

 

 

 

 

à Monsieur le marquis de Valori

A Paris, le 1er mai 1745.

 

 

         Vous achevez mon bonheur, monsieur, par l’intérêt que vous daignez y prendre ; c’est le comble de la séduction que de parler le langage de la poésie, pour me rendre encore plus sensible aux grâces que le roi m’a faites.

 

 

Modeste et généreux, Louis nous fait chérir

Et sa personne et son empire.

Que ne puis-je le peindre aux siècles à venir !

Mais il faudrait savoir écrire

Vous vous savez le servir.

 

 

 

         Je sens tout le prix de la coquetterie que vous me faites en m’envoyant les vers de M. Darget : ce doit être un grand agrément pour vous d’avoir un homme qui écrit si joliment ; mais permettez que je le félicite aussi d’être auprès de vous. Ses vers et votre prose me donnent bien de la vanité.

 

Apollon chez Admète autrefois fut berger ;

Chez Valori je le vois secrétaire :

Il peut se déguiser et ne saurait changer,

On le connaît à l’art de plaire.

 

 

         J’ai reçu un peu tard votre charmante lettre ; M. d’Argenson me l’avait envoyée à Châlons, où j’avais suivi madame du Châtelet, qui y avait gardé M. son fils malade de la petite-vérole. La lettre m’a été renvoyée aujourd’hui à Paris ; elle me flatte trop pour que je tarde à y répondre. Je vous suis fort obligé d’avoir bien voulu parler de moi au roi de Prusse ; il doit être d’autant plus sensible à ma petite fortune, que les bontés dont il m’honore n’ont pas peu servi à terminer celles du roi notre maître. M. de Maupertuis quitte la France pour Berlin. On ne peut en effet quitter notre cour que pour celle où vous êtes ; mais enfin tout le monde ne peut pas quitter la France, et il faut bien que les beaux-arts se partagent. D’ailleurs M. de Maupertuis a de la santé, et je suis plus infirme que jamais : les grands voyages me sont interdit comme les grands plaisirs. Vous qui avez de la santé, monsieur, vous allez probablement en Silésie, tandis que M. d’Argenson va en Flandre ; chacun de vous sera auprès d’un héros. Puissent ces deux héros nous donner bientôt la paix dont l’Allemagne et l’Angleterre ont plus besoin que nous ! Je n’aurai pas la consolation de revoir M. d’Argenson avant son départ ; il faut s’immoler au préjugé qui m’exclut de Versailles pour quarante jours, parce que j’ai vu un malade à quarante lieues. Ce n’est pas le premier mal que les préjugés m’ont fait. Je vous supplie, monsieur, d’ajouter à vos bontés celle de me conserver dans le souvenir de la cour de Berlin, qui me sera toujours bien chère. Daignez ne me point oublier auprès de MM. de Podewils et de Borck : vous avez sans doute l’aimable M. de Karserling ; comment se porte le philosophe mon cher Isaac (1), et comment suis-je avec lui ? Il me semble que je serai toujours très bien auprès de ceux que vous aimez, et je compte sur votre protection : j’ose ici joindre mes vœux pour la santé des reines et de toute la famille royale. Adieu, monsieur, aimez un peu Voltaire.

 

 

1 – Le marquis d’Argens. (G.A.)

 

 

 

 

à M. l’abbé de Valori

Paris, le 3 Mai 1745.

 

 

         Les faveurs des rois et des papes, monsieur, ne valent pas celles de l’amitié. Vous savez si la vôtre m’est chère. J’ai reçu, presque le même jour, votre lettre et celle de M. votre frère. Je suis bien glorieux de n’être pas oublié de deux hommes à qui j’ai voué un si grand attachement ; mais vous m’avouerez, monsieur, que vous devez m’aimer un peu davantage depuis que le saint-père me donne des bénédictions. Sa sainteté a pensé comme vous sur Mahomet. C’est qu’elle n’a point été séduite par des convulsionnaires. On éprouve des injustices dans sa patrie ; mais les étrangers jugent sans passion, et un pape est au-dessus des passions. Je suis fort joliment avec sa sainteté. C’est à présent aux dévots à me demander ma protection pour ce monde-ci et pour l’autre.

 

         Vous allez voir, monsieur, grande compagnie à Lille. Le roi va délivrer les Hollandais du soin pénible de garder les places de la barrière. On prétend aussi qu’il délivrera l’ancien évêque de Mirepoix de la tentation où il est tous les jours de mal choisir entre les serviteurs de Dieu, et qu’il ira achever l’œuvre de sa sanctification dans son abbaye de Corbie. Il y fera faire pénitence aux moines. C’est un homme fait, à ce qu’on dit, pour le ciel, car il déplaît souverainement au monde.

 

         J’ai répondu un peu plus tard, monsieur, à votre aimable lettre, mais elle m’a été rendue fort tard. Elle a été à Châlons, où j’avais suivi madame du Châtelet, qui a gardé M. son fils malade de la petite-vérole. Les préjugés de ce monde, qui ne font jamais que du mal, m’empêche de voir votre ami M. d’Argenson. Vous aurez probablement, à Lille, le plaisir que je regrette. Puisse-t-il en revenir bien vite avec le rameau d’olivier ! Il n’y a jamais eu, de tous les côtés, moins de raison de faire la guerre. Tout le monde a besoin de la paix, et cependant on se bat. Je voudrais bien que l’historiographe pût dire : Les princes furent sages en 1745.

 

         Vous savez que le roi, en m’accordant cette place, m’a daigné promettre la première vacante de gentilhomme ordinaire. Je suis comblé de ses bontés. Adieu, monsieur ; madame du Châtelet vous fait mille compliments ; recevez, avec toute votre famille, mes plus tendres respects.

