CORRESPONDANCE : Année 1732 - Partie 27

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à M. de Formont

A Paris, ce samedi…. Novembre.

 

 

Il y a mille ans, mon cher Formont, que je ne vous ai écrit ; j’en suis plus fâché que vous. Vous me parliez, dans votre dernière lettre, de Zaïre ; Mais je l’ai perdu tout entier, à Fontainebleau, à faire des querelles entre les actrices, pour des premiers rôles, et entre la reine et les princesses, pour faire jouer des comédies, à former de grandes factions pour des bagatelles, et à brouiller toute la cour pour des riens. Dans les intervalles que me laissaient ces importantes billevesées, je m’amusais à lire Newton, au lieu de retoucher notre Zaïre. Je suis enfin déterminé à faire paraître ces Lettres anglaises ; et c’est pour cela qu’il m’a fallu relire Newton, car il ne m’est pas permis de parler d’un si grand homme sans le connaître. J’ai refondu entièrement les lettres où je parlais de lui, et j’ose donner un petit précis de toute sa philosophie. Je fais son histoire et celle de Descartes. Je touche en peu de mots les belles découvertes et les innombrables erreurs de notre René. J’ai la hardiesse de soutenir le système d’Isaac, qui me paraît démontré. Tout cela fera quatre ou cinq lettres, que je tâche d’égayer et de rendre intéressantes autant que la matière peut le permettre. Je suis aussi obligé de changer tout ce que j’avais écrit à l’occasion de M. Locke, parce qu’après tout je veux vivre en France, et qu’il ne m’est pas permis d’être aussi philosophe qu’un Anglais. Il me faut déguiser à Paris ce que je ne pourrais dire trop fortement à Londres. Cette circonspection, malheureuse mais nécessaire, me fait rayer plus d’un endroit assez plaisant sur les quakers et les presbytériens. Le cœur m’en saigne ; Thieriot en souffrira (1) ; vous regretterez ces endroits, et moi aussi ; mais

 

 

Non me fata meis patriuntur scribere nugas

Auspiciis, et sponte mea componere chartas.

 

 

VIRG., Eneid., IV.

 

 

J’ai lu au cardinal de Fleury deux lettres sur les quakers, desquelles j’avais pris grand soin de retrancher tout ce qui pouvait effaroucher sa dévote et sage éminence. Il a trouvé ce qui en restait encore assez plaisant ; mais le pauvre homme ne sait pas ce qu’il a perdu. Je compte vous envoyer mon manuscrit, dès que j’aurai tâché d’expliquer Newton et d’obscurcir Locke. Vous me paraissez aussi désirer certaines pièces fugitives dont l’abbé de Sade (2) vous a parlé. Je veux vous envoyer tout mon magasin à vous et à M. de Cid ville, pour vos étrennes ; mais je ne veux pas donner rien pour rien. Je sais, monsieur le fripon, que vous avez écrit à mademoiselle de L’aunai (3) une de ces lettres charmantes ou vous joignez les grâces à la raison, et où vous couvrez de roses votre bonnet de philosophe. Si vous nous faisiez part de ces gentillesses, ce serait en vérité très bien fait à vous, et je me croirais payer, avec usure, du magasin que je vous destine. Notre baronne (4) vous fait ses compliments. Tout le monde vous désire ici. Vous devriez bien venir reprendre votre appartement chez MM. des Ailleurs, et passer votre hiver à Paris. Vous me feriez peut-être faire encore quelque  tragédie nouvelle. Adieu ; je supplie M. de Cid ville de vous dire combien je vous aime, et je prie M. de Formons d’assurer mon cher Cid ville de ma tendre amitié.

 

Adieu ; je ne me croirai heureux que quand je pourrai passer ma vie entre vous deux.

 

 

1 – Herriot devait avoir le bénéfice de l’édition. (G.A.)

 

2 – Né en 1705. Il fut un des amants de madame de La Pipelinière. (G.A.)

 

3 – Madame de Stal. (G.A.)

 

4 – Madame de Fontaine-Martel. (G.A.)

 

 

 

 

À M. Clément

 

RECEVEUR DES TAILLES, A DREUX.

A Paris, le 24 Novembre.

