CORRESPONDANCE - Année 1732 - Partie 22

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à M. de Moncrif.

… Janvier 1732.

 

 

Vous savez peut-être, monsieur, qu’il m’arriva, il y a plus de deux ans, le même malheur, au sujet de la Henriade, que je viens d’éprouver par rapport au roi de Suède. On m’a saisi à Calais, les exemplaires que je destinais à ceux qui avaient souscrit en France. J’ai été un peu plus heureux ce mois-ci ; il vient de m’arriver un ballot d’exemplaires de la Henriade ; c’est une nouvelle édition in-octavo avec beaucoup de changements, une préface assez considérable et des notes. Je fais travailler aussi à une autre édition in-quarto, ornée de planches. Mon dessein est de faire délivrer l’une et l’autre aux souscripteurs, sans qu’il leur en coûte rien, afin de les dédommager d’avoir attendu si longtemps un ouvrage, qui méritait si peu de se faire attendre. Comme vous avez eu la bonté, monsieur, de me procurer quelques souscripteurs, je prends la liberté de vous supplier de me faire savoir leurs noms, afin que je m’acquitte de mon devoir envers vous et envers eux. Je leur enverrai ce que j’ai, et je me hâterai, de peur qu’on ne me saisisse encore.

 

Je suis, avec toute l’estime et tout l’attachement possibles, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

 

 

 

à M. de Moncrif

 

 

Je suis si malade ce matin que je ne peux sortir ; et pour comble de disgrâce, je dois lire ce soir Eriphyle, à sept heures, chez moi. Je vous demande en grâce, mon cher monsieur, de m’excuser auprès de son altesse sérénissime, si je ne suis pas à son lever. C’est une entreprise digne du grand Condé par la difficulté, que de vouloir faire entendre raison à des comédiens ; mais je suis sûr que tout ira bien, puisqu’il daigne s’en mêler. Mon embarras à présent est de savoir si Eriphyle méritera tant de bontés. Vous devriez venir l’entendre à sept heures ; on juge encore mieux à une seconde lecture. Vous savez que je ne demande que des critiques, et le cas que je fais des vôtres. J’attends réponse.

 

 

 

 

 

à M. de Cideville

3 Février 1732.

 

Enfin, mon cher Cideville, Eriphyle et mes souffrances me laissent un moment de liberté ; et j’en profite, quoique bien tard ; pour m’entretenir avec vous, pour vous parler de ma tendre amitié, et pour vous demander pardon d’avoir été si longtemps sans vous écrire. M. de Formont, que j’ai le bonheur de voir tous les jours, sait combien nous vous regrettons. Les moments agréables que je passe avec lui me font souvenir des heures délicieuses que j’ai passées avec vous. J’étais, pour le moins, aussi malade que je le suis, mais vous m’empêchiez de le sentir. M. de Lezeau est aussi à Paris ; mais je le vois aussi peu que je vois souvent M. de Formont, quoique ce soit lui qui ait écrit de sa main. Le premier acte d’Eriphyle. Pourquoi faut-il que ce soit M. de Lezeau  qui soit à Paris, et que vous restiez à Rouen ! Pardon cependant de mes souhaits ; je ne songeais qu’à moi, et je ne faisais pas réflexion que le séjour de Rouen vous est peut-être infiniment cher, et que vous y êtes le plus heureux de tous les hommes. Si cela est, comme je n’en doute pas, souffrez donc au moins que je vous en félicite. Je m’intéresse à votre bonheur avec autant de discrétion que vous en apportez pour être heureux. Je présume même que cette félicité dont je vous parle a retardé un peu votre petit opéra.

 

 

Vous êtes trop tendre pour croire

Que de Quinault la poétique gloire

De tous les biens soit le plus précieux (1).

 

 

         Pour moi, qui suis assez malheureux pour ne faire ma cour qu’à Eriphyle, j’ai  retravaillé ma tragédie avec l’ardeur d’un homme qui n’a point d’autre passion. Dieu veuille que je n’aie pas brodé un mauvais fond, et que je n’aie pas pris bien de la peine pour me faire siffler !

 

