CORRESPONDANCE : Année 1740 - Partie 5

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à M. Bernard

Bruxelles, le 27 Mai 1740.

 

 

         Le secrétaire de l’Amour est donc le secrétaire des dragons. Votre destinée, mon cher ami, est plus agréable que celle d’Ovide ; aussi votre Art d’aimer me paraît au-dessus du sien. Je fais mon compliment à M. de Coigny (1) de ce qu’il joint à ses mérites celui de récompenser et d’aimer le vôtre. Vous me dites que sa fortune a des ailes ; voilà donc tous les dieux ailés qui se mettent à vous favoriser.

 

 

Vous êtes formés tous les deux

Pour plaire aux héros comme aux belles ;

Mais si la fortune a des ailes,

Je vois que la vôtre a des yeux.

 

 

         On ne l’appellera plus aveugle, puisqu’elle prend tant de soin de vous. Vous serez toujours des trois Bernard (2) celui pour qui j’aurai le plus d’attachement, quoique vous ne soyez encore ni un Crésus ni un saint. Je vous remercie pour les acteurs de Paris, à qui vous souhaitez de la santé. Pour moi, je leur souhaite une meilleure pièce que Zulime ; c’est de la pluie d’été. J’avais quelque chose de plus passable (3) dans mon portefeuille ; mais on dit qu’il faut attendre l’hiver. Vous voyez que Newton ne me fait pas renoncer aux Muses ; que les dragons ne vous y fassent pas renoncer. Vous avez commencé, mon charmant Bernard, un ouvrage unique en notre langue, et qui sera aussi aimable que vous. Continuez, et souvenez-vous de moi au milieu de vos lauriers et de vos myrtes ; Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

1 – Franquetot, marquis de Coigny, mort en 1748. (G.A.)

 

2 – Voyez, au POÉSIES, les Trois Bernard. (G.A.)

 

3 – Mahomet. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Van Duren (1)

A Bruxelles, rue de la Grosse-Tour, le 1er Juin.

 

 

         Vous m’avez envoyé, monsieur, les vers latins de quelques gens de l’Académie française dont je suis peu curieux, et vous ne m’avez point envoyé la chimie de Stahl, dont j’ai un très grand besoin. Je vous prie instamment de me la faire tenir par la même voie que vous avez prise pour le premier ballot.

 

         J’ai en main un manuscrit singulier, composé par un des hommes les plus considérables de l’Europe ; c’est une espèce de réfutation du Prince de Machiavel, chapitre par chapitre. L’ouvrage est nourri de faits intéressants et de réflexions hardies qui piquent la curiosité du lecteur, et qui font le profit du libraire. Je suis chargé d’y retoucher quelque petite chose, et de le faire imprimer. J’enverrais l’exemplaire que j’ai entre les mains, à condition que vous le ferez copier à Bruxelles, et que vous me renverrez mon manuscrit ; j’y joindrais une Préface, et je ne demanderais d’autre condition que de le bien imprimer, et d’en envoyer deux douzaines d’exemplaires, magnifiquement reliés, en maroquin, à la cour d’Allemagne qui vous serait indiquée. Vous m’en feriez tenir aussi deux douzaines en veau. Mais je voudrais que le Machiavel, soit en italien, soit en français, fût imprimé à côté de la réfutation, le tout en beaux caractères, et avec grande marge.

 

         J’apprends, dans le moment, qu’il y a trois petits livres imprimés contre le Prince de Machiavel. Le premier est l’Anti-Machiavel ; le second, Discours d’estat contre Machiavel (2) ; le troisième, Fragment contre Machiavel.

 

         Il s’agirait à présent, monsieur, de chercher ces trois livres ; et, si vous pouvez les trouver, ayez la bonté de me les faire tenir. Vous pouvez trouver des occasions ; en tous cas, la barque s’en chargera. Si ces brochures ne se trouvent point, on s’en passera aisément. Je ne crois pas que l’ouvrage dont je suis chargé ait besoin de ces petits secours. Je suis, etc.

 

 

1 – Ici commencent les rapports de Voltaire avec ce libraire hollandais pour l’impression de l’Anti-Machiavel de Frédéric. (G.A.)