 

 

Les vers aimables que vous avez bien voulu m’envoyer, monsieur, sont la récompense la plus flatteuse que j’aie jamais reçue de mes ouvrages. Vous faites si bien mon métier, que je n’ose plus m’en mêler après vous, et que je me réduis à vous remercier, en simple prose, de l’honneur et du plaisir que vous m’avez fait en vers. Je n’ai reçu que fort tard votre charmante lettre, et une fièvre qui m’est survenue, et dont je ne suis pas encore guéri, m’a privé, jusqu’à présent, du plaisir de vous répondre. On avait commencé, il y a quelque temps, monsieur, une édition de quelques-uns de mes ouvrages, qui a été suspendue. J’ai l’honneur de vous l’envoyer, tout imparfaite qu’elle est ; je vous prie de la recevoir comme un témoignage de ma reconnaissance, et de l’envie que j’ai de mériter votre suffrage. Il est beau à vous, monsieur de joindre aux calculs de Plutus l’harmonie d’Apollon. Je vous exhorte à réunir toujours ces deux divinités ; elles ont besoin l’une de l’autre.

 

 

One tuait punctum qui biscuit utile Dulcia.

 

HOR., Art. Pote.

 

 

J’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

 

 

À M. de Cid ville

8 Décembre 1732.

 

 

Je vous envoyai, l’autre jour,

L’abrégé d’un pèlerinage

Que je fis en certain séjour (1)

Où vous faites souvent voyage,

Ainsi qu’au temple de l’Amour.

Pour ce dernier n’y veut paraître,

J’y suis dès longtemps oublié ;

Mais pour celui de l’Amitié (2),

C’est avec vous que j’y veux être.

 

 

Or cette fredaine du Temple du Goût doit être montrée à très peu de monde ; et, surtout, qu’on n’en tire point de copie. Il y a plaisir d’avoir affaire à gens discrets comme vous. J’aurais dû, mon cher Cid ville, vous donner une belle place dans ce temple. Si le cardinal de Polignac vous connaissait, il vous y aurait placé lui-même.

 

J’ai écrit à Jorge, et lui ai envoyé un assez honnête errata qu’il faut qu’il imprime. Je vous supplie de ne laisser sortir aucune Zaïre sans cet errata, et, surtout, de vouloir bien attendre, pour la rendre publique à Rouen, qu’elle paraisse à Paris. Vous devez avoir les premières prémices, mais Paris doit avoir les secondes ; ensuite Rouen doit avoir le pas. Il faut que les choses soient dans les règles.  .  .  .  .  .  .  .  .  .

 

 

1 – Le Temple du Goût. (G.A.)

 

2 – Le Temple de l’Amitié. (G.A.)

 

 

 

 

à M. de Cideville

15 Décembre 1732.

 

Vous daignez vous abaisser à revoir des éditions, vous qui êtes fait assurément plutôt pour diriger des auteurs que des libraires. En vous remerciant, pour ma part, du soin que vous avez la bonté de prendre pour Zaïre. Si vous me passez sa conversion, j’ai l’amour-propre d’espérer que vous ne serez pas tout à fait mécontent du reste. Il me semble qu’on voit assez, dans la première scène, qu’elle serait chrétienne, si elle n’aimait pas Orosmane. Fatime, Nérestan, et la croix, avaient déjà fait quelque impression sur son cœur. Son père, son frère, et la grâce, achèvent cette affaire, au second acte. La grâce surtout ne doit point effaroucher ; c’est un être poétique et à qui l’illusion est attachée depuis longtemps. Pour le style, il ne faut pas s’attendre à celui de la Henriade. Une loure (1) ne se joue point sur le ton de la Descente de Mars.

 

 

Me dulcis dominæ musa Licymniæ

Cantus, me voluit dicere Lucidum

Fulgentes oculos, et bene mutuis

Fidum pectus amoribus.

 

HOR., liv. II, od. XII.

 

 

Il a fallu, ce me semble, répandre de la mollesse et de la facilité dans une pièce qui roule tout entière sur le sentiment. Qu’il mourût serait détestable dans Zaïre ; et Zaïre, vous pleurez, serait impertinent dans Horace. Suus unicuique locus est. Ne me reprochez donc point de détendre un peu les cordes de ma lyre ; les sons en eussent paru aigres, si j’avais voulu les rendre forts, en cette occasion.

 

Je compte vous envoyer incessamment une copie manuscrite de toutes mes Lettres sur M. Newton, dans lesquelles je débrouille, autant que je le peux, et pas plus qu’il ne le faut pour des Français, le système et même tous les systèmes de ce grand philosophe. J’évite avec soin d’entrer dans les calculs. Je me regarde comme un homme qui arrange ses affaires, sans chiffrer avec son intendant. Il n’y a qu’une Lettre touchant M. Locke. La seule matière philosophique que j’y traite est la petite bagatelle de l’immatérialité de l’âme ; mais la chose est trop de conséquence pour la traiter sérieusement. Il a fallu l’égayer, pour ne pas heurter de front messeigneurs les théologiens, gens qui voient si clairement la spiritualité de l’âme, qu’ils feraient brûler, s’ils pouvaient, les corps de ceux qui en doutent. J’ai envoyé un autre ouvrage à Jore, avec le privilège de Zaïre ; c’est une Epître dédicatoire d’un goût un peu nouveau. Je vous prie d’en retarder l’impression de quelques jours. Je ne l’ai adressée à M. Jore qu’afin qu’il la communiquât à mes deux juges, qui sont M. de Formont et M. de Cideville. Il y a bien des changements à y faire. Je compte vous en faire tenir incessamment une nouvelle copie.