         Enfin les rôles sont entre les mains des comédiens, et, en attendant que je sois jugé par le parterre, j’ai fait jouer la pièce chez madame de Fontaine-Martel, qui m’a (comme vous savez peut-être) prêté un logement pour cet hiver. Eriphyle a été exécutée par des acteurs qui jouent incomparablement mieux que la troupe du faubourg Saint-Germain. La pièce a attendri, a fait verser des larmes ; mais c’est gagner en première instance un procès qu’on peut fort bien perdre en dernier ressort. Le cinquième acte est la plus mauvaise pièce de mon sac, et pourra bien me faire condamner. On me jouera immédiatement après le Glorieux ; c’est une pièce de M. Destouches, de laquelle on vous aura sans doute rendu compte. Elle a beaucoup de succès, et peut-être en aura-t-elle moins à la lecture qu’aux représentations. Ce n’est pas qu’elle ne soit, en général, bien écrite ; mais elle est froide par le fond et par la forme ; et je suis persuadé qu’elle n’est soutenue que par le jeu des acteurs pour lesquels il a travaillé. C’est un avantage qui me manque. J’ai fait ma pièce pour moi, et non pour Dufresne et pour Sarazin. Je l’ai même travaillé dans un goût auquel ni les acteurs ni les spectateurs ne sont accoutumés. J’ai été assez hardi pour songer uniquement à bien faire plutôt qu’à faire convenablement ; mais, après tout, si je ne réussis pas, il n’y en aura pas pour moi moins de honte ; et on m’accablera d’autant plus que le petit succès qu’a eu l’Histoire du roi de Suède a soulevé l’envie contre moi. Elle m’attend au parterre pour me punir d’avoir un peu réussi en prose. Je ferais bien mieux de ne plus songer au théâtre, puisque

 

 

Palma negata macrum, donata reducit opimum.

 

HOR., lib. II, ep. I.

 

 

         Il vaudrait mieux cent fois revenir achever mes Lettres anglaises auprès de vous.

 

 

O vanas homimum mentes, ô pectora cæca !

 

LUCR., liv. II.

 

 

         Voilà bien du babil pour un malade ; mais je vous aime, mon cher Cideville, et le cœur est toujours un peu diffus.

 

 

1 – Vers parodiés d’Armide, opéra de Quinault. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Cideville

Ce mercredi des Cendres, 27 Février.

 

 

La beauté qu’en secret Cideville idolâtre

Voit en lui deux talents rarement réunis :

Le cœur aimable de Daphnis,

Et le v.. du héros qui f…… Cléopâtre.

 

 

Cependant, mon cher ami, votre cœur a mieux réussi que le reste, et l’on est beaucoup plus content de vos bergers que de vos héros. Notre ami Formont, qui n’a point de tragédie à faire jouer, vous aura mandé plus au long des nouvelles de Daphnis et d’Antoine. Pour moi, qui cours risque d’être sifflé mercredi prochain (1), et qui vais faire répéter Eriphyle dans l’instant, je ne puis que me recommander à Dieu, et me taire sur les vers des autres.

 

Je voudrais que vous raccommodassiez votre besogne à Paris, et moi la mienne ; mais, comme probablement vous en avez de plus agréable à Rouen, je vous dirai seulement Felices quibus ista licent. Cependant, quand vous voudrez avoir du relâche et venir à Paris, j’espère, mon cher ami, pouvoir vous  procurer non seulement un appartement, mais une vie assez commode. C’est une affaire que j’ai dans la tête. Vous m’avez accoutumé à vivre avec vous, et il faut que j’y revive.

 

         Adieu ; je vous embrasse tendrement. Pluria alias.

 

 

1 – Eriphyle fut jouée le vendredi 7 Mars. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la princesse de Guise

Mars 1732.

 

Madame, mon petit voyage à Arcueil m’a tourné la tête. Je croyais n’aimer que la solitude, et je sens que je n’aime plus qu’à vous faire ma cour. Au moins, si je suis destiné à vivre en hibou, je ne veux me retirer que dans les lieux que vous aurez habités et embellis. Je supplie donc votre altesse et M. le prince de Guise de donner à votre concierge ordre de me recevoir à Arcueil. Il faudra que je sois bien malheureux si de là je ne vais pas vous faire ma cour à Monjeu.

 

Je viens de faire, dans le moment, une infidélité à la maison de Lorraine. Voici un prince (1) du sang pour qui j’ai rimé, ce matin, un petit madrigal. Il mériterait mieux ; car il m’a enchanté. Comment, madame ! Il est aimable comme s’il n’était qu’un particulier.

 

 

Non : je n’étais point fait pour aimer la grandeur ;

Tout éclat m’importune et tout faste m’assomme ;

Mais Clermont, malgré moi, subjugue enfin mon cœur :

Je crois n’y voir qu’une prince, et j’y rencontre un homme.

 

 

Je crois lui donner, par ce dernier vers, la plus juste louange du monde, et, en même temps, la plus grande.

 

Il faudrait que j’eusse l’esprit bien bouché, si, ayant eu l’honneur de vous approcher, si je ne savais pas donner aux choses leur véritable prix, et si je n’avais appris combien la grandeur peut être aimable. Mais je vois qu’au lieu d’un billet, je vous écris une épître dédicatoire, et qu’ainsi je vous déplais fort. Je suis donc, avec un profond respect, etc.

 

 

1 – Le comte de Clermont. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Cideville

Samedi 8 Mars 1732.

