CORRESPONDANCE - Année 1745 - Partie 10

Publié le par loveVoltaire

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à M. L’abbé de Voisenon

 

 

 

Vous êtes dans le beau pays (1)

Des amours et des perdrix.

Tout cela vous convient ; quels beaux jours sont les vôtres !

Mais dans le triste état où le destin m’a mis,

Puis-je suivre les uns, puis-je manger les autres ?

Aux autels de Vénus on peut, dans son malheur,

Quand on n’a rien de mieux, donner au moins son cœur ;

Mais sans son estomac peut-on se mettre à table

Chez ce héros de Champs, intrépide mangeur,

Et non moins effronté buveur,

Qui d’un ton toujours gai, brillant, inaltérable,

Répand les agréments, les plaisirs, les bons mots,

Les pointes quelquefois, mais toujours à propos ?

La tristesse, attachée à ma langueur fatale,

Me chasse de ces lieux consacrés au bonheur ;

Je suis un pauvre moine indigne du prieur.

La santé, la gaieté, la vive et douce humeur,

Sont la robe nuptiale

Qu’il faut au festin du Seigneur.

 

 

         Je suis donc dans les ténèbres extérieures, malade, languissant, triste, presque philosophe. Je souffre chez moi patiemment, et je ne peux aller à Champs. Je vous prie de faire mes excuses à la beauté et aux grâces (2). M. du Châtelet a reçu ma lettre d’avis, et m’a fait réponse. Toutes les autres affaires vont bien, mais ma santé va plus mal que jamais. Le corps est faible, et l’esprit n’est point prompt ; c’est un lot de damné.

 

 

1 – A Champs, chez le duc de La Vallière. (G.A.)

 

2 – La duchesse de La Vallière. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

Ce 29 Septembre 1745.

 

 

         Je reçois, monseigneur, votre lettre à dix heures du soir, après avoir travaillé, toute la journée, à certain plan de l’Europe, pour en venir aux campagnes du roi (1). Le tout pourra vous amuser à Fontainebleau.

 

         Je vais quitter les traités d’Hanovre et de Séville pour la capitulation (2) de Tournai. Les Hollandais deviennent des Carthaginois ; fides punica. Je tâcherai de remplir vos intentions, en suivant votre esprit, et en transcrivant vos paroles, qu’il faut appuyer des belles figures de rhétorique appelées ratio ultima regum (3). C’est à M. le maréchal de Saxe à donner du poids à l’abbé de La Ville.

 

         Vous aurez, monseigneur, votre amplification au moment que vous la voudrez. Mille tendres respects.

 

 

P.S. – Madame de Colorini (c’est, je crois, son nom), la gouvernante des pauvres princesses de Bavière, attend de vous certaine ordonnance. Je crois qu’elle m’a dit que vous deviez la remettre à madame du Châtelet. Elle est venue au chevet de mon lit pour cela, et se mettrait, je crois, dans le vôtre, si elle osait.

 

         Adieu, monseigneur ; heureux les gens qui vous voient !

 

 

1 – L’Histoire de la guerre de 1741. (G.A.)

 

2 – 1725 et 1729. (G.A.)

 

3 – Voyez les Représentations aux Etats Généraux de Hollande. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Richelieu

(1)

 

 

         Le malingre Voltaire ne put hier faire sa cour à son héros ; il souffre et il l’adore.

 

         Il supplie très humblement monseigneur le duc de vouloir bien faire parvenir au premier président de Nîmes le mémoire ci-joint, avec un petit mot de réflexion de sa part. Il ne s’agit que de recommander au dit président d’examiner le mémoire, et s’il le trouve juste, d’empêcher un procès mal fondé et très indécent que son secrétaire veut intenter, se flattant de la protection de son maître.

 

         Voilà pour le commandant du Languedoc.

 

         Voici pour le premier gentilhomme.

 

         Je vous prie d’ordonner qu’on joue Zulime et l’Indiscret à Fontainebleau avec mes autres pièces. Je ne veux paraître que sous vos auspices.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Falkener

 

SECRÉTAIRE DU DUC DE CUMBERLAND.