 

On a joué, depuis peu, aux Italiens, deux critiques (2) de Zaïre : elles sont tombées l’une et l’autre ; mais leur humiliation ne me donne pas grand amour-propre ; car les Italiens pourraient être de fort mauvais plaisants, sans que Zaïre en fût meilleure.

 

Il y a ici quelques livres nouveaux oubliés en naissant, tels que le Repos de Cyrus (3), les Poésies du sieur Tannevot (4) et autres denrées. Le Spectacle de la nature (5), compilation assez bonne, dans un style ridicule, a eu un succès assez équivoque. Moncrif va être de l’Académie française (6), et faire jouer sa comédie des Abdérites, afin de justifier le choix des quarante aux yeux du public. Vale.

 

 

1 – Danse analogue à la gigue. (G.A.)

 

2 – Les Lettres anglaises. (G.A.)

 

3 – Arlequin au Parnasse, et les Enfants trouvés. (G.A.)

 

4 – Par l’abbé Pernetti. (G.A.)

 

5 – C’était un des censeurs royaux. (G.A.)

 

6 – Par l’abbé Pluche. (G.A.)

 

7 – Il ne fut de l’Académie qu’en 1733. (G.A.)

 

 

 

 

à M. de Maupertuis

 

 

 

J’ai lu ce matin, monsieur, les trois quarts de votre livre (1), avec le plaisir d’une fille qui lit un roman, et la foi d’un dévot qui lit l’Evangile (2).  Soyez toujours mon maître en physique, et mon disciple en amitié ; car je prétends vous aimer beaucoup, à condition que vous m’aimerez un peu. Vous êtes accoutumé à me donner des leçons ; souffrez donc, monsieur, que je soumette  à votre jugement quelques Lettres que j’ai écrites autrefois d’Angleterre, et qu’on veut imprimer à Londres. Je les ai corrigées depuis peu ; mais elles me paraissent avoir grand besoin d’être revues par des yeux comme les vôtres ; je vous demande en grâce de vouloir bien les lire ; Je n’ose vous prier de mettre par écrit les réflexions que vous ferez, il n’est pas juste que je vous donne tant de peine ; mais j’avoue que, si vous aviez cette bonté, je vous aurais une extrême obligation. J’ai choisi, parmi toutes ces Lettres, celles qui ont le plus de rapport aux études que vous honorez de la préférence ; non que vous n’étendiez votre empire sur plus d’une province du Parnasse, mais je n’ai pas voulu vous ennuyer à la foi in omni genere. Je veux essayer votre patience par degrés.

 

Quand vous voudrez faire encore un souper chez M. Dufaï, avec l’honnête musulman qui entend si bien le français (3), je serai à vos ordres, et je vous lirai le Temple du Goût. C’est un pays aussi connu de vous qu’il est ignoré de la plupart des géomètres. M. Newton ne le connaissait pas, et M. Leibnitz n’y avait guère voyagé qu’en Allemand.

 

Adieu, monsieur ; vous n’avez point de disciple plus ignorant, plus docile, et plus tendrement attaché que moi.

 

 

1 – Discours sur les différentes figures des astres. (G.A.)

 

2 – Cette première phrase était écrite sur une carte, avec ces mots en plus : « Je venais pour avoir l’honneur de vous le dire. » On l’a cousue à la lettre. (G.A.)

 

3 – M. de la Condamine, habillé en turc, avait soupé chez M. Dufaï, avec M. de Voltaire, sans être reconnu. (K.)

 

 

 

 

à M. de Cideville

Ce samedi.