 

 

Il faut vous donner les prémices

De ces aimables fruits, aux beaux esprits si doux.

Le public a goûté mes derniers sacrifices :

Ils en sont plus dignes de vous.

 

 

Cela veut dire, mon cher Cideville, qu’Eriphyle, que vous avez vue naître, reçut hier la robe virile, devant une assez belle assemblée, qui ne fut pas mécontente, et qui justifia votre goût. Notre cinquième acte a été critiqué ; mais on pardonne au dessert, quand les autres services ont été passables. Je suis fâché, en bon chrétien, que le sacré n’ait pas le même succès que le profane, et que Jephté (1) et l’arche du Seigneur soient mal reçus à l’Opéra, lorsqu’un grand-prêtre de Jupiter et une catin d’Argos réussissent à la comédie ; mais j’aime encore mieux voir les mœurs du public dépravées que si c’était son goût. Je demande très humblement pardon à l’Ancien Testament s’il m’a ennuyé à l’Opéra.

 

Pardon d’un billet si succinct ; courtes lettres et longues amitiés est ma devise ; mais je serais bien fâché et j’y perdrais trop, si vos lettres étaient aussi courtes.

 

 

1 – Tragédie lyrique de Pellegrin, jouée le 23 Février. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Cideville

Ce 17 Mars 1732.

 

Voici M. de Linant, monsieur, qui fait des vers pleins d’images et d’harmonie, et qui mérite par là votre bienveillance. Je crois qu’il ira loin, parce qu’il a à présent trop d’idées et de fougue. La fureur de la jeunesse se change par le temps en chaleur. Je désespérerais de lui, si à son âge ses vers étaient raisonnables. Il m’a paru beaucoup plus sage que sa poésie, et je ne sais rien de si bien qu’une conversation douce et une poésie vive. Vous, mon cher Cideville, qui possédez si bien ces deux talents, encouragez-les dans ce jeune élève. Il sera digne de vivre à Paris en bonne compagnie quand il vous aura vu quelque temps. J’envie le plaisir qu’il va avoir : je ne puis m’empêcher de lui donner cette lettre, afin que je sois sûr qu’on vous parle de moi. Vous m’avez envoyé Versiculos dicaces, et une épître charmante. Adieu, le cœur le mieux fait et l’esprit le plus aimable que je connaisse.

 

 

 

 

à M. de Moncrif

… Mars 1732 (1).

 

Je devrais venir vous remercier ce matin, mon cher monsieur, je devrais être aux pieds de votre adorable prince. Dieu soit enfin loué ! Nous avons un prince qui a du goût. Mon cher Moncrif, il faut qu’il me protège ; ce sera le bon goût qui me protègera contre le mauvais.

 

         Ah ! Que les comédiens sont de pauvres gens ! Savez-vous bien qu’hier j’assemblai trois bons critiques, qui lurent les deux pièces jusqu’à onze heures ? Ils furent unanimement de votre avis. Je suis charmé que madame de Bouillon ait si bien senti, et si promptement, la différence qui est entre ces deux ouvrages. Il y a bien plus d’esprit et de goût, dans ce siècle, qu’on ne croit, mon cher Moncrif. Faites bien ma cour à monseigneur, et à madame de Bouillon ; aimez Voltaire et Eriphyle. Adieu, et vale. Je suis chez moi, parce que je travaille.

 

 

1 – Presque tous les billets qui suivent et qui sont adressés à Moncrif ont été publiés par MM. de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Moncrif

Mars.

 

 

Mon cher Valerius, que votre consulat (1) ne vous fasse pas oublier Argos. J’ai besoin plus que jamais d’être approuvé et protégé par votre charmant maître. Je ne veux pas qu’un ouvrage, qui sera honoré de son nom, soit médiocre ; j’y travaille jour et nuit, et peut-être l’envie de lui plaire sera devenue talent chez moi. S’il daignait envoyer chercher la troupe comique encore une fois, et lui recommander Eriphyle, ce serait une bonne action digne de lui. J’ai abandonné cette pièce aux comédiens, quant au profit ; mais, pour la gloire, nous autres poètes ne sommes pas si généreux. Mon intérêt véritable, qui est celui de ma réputation, le droit que j’ai de faire continuer la pièce après Pâques, et, surtout, la protection dont m’honore monseigneur le comte de Clermont, me font espérer que les comédiens ne refuseront pas de jouer la pièce. Je sais bien qu’après les manières honnêtes et généreuses que j’ai eues avec eux, ils auront envie de me nuire, attendu l’esprit de corps ; mais j’attends tout des bontés de S.A.S. et de votre amitié.

 

 

1 – Moncrif, secrétaire des commandements du comte de Clermont, jouait en société le rôle de Valérius Publicola dans Brutus. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Moncrif

 

Mon cher Abdérite (1), vous me jouez un cruel tour ; je suis à l’agonie ; il m’est impossible de lire, de manger, de me remuer, de penser. Cependant je vais interrompre l’agonie, pour venir dire à monseigneur le comte que je suis très fâché de mourir sans lui obéir.