 

2 – Voltaire fait ici deux ouvrages d’un seul – Le Discours, autrement dit l’Anti-Machiavel, est de Gentillet. Le Fragment cité à la suite est de Hérauld. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Mademoiselle Quinault

3 Juin 1740.

 

         [Il lui annonce l’envoi d’une édition de ses Œuvres imprimées en Hollande, en quatre volumes ; et, en même temps, qu’il a trouvé un cinquième acte de Mahomet.]

 

 

 

 

 

à M. Van Duren

A Bruxelles, rue de la Grosse-Tour, ce 5 Juin.

 

 

         Il est nécessaire que vous me fassiez, monsieur, la réponse la plus prompte et la plus précise. Si vous saviez de quelle main est le manuscrit, vous m’auriez une obligation très singulière, et vous ne tarderiez pas à en profiter. C’est tout ce qu’il m’est permis de vous dire. Mais, si vous ne me répondez pas, trouvez bon que je gratifie un autre de ce présent.

 

 

 

 

 

à M. l’abbé Moussinot

Juin.

 

 

         Nous sommes enfin déterminés, mon cher abbé, à habiter le palais Lambert, et, pour cela, nous vous recommandons à vos bontés accoutumées. Madame du Châtelet a quelques meubles qui peuvent aider ; elle a surtout un fort beau lit sans matelas. Ces meubles sont chez mademoiselle Auger, qui se donnera tous les mouvements nécessaires pour vous seconder, qui sera à vos ordres, qui fera tout ce que vous commanderez. Aidez-nous, mon cher abbé, je vous en prie, dans ce petit projet qui nous rapprochera de vous. Meublez donc ce palais comme vous pourrez, au meilleur marché que vous pourrez, le plus tôt que vous pourrez, à payer de quinzaine en quinzaine comme vous pourrez.

 

         Remettez à M. Berger le manuscrit de Pandore, et offrez-lui quelque argent, si vous sentez qu’il en ait besoin. J’ai fait, pour obéir à l’amitié, cette Pandore, qui ne vaut pas celle de Vulcain ; aussi ne suis-je pas amoureux de mon ouvrage, comme il le fut du sien, qui en valait la peine ; mais je le suis beaucoup de la belle musique de Rameau. Je le prie d’embellir mes guenilles.

 

         Le roi de Prusse est mort ; on doit savoir cela dans votre chapitre. L’Europe et votre cloître pourront bien changer de face ; mais les sentiments que je vous ai voués ne changeront jamais. Je ne tarderai pas à voir face à face sa majesté prussienne ; ce sera pour moi un honneur que le Seigneur n’accorda pas à Moïse.

 

 

 

 

 

à M. l’abbé de Valori

Bruxelles, le 12 Juin.

 

 

         Monsieur, si l’amitié ne me retenait à Bruxelles auprès des personnes que j’ai eu l’honneur d’accompagner, je serais déjà l’heureux témoin du bien qu’un prince philosophe va faire aux hommes ; et je demanderais à monsieur votre frère (1) l’honneur de sa protection auprès d’un roi qui m’honore déjà de tant de bontés. Celles que voulez bien me témoigner seraient ma plus forte recommandation auprès de M. de Valori. Il y a longtemps que je me suis vanté au prince royal, sur les assurances de M. d’Argenson, que j’aurais en M. Valori un protecteur auprès de lui. Je me flatte que ce n’est pas là une fanfaronnade ; et votre lettre et mes sentiments me répondent de l’honneur de sa bienveillance. Vous voulez bien que je lui écrive pour lui faire mon compliment sur la mort du feu roi, et sur l’avènement du prince royal à la couronne.