 

 

Il est deux heures après midi ; je reçois dans ce moment votre lettre, mon cher ami. Je vous dirai, avec la précipitation où me met l’heure de la poste, que j’envoyai hier, sous le couvert de M. de Formont, une nouvelle copie de l’Epître (1) telle que je souhaite qu’elle soit imprimée. Je suis bien flatté de me rencontrer avec vous dans presque tous vos sentiments. Vous verrez que j’ai adouci, dans cette nouvelle copie, une partie des choses que vous craignez qui ne révoltent. Je ne suis point du tout de votre avis sur les trois rimes masculines et féminines de suite. Il me paraît que ce redoublement a beaucoup de grâce dans ces ouvrages familiers, et je vous renvoie, sur cela, à notre ami Chapelle et à l’abbé de Chaulieu, qu’on imprime à présent (2). A l’égard du style de cette épître, j’ai cru qu’il était temps de ne plus ennuyer le public d’examens sérieux, de règles, de disputes, de réponses à des critiques dont il ne se soucie guère. J’ai imaginé une préface d’un genre nouveau, dans un goût léger, qui plaît par lui-même ; et, à l’abri de ce badinage, je dis des vérités que peut-être je n’oserais pas hasarder dans un style sérieux. Tous les adoucissements que j’ai mis à ces vérités les feront passer pour ceux mêmes qui s’en choqueraient, si on ne leur dorait pas la pilule. L’éloge que je fais de Louis XIV est plutôt un encouragement qu’un reproche pour un jeune roi (3). Enfin, pour plus de sûreté, j’ai montré l’ouvrage à celui qui est chargé de la librairie (4), et je suis convenu avec lui que je le ferais imprimer sans approbation, et qu’il paraîtrait dans une seconde édition.

 

Je vous prie donc de vouloir bien dire à Jore qu’il presse l’impression de Zaïre et de cette épître, et qu’il se conforme, de point en point, à tout ce que je lui ai écrit.

 

Si vous trouvez encore quelque chose à redire dans l’épître, vous me ferez plaisir de me le mander. J’écrirai demain à M. de Formont. Adieu, adieu.

 

 

1 – L’Epître dédicatoire de Zaïre. (G.A.)

 

2 – Edition publiée par de Launay. (G.A.)

 

3 – Louis XV. (G.A.)

 

4 – De Rouillé. (G.A.)

 

 

 

 

à M. de Formont

 

 

Je vous adressai, avant-hier, mon cher ami et mon candide judex, la lettre à Falkener, telle que je l’avais corrigée et montrée à M. Rouillé. J’ai, depuis ce temps, reçu deux lettres de M. de Cideville à ce sujet. Je suis enchanté de la délicatesse de son amitié, mais je ne peux partager ses scrupules. Plus je relis cette Epître dédicatoire, plus j’y trouve des vérités utiles, adoucies par un badinage innocent. Je dis, et je le redirai toujours, jusqu’à ce qu’on en profite, que les lettres sont trop peu accueillies aujourd’hui. Je dis qu’à la cour on fait quelquefois des critiques absurdes :

 

 

Tous les jours, à la cour un sot de qualité

Peut juger de travers avec impunité.

 

BOILEAU, Sat. IX

 

 

Qui ne fait que de critiques générales n’offense personne, La Bruyère a dit cent fois pis, et n’en a plu que davantage.

 

         Les louanges que je donne, avec toute l’Europe, à Louis XIV, ne deviendront un jour la satire de Louis XV que si Louis XV ne l’imite pas ; mais en quel endroit insinué-je que Louis XV ne marchera pas sur ses traces ! Les vers sur Polyeucte renferment une vérité incontestable, et la manière dont ils sont amenés n’a rien d’indécent ; car ne dis-je pas que la corruption du cœur humain est telle, que la belle âme de Polyeucte aurait faiblement attendri, sans l’amour de sa femme pour Sévère, etc. ? Ce qui regarde la pauvre Lecouvreur est un fait connu de toute la terre, et dont j’aime à faire sentir la honte. Mais, en parlant d’amour et de Melpomène, j’écarte toutes les idées de religion qui pourraient s’y mêler, et je dis poétiquement ce que je n’ose pas dire sérieusement.

 