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

A Paris, ce 3 Mai 1745.

 

 

         Eh bien ! il faudra donc vous laisser partir sans avoir la consolation de vous voir. Partez donc ; mais revenez avec le rameau d’olivier, et que le roi vous donne le rameau d’or ; car, en vérité, vous n’êtes pas payé pour la peine que vous prenez.

 

         Vous avez eu trop de scrupule en craignant d’écrire un petit mot à M. l’abbé de Canillac (1). Je vous avertis que je suis très bien avec le pape, et que M. l’abbé de Canillac fera sa cour en disant au saint-père que je lis ses ouvrages, et que je suis au rang de ses admirateurs comme de ses brebis.

 

         Chargez-vous, je vous en supplie, de cette importante négociation. Je vous réponds que je serai un petit favori de Rome, sans que nos cardinaux y aient contribué.

 

         Que dites-vous, monseigneur, de la princesse royale de Suède (2), qui me prie de faire un petit voyage à Stockholm, comme on prie à souper à la campagne ? Il faut être Maupertuis pour aller ainsi courir dans le Nord. Je reste en France, où je me trouverais encore mieux si madame du Châtelet se mettait à dîner avec vous.

 

         J’ai une grâce à vous demander pour ce pays du Nord ; c’est de permettre que je vous adresse en Flandre un paquet pour M. d’Alion. Ce sont des livres que j’envoie à l’Académie de Pétersbourg, et des flagorneries pour la czarine.

 

         Adieu, monseigneur, je vous souhaite de la santé et la paix ; et je vous suis attaché, comme vous savez, pour la vie.

 

 

1 – Chargé d’affaires à Rome. (G.A.)

 

2 – Ulrique, sœur de Frédéric. (G.A.)

 

 

 

 

au comte d’Alion  (1)

 

 

 

         Je vous supplie, monsieur, de présenter à sa majesté impériale (2) un exemplaire de ma Henriade, et de lui faire remarquer le petit envoi qui accompagne le livre, et qui est à la première page.

 

         Ce n’est pas tout, monsieur, et c’est ici qu’il faut encore que le nom de M. le marquis d’Argenson parle pour moi. Je vous envoie un exemplaire d’un livre sur la Philosophie de Newton. Je vous aurais, monsieur, une très grande obligation de vouloir bien le donner à M. le secrétaire de l’Académie de Pétersbourg. J’ai déjà l’honneur d’être des Académie de Londres, d’Edimbourg, de Berlin, de Bologne, et je veux devoir à votre protection l’honneur d’être admis dans celle de Pétersbourg. Ce serait peut-être une occasion pour moi de pouvoir, quelque beau jour d’été, voyager dans la cour où vous êtes, et me vanter d’avoir vu la célèbre Elisabeth. J’ai chanté Elisabeth d’Angleterre ; que ne dirais-je point de celle qui l’efface par sa magnificence, et qui l’égale par ses autres vertus !

 

         Ne pourrais-je pas vous avoir encore, monsieur, une autre obligation ? J’ai écrit, il y a quelques années, l’histoire de Charles XII, sur des mémoires fort bons quant au fond, mais dans lesquels il y avait quelques erreurs sur le détail des actions de ce monarque ; j’ai actuellement des mémoires plus exacts et fort supérieurs à ceux que M. Nordbert a employés. Mon dessein serait de les fondre dans une Histoire de Pierre-le-Grand ; ma façon de penser me détermine vers cet empereur, qui a été un législateur, qui a fondé des villes, et, n’ose le dire, son empire.

 

         Si la digne fille de l’empereur Pierre-le-Grand, qui a toutes les vertus de son père avec celles de son sexe, daignait entrer dans mes vues et me faire communiquer quelques particularités intéressantes et glorieuses de la vie du feu empereur, elle m’aiderait à élever un monument à sa gloire, dans une langue qu’on parle à présent dans presque toutes les cours de l’Europe.

 

 

1 – D’alion était ministre plénipotentiaire de France en Russie (G.A.)

 

2 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Nericault Destouches

Paris, ce 8 Mai 1745 (1).

 

 

         J’ai été à Châlons, monsieur, garder le fils de madame du Châtelet, qui avait la petite-vérole ; c’est là que j’ai lu et relu le beau recueil (2) dont vous avez bien voulu me faire présent. J’en ai senti tout le prix, et j’avoue que je ne reviens point d’étonnement que les comédiens ne jouent pas tous les jours vos belles pièces. Les comédiens n’entendent guère leurs intérêts, ce me semble, de ne pas nous donner souvent le Médisant, l’Homme singulier, l’Ingrat, le Curieux impertinent, l’Ambitieux, en un mot ce que vous avez fait.

 

         Je viens de relire encore le Dissipateur, qui me paraît un ouvrage bien digne de vous. J’avoue que je donne la préférence au Glorieux, dont vous savez que j’ai toujours été idolâtre. Mais il n’y a aucun de vos ouvrages que je ne voulusse voir paraître sur le théâtre ; nous les verrons apparemment, quand il y aura des comédiens dignes de les jouer. En attendant, leur lecture me consolera. Ceux qui aiment la vraie morale doivent en faire leurs délices ; je suis bien fâché d’être privé de celles de votre conversation ; l’homme et l’auteur me seront toujours également chers. Pardonnez à un pauvre malade, s’il ne vous écrit pas de sa main ; il ne vous est pas moins tendrement attaché.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Le Théâtre de Destouches. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

CORRESPONDANCE 1745 - Partie 4

 

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