 

         Plus le nouveau roi de Prusse a de mérite, plus il doit sentir celui de monsieur votre frère. J’ai l’honneur d’être, avec l’estime la plus respectueuse, et bien de l’envie de mériter votre amitié, etc ;

 

 

1 – L’ambassadeur de France à Berlin. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

12 Juin 1740.

 

 

         Mon adorable ami, vous savez que je n’ai jamais espéré un succès brillant de Zulime. Je vous ai toujours mandé que la mort du père tuerait la pièce ; et la véritable raison, à mon gré, c’est qu’alors l’intérêt change ; cela fait une pièce double. Le cœur n’aime point à se voir dérouté ; et, quand une fois il est plein d’un sentiment qu’on lui a inspiré, il rebute tout ce qui se présente à la traverse : d’ailleurs les passions qui règnent dans Zulime ne sont point assez neuves. Le public, qui a vu déjà les mêmes choses sous d’autres noms, n’y trouve point cet attrait invincible que la nouveauté porte avec soi. Que vous êtes charmants, vous et madame d’Argental ! que vous êtes au-dessus de mes ouvrages ! mais aussi je vous aime plus que tous mes vers.

 

         Je vous supplie de faire au plus tôt cesser pour jamais les représentations de Zulime sur quelque honnête prétexte. Je vous avoue que je n’ai jamais mis mes complaisances que dans Mahomet et Mérope. J’aime les choses d’une espèce toute neuve. Je n’attends qu’une occasion de vous envoyer la dernière leçon de Mahomet ;  et, si vous n’êtes pas content, vous me ferez recommencer. Vous m’enverrez vos idées, je tâcherai de les mettre en œuvre. Je ne puis mieux faire que d’être inspiré par vous.

 

         Voulez-vous, avant votre départ, une seconde dose de Mérope ? Je suis comme les chercheurs de pierre philosophale ; ils n’accusent jamais que leurs opérations et ils croient que l’art est infaillible. Je crois Mérope un très beau sujet et je n’accuse que moi. J’en ai fait trois nouveaux actes ; cela vous amuserait-il ?

 

         En attendant, voici une façon d’ode que je viens de faire pour mon cher roi de Prusse. De quelle épithète je me sers là pour un roi ! Un roi cher ! cela ne s’était jamais dit. Enfin voilà l’ode (1), ou plutôt les stances ; c’est mon cœur qui les a dictées, bonnes ou mauvaises ; c’est lui  qui me dicte les plus tendres remerciements pour vous, la reconnaissance, l’amitié la plus respectueuse et la plus inviolable.

 

 

1 – Voyez aux ODES. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Van Duren

A Bruxelles, ce 13 Juin 1740.

 

 

         Je crois que vous trouverez bon, monsieur, que je vous envoie par la poste ce que j’ai déjà fait transcrire de la réfutation du Prince de Machiavel. Je pense qu’il est de votre intérêt de l’imprimer sans délai. Je vous conseille de tirer les deux douzaines d’exemplaires que vous devez envoyer en Allemagne sur le plus beau papier, avec la plus grande marge ; et, pour ne vous pas laisser dans l’incertitude, sachez que c’est à .  .  .  . (Berlin) qu’il faut adresser le paquet, en main propre. Cela vous vaudra probablement, outre un présent, l’honneur .  .  .  .  (de fournir la bibliothèque). Ne manquez donc pas de préparer le plus beau maroquin pour la reliure, à laquelle vous mettrez ses armes.

 

         Ne perdez pas un moment pour cette édition ; le reste suivra immédiatement. Imprimez à côté le texte de la traduction du Prince de Machiavel, par Amelot de La Houssaie, et les mêmes titres courants des chapitres. Cependant, monsieur, faites-moi tenir un exemplaire de cette traduction, afin que je me règle sur elle pour composer la Préface dont on m’a fait l’honneur de me charger.

 

         Je vous prie de joindre dix exemplaires de mes Œuvres in-8° à cette traduction de Machiavel, et de me les envoyer par la barque, à mon adresse.

 

         J’ai lu avec plaisir le premier tome de l’Histoire de Louis XIV (1). Quand pourrai-je avoir la suite ? Je suis aussi fort content de Moréri (2), quoiqu’il y ait encore bien des fautes. VOLTAIRE.

 

 

1 – Histoire de Louis XIV, enrichie des médailles qui ont été frappées pour les principaux événements. (G.A.)

 

2 – La dix-neuvième édition du Dictionnaire historique. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Van Duren

A Bruxelles, le 15 Juin.

 

 

         Je vous envoie aujourd’hui jusqu’au dix-huitième chapitre inclusivement. Je crois que vous me remercierez de vous avoir donné un tel ouvrage. Je vous recommande encore de ne rien épargner, pour que l’impression vous fasse autant d’honneur que le livre en doit faire à son illustre et respectable auteur, quel qu’il soit.