 

Paris, ce 1er octobre 1745 (1).

 

 

         Sir, you bear a name that I love and respect (2). I have, these twenty years since, the honour to be friend to sir Everard Falkener. I hope it is a recommendation towards you. A better one is my love for truth. I am bound to speak it. My duty is to write the history of the late campaings, and my king and my country will approve me the more, the greater justice I’ll render to the english nation.

 

         Thoug our nations are ennemies at present, yet they ought for ever to entertain a mutual esteem for one another : my intention is to relate what the duke of Cumberland has done worthy of himself and his name, and to enregister the most particular and noble actions of your chiefs and officers, which deserve to be recorded, and what passed most worthy of praise at Dettingen and Fontenoy, particularities, if there is any, about general sir James Campbel’s death, in short, all that deserves to be transmitted to posterity.

 

         I dare or presume to apply to you, sir, on that purpose ; if you are so kind as to send me some memoirs. I »ll make use of them. If not, I’ll content mysel with relating what has been acted noble and florious on our side ; and I will mourn to leave in silence many great actions done by your nation, which it would have been glorious to relate. If you think fit, sir, to do me the favour I ask, I beg you will direct the paquet, to M. de Séchelles, intendant des armées de France.

 

         I am, sir, with respect, your most humble and obedient servant. VOLTAIRE, historiographe de France.

 

 

 

TRADUCTION

 

 

           Monsieur, vous portez un nom que j’aime et que je respecte. Depuis vingt ans j’ai l’honneur d’être l’ami de M. Everard Falkener. J’espère que c’est une recommandation auprès de vous ; une meilleure encore, c’est mon amour pour la vérité, que j’ai mission de publier. Mon devoir est d’écrire l’histoire des dernières campagnes. Mon roi et mon pays m’approuveront d’autant plus que je rendrai une justice plus entière à la nation anglaise.

 

           Quoique nos nations soient ennemies à présent, elles n’en doivent pas moins entretenir une estime mutuelle l’une pour l’autre. Mon intention est de raconter ce que le duc de Cumerland a fait de digne de lui-même et de son nom, et de rapporter les belles actions de vos chefs et de vos officiers qui méritent d’être recueillies, ce qui s’est passé de plus digne d’éloges à Dettingen et à Fontenoy, et s’il est possible, quelques particularités sur la mort du général Campbel, en un mot, tout ce qui mérite d’être transmis à la postérité.

 

           J’ose m’adresser à vous, monsieur, dans ce dessein. Si vous êtes assez bon pour m’envoyer quelques mémoires, j’en ferai usage ; sinon je me contenterai de rapporter ce qui a été fait de noble et de glorieux de notre côté ; et je regretterai vivement de garder le silence sur un grand nombre de belles actions qui appartiennent à votre nation, et que je serais fier de raconter. Si vous jugez à propos de m’accorder la faveur que je sollicite, ayez la bonté d’adresser le paquet à M. de Séchelles, intendant de l’armée de France.

 

           Je suis, etc.,

VOLTAIRE, Historiographe de France.

 

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Voltaire croyait que le Falkener à qui il écrivait était un autre que son ami. La lettre du 23 explique cette méprise. (A. François.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

Du 29, mardi (1) matin.

 

 

         Voici, monseigneur, ce que je viens de rejeter sur le papier (2). Je me suis pressé, parce que j’aime à vous servir, et que j’ai voulu vous donner le temps de corriger le mémoire.

 

         Je crois avoir suivi vos vues ; il ne faut point trop de menaces. M. de Louvois irritait par ses paroles ; il faut adoucir les esprits par la douceur, et les soumettre par les armes.

 

         Vous n’avez qu’à m’envoyer chercher quand vous serez à Paris, et vous corrigerez mon thème ; mais vous ne trouverez rien à refaire dans les sentiments qui m’attachent à vous.

 

 

1 – Ou plutôt mercredi, selon M. Beuchot. (G.A.)

 

2 – Les Représentations aux Etats-Généraux. (G.A.)

 

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