M. Rouillé, en voyant cette Epître, a dit que l’endroit de mademoiselle Lecouvreur était le seul qu’un approbateur ne puisse passer, et c’est lui-même qui a donné le conseil de faire paraître deux éditions ; la première sans l’Epître et avec le privilège ; la seconde, avec l’Epître et sans le privilège. C’est à quoi je me suis déterminé. J’ai écrit à Jore en conséquence. Je lui ai recommandé d’imprimer l’Epître à part, avec un nouveau titre, et de me l’envoyer à Versailles, tandis que l’édition entière de la tragédie viendra à la chambre syndicale, avec toute les formalités ridicules dont la librairie est enchevêtrée. Au reste, il n’y a rien dans cette épître qui me fasse peine. Que diriez-vous donc de mes pièces fugitives, qu’on veut imprimer, et de celles qui ont déjà paru ? ne sont-elles pas pleins de traits plus hardis cent fois, et de réflexions plus hasardées ? On me reprochera, dit-on, de mettre une lettre badine à la tête d’une tragédie chrétienne. Ma pièce n’est pas, Dieu merci, plus chrétienne que turque. J’ai prétendu faire une tragédie tendre et intéressante, et non pas un sermon : et dans quelque genre que Zaïre soit écrite, je ne vois pas qu’il soit défendu de faire imprimer une épître familière avec une tragédie. Le public est las de préfaces sérieuses et d’examens critiques. Il aimera mieux que je badine avec mon ami, en disant plus d’une vérité, que de me voir défendre Zaïre méthodiquement, et peut-être inutilement. En un mot, une préface m’aurait ennuyé, et la lettre à Falkener m’a beaucoup diverti. Je souhaite qu’ainsi soit de vous. Adieu. On m’a dit que vous viendrez bientôt. Vous ne trouverez personne à Paris qui vous aime plus tendrement que moi, et qui vous estime d’avantage ; Je suis pénétré de vos bontés.

 

 

à M. de Moncrif

 

 

Monsieur Rouillé a dû vous envoyer, mon cher ami, une certaine Zaïre (1). Je vous supplie d’en dire au plus vite votre sentiment. Ayez la bonté de bien assurer son altesse sérénissime que, si je ne souffrais pas comme un damné, presque tous les matins je serais à son lever. Adieu, venez donc souper chez nous aimable Moncrif.

 

 

1 – Moncrif fut chargé d’examiner la fameuse épître dédicatoire de Zaïre. Il l’approuva et en fut réprimandé. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Clément (1)

A Paris, le 25 Décembre.

 

 

J’étais à Versailles, monsieur, quand votre présent arriva à Paris. Madame de Fontaine-Martel le mangea sans moi ; mais vous n’y perdez rien. Elle a beaucoup de goût pour ce qui est excellent en son genre ; elle a autant de gourmandise que d’esprit. Elle a trouvé votre marcassin admirable ; mais elle est encore plus touchée de vos vers et de l’agrément de vos lettres. Je vous remercie de tout mon cœur, monsieur, de votre souvenir obligeant. Je voudrais bien vous envoyer, pour vos étrennes, une édition plus complète des ouvrages que vous avez reçus avec tant d’indulgence. Je me flatte que je paierai incessamment votre marcassin en cette mauvaise monnaie. Je vous souhaite, pour les compliments du nouvel an,

 

 

Que toujours de ses douces lois

Le dieu des vers vous endoctrine ;

Qu’à vos chants il joigne sa voix,

Tandis que de sa main divine

Il accordera, sous vos doigts,

La lyre agréable et badine

Dont vous vous servez quelquefois.

Que l’Amour, encor plus facile,

Préside à vos galants exploits,

Comme Phébus à votre style ;

Et que Plutus, ce dieu sournois,

Mais aux autres dieux très utile,

Rende, par maints écus tournois,

Les jours que la Parque vous file

Des jours plus heureux mille fois

Que ceux d’Horace ou de Virgile.

 

 

1 – C’est encore le receveur des tailles, à Dreux. (G.A.)

 

 

 

 

à M. de Formont

Décembre.

 

 

Vos confitures ont été reçues avec reconnaissance, et vos vers avec transport, comme vous le seriez vous-même. Ils vous ressemblent, mon cher Formont, ils sont pleins de justesse et d’esprit. Tout le monde croira, avec raison, que, si je ne vous réponds qu’en prose, c’est parce que je sens mon impuissance, et que je me défie de moi. Mais il y a encore une autre raison, c’est que je n’ai pas un instant dont je puisse disposer. Je retouche les Lettres anglaises pour vous les renvoyer. Je viens de finir le Temple du goût, ouvrage que j’aurais dû dédier à vous et à M. de Cideville, si M. le cardinal de Polignac et M. l’abbé de Rothelin ne me l’avaient pas demandé. Je le fais partir par la poste, et je pars, dans l’instant, pour Versailles, où l’on m’adresse les préface de Zaïre : Vous autres, qui avez un peu de loisir, écrivez-nous de longues lettres, à nous misérables qui n’y pouvons répondre qu’en billets écourtés. Mandez un peu ce que vous pensez du Temple du Goût ; car, après tout, messieurs, c’est votre affaire, et il s’agit de votre dieu et de votre église. Vous êtes les apôtres de la religion que je vais prêchant. Dieu veuille que vous ne me traitiez pas d’hérétique ! Adieu.

 

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