 

         C’est sur la réputation de votre probité (1) et de votre intelligence que je vous ai préféré. Je vous recommande la diligence la plus prompte, et je vous prie de m’envoyer la première feuille imprimée, par la poste. J’attends l’envoi des dix exemplaires de mes Œuvres, par la barque, avec un volume du Machiavel d’Amelot de La Houssaie. VOLTAIRE.

 

         Je reçois votre billet et le duplicata ; accusez-moi la réception des deux paquets.

 

 

1 – Elle n’était guère méritée. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Mademoiselle Quinault.

17 Juin 1740.

 

 

[Il a reçu sa lettre du 5 mai qui a été décachetée. Il attend ses critiques sur Zulime que M. d’Argental lui annonce, et redemande les deux copies de cette tragédie. Afin de se raccommoder avec les dévots, il a pris l’abbé Moussinot pour intendant.]

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

A Bruxelles, le 18 Juin.

 

 

         Si j’avais l’honneur d’être auprès de mon cher monarque, savez-vous bien, monsieur, ce que je ferais ? je lui montrerais votre lettre, car je crois que ses ministres ne lui donneront jamais de si bons conseils. Mais il n’y a pas d’apparence que je voie, du moins sitôt, mon messie du Nord. Vous vous doutez bien que je ne sais point quitter mes amis pour des rois ; et je l’ai mandé tout net à ce charmant prince, que j’appelle votre humanité, au lieu de l’appeler votre majesté.

 

         A peinte est-il montré sur le trône, qu’il s’est souvenu de moi pour m’écrire la lettre la plus tendre, et pour m’ordonner, ce sont ses termes, de lui écrire toujours comme à un homme, et jamais comme à un roi.

 

         Savez-vous que tout le monde s’embrasse dans les rues de Berlin, en se félicitant sur les commencements de son règne ? Tout Berlin pleure de joie ; mais, pour son prédécesseur, personne ne l’a pleuré, que je sache. Belle leçon pour les rois ! les gens en place sont pour la plupart de grands misérables ; ils ne savent pas ce qu’on gagne à faire du bien.

 

J’ai cru faire plaisir, monsieur, au roi, à vous, et à M. de Valori, en lui transcrivant les propres paroles de ce ministre dont vous m’avez fait part : « Il commence son règne comme il y a apparence qu’il le continuera ; partout des traits de bonté, etc. » J’ai écrit aussi à M. de Valori ; j’ai fait plus encore, j’ai écrit à M. le baron de Kaiserling, favori du roi, et je lui ai transcrit les louanges non suspectes qui me reviennent de tous côtés de notre cher Marc-Aurèle prussien, et, surtout, les quatre lignes de votre lettre.

 

Vous m’avouerez qu’on aime d’ordinaire ceux dont on a l’approbation, et que le roi ne saura pas mauvais gré à M. de Valori de mon petit rapport, ni M. de Valori à moi. Des bagatelles établissent quelquefois la confiance ; et la première des instructions d’un ministre, c’est de plaire.

 

         Les affaires me paraissent bien brouillées en Allemagne et partout ; et je crois qu’il n’y a que le conseil de la Trinité qui sache ce qui arrivera dans la petite partie de notre petit tas de boue qu’on appelle Europe. La maison d’Autriche voudrait bien attaquer les Borbonides (1) ; mais sa pragmatique la retient. La Saxe et la Bavière disputeront la succession (2) ; Berg et Juliers est une nouvelle pomme de discorde, sans compter les Goths, Visigoths, et Gépides, qui pourraient danser dans cette pyrrhique de Barbares.

 

 

Suave, mari magno turbantibus æquora ventis,

Et terra magnum alterius spectare laborem.

 

LUCR., lib. II.

 

 

Débrouille qui voudra ces fusées ; moi je cultive en paix les arts, bien fâché que les comédiens aient voulu à toute force donner cette Zulime, que je n’ai jamais regardée que comme de la crème fouettée, dans le temps que j’avais quelque chose de meilleur à leur donner. J’ai eu l’honneur de vous en montrer les prémices.

 

Si me Marce (3), tuis vatibus inseris,

Sublimi feriam sidera vertice.

                                                         

HOR., lib. I, od. I.

 

 

Madame du Châtelet vous fait mille compliments ; vous connaissez mon tendre et respectueux attachement.

 

 

1 – Les Bourbons. (G.A.)

 

2 – De Charles VI, qui mourut en octobre 1740. (G.A.)

 

3 – Marc était le prénom du comte d’Argenson, et non du marquis. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Van Duren

Le 19 Juin.

 

 

J’ai reçu, monsieur, votre lettre du 12, et vous avez dû recevoir deux paquets contenant plusieurs chapitres de suite de l’Anti-Machiavel, jusqu’au XVIIIe.

 

Voici aujourd’hui les XIXe, XXe et XXIe. Il n’y en a que vingt-six ; ainsi vous ne devez pas perdre de temps.

 

Faites vos efforts, je vous prie, pour trouver un Machiavel d’Amelot de La Houssaie. Si vous n’en trouvez pas, envoyez-moi l’italien imprimé à côté de la réfutation. C’est un livre fait pour être éternellement lu par tous les politiques et par tous les ministres. Ils entendront tous l’italien, et, de plus, cet assemblage des deux langues sera quelque chose de nouveau en fait de littérature. Le Machiavel a été imprimé en trois volumes, peut-être même chez vous ; vous pouvez aisément en détacher le Prince. Mandez-moi à quoi vous vous résolvez, afin que j’y conforme la Préface dont on m’a fait l’honneur de me charger. Du reste, gardez-moi le secret comme je le garde à l’illustre auteur de cet ouvrage.

 

 

 

 

 

à M. de Maupertuis

A Bruxelles, le 22 Juin.

 

 

         Les grands hommes sont mes rois, monsieur, mais la converse n’a pas lieu ici ; les rois ne sont pas mes grands hommes. Une tête a beau être couronnée, je ne fais cas que de celles qui pensent comme la vôtre ; et c’est votre estime et votre amitié, non la faveur des souverains que j’ambitionne. Il n’y a que le roi de Prusse que je mets de niveau avec vous, parce que c’est de tous les rois le moins roi et le plus homme. Il est bienfaisant et éclairé, plein de grands talents et de grandes vertus ; il m’étonnera et m’affligera sensiblement, s’il se dément jamais. Il ne lui manque que d’être géomètre, mais il est profond métaphysicien, et moins bavard que le grand Volffius.

 

         J’irais observer cet astre du Nord, si je pouvais quitter celui dont je suis depuis dix ans (1) le satellite. Je ne suis pas comme les comètes de Descartes, qui voyagent de tourbillon en tourbillon.

 

A propos de tourbillon, j’ai lu le quatrième tome de Joseph Privat de Molières, qui prouve l’existence de Dieu par un poids de cinq livres posé sur un 4 de chiffre (2). Il paraît que vos confrères les examinateurs de son livre n’ont pas donné leurs suffrages à cette étrange preuve ; sur quoi j’avais pris la liberté de dire :

 

 

Quand il s’agit de prouver Dieu,

Vos messieurs de l’Académie

Tirent leur épingle du jeu

Avec beaucoup de prud’homie.

 

 

J’ai lu quelque chose de M. de Gamaches (3), mais je ne sais pas bien encore ce qu’il prétend. Il fait quelquefois le plaisant ; j’aimerais mieux clarté et méthode.

 

J’apprends de bien funestes nouvelles de la santé de madame de Richelieu ; vous perdrez une personne qui vous estimait et qui vous aimait, puisqu’elle  vous avait connu ; c’était presque la seule protectrice qui me restait à Paris. Je lui étais attaché dès son enfance ; si elle meurt, je serai inconsolable.

 

Adieu, monsieur, je vous suis attaché pour jamais. Vous savez que je vous ai toujours aimé, quoique je vous admirasse ; ce qui est assez rare à concilier.

 

 

1 – Ou plutôt huit ans. (G.A.)

 

2 – On appelle 4 de chiffre un piège à rats, sur lequel on met un poids. (K.)

 

3 – L’Astronomie physique de l’abbé de Gamaches. (K.)

 

 

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