 

 

1 – Moncrif travaillait à sa comédie des Abdérites. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Moncrif

Ce vendredi …. 1732.

 

 

La princesse Eriphyle (1) est si charmée de la bonté qu’a un prince de France de lui donner sa loge, qu’elle ne peut différer d’user de cette permission. Elle vous demande donc cette loge pour aujourd’hui vendredi ou pour dimanche. Ayez la bonté, mon cher monsieur, de faire sur cela ce que vous jugerez convenable pour faire plaisir à quelqu’un qui vous en a tant fait.

 

Vous savez que ma malheureuse santé ne me permet pas de sortir les matins ; sans cela je vous apporterais sa requête et la mienne.

 

 

 

 

 

à M. de Moncrif

Mars.

 

 

Muse aimable, muse badine,

Esprit juste et non moins galant,

Vous ressemblez bien mieux à La Fare, à Ferrand,

Que je ne ressemble à Racine.

 

 

Grand merci de vos bontés ; j’y suis plus sensible qu’à des battements de mains (1).

 

Mon cher et aimable Tithon (2), j’ai été deux fois à votre palais sans pouvoir saluer son altesse. J’avais aussi à vous prier de passer chez madame de Fontaine-Martel, qui se vante d’avoir quelque chose à vous dire. Recevez donc, par écrit, mon invitation de venir la voir. Si vous rencontrez dans votre palais Rhadamiste et Palamède (3), ayez la bonté, je vous prie, de lui dire des choses bien tendres de la part de son admirateur. A l’égard de votre prince, je me suis écrié à sa porte :

 

 

J’ai par deux fois votre altesse ratée ;

Cela veut dire, hélas ! tout simplement,

Que ma muse deux fois s’est en vain présentée

Pour vous faire son compliment.

Heureux qui serait à portée

De rater effectivement

Votre personne tant vantée !

Il n’en ferait rien sûrement.

 

 

Cela est un peu irrégulier à présenter à un saint abbé comme monseigneur le comte de Clermont ; mais pour vous, qui n’êtes point in sacris, vous pouvez lire de ces sottises. Faites ma cour en prose à ce prince aimable, et brûlez mes vers ; j’y gagnerai beaucoup.

 

Adieu. Cela est honteux que vous ne fassiez plus de vers. Ce siècle-ci a plus besoin que jamais de grâces et de bon goût. Il faut que vous travailliez.

 

 

1 – Mademoiselle de Ballicour. (G.A.)

 

2 – MM. de Cayrol et François donnent ce commencement de billet avec ce qui suit : « Je demande à M. le comte sa protection. Je lui demande surtout qu’il me pardonne de n’être pas à son lever. La raison de cela, c’est que je ne peux pas me lever, moi qui vous parle, ayant ma détestable colique. J’irai chez M. de Lassay dès que je pourrai sortir : mais je commencerai par venir vous remercier. Mandez-nous si monseigneur vient dîner ; madame de Fontaine-Martel voudrait bien le savoir. Souvenez-vous de ce que vous savez auprès de son altesse ; c’est le seul prince à qui je ferai jamais ma cour. » (G.A.)

 

3 – Moncrif est auteur des Amours de Tithon et de l’Aurore, poème. (G.A.)

 

4 – Crébillon, auteur de Rhadamiste et d’Electre. Palamède est un des personnages de cette dernière tragédie. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de la Préverie

 

(A FOUGERAIS PAR DERVAL.)

A Paris, ce 24 Mars 1732.

 

 

Vous m’avez engagé, monsieur, à prêter quatorze cents francs à M. Mac-Carthy (1). Vous m’avez promis qu’on entrerait en paiement au mois de février ; nous sommes à la fin de mars. Je vous prie instamment, monsieur, de vouloir bien tenir la parole que vous m’avez donnée et sans laquelle je n’aurais pas pu prêter cette somme. Ayez la bonté, monsieur, de me renvoyer la grosse du contrat accepté par le fermier, et de me faire savoir à quoi je dois m’en tenir pour mon paiement.

 

Si vous le vouliez, je m’accommoderais avec le fermier ou avec vous de cette somme, et je vous céderais mes droits pour un peu d’argent comptant. Il est triste d’en être réduit là pour avoir fait plaisir à son ami ; mais j’aime mieux perdre une partie de mon argent que de courir après le tout. Je vous prie, monsieur, de ne me pas faire longtemps attendre une réponse. Il me semble que mes procédés méritent quelque attention.

 

Je suis parfaitement, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

1 – C’est un Irlandais qui ne remboursa jamais Voltaire et qui alla à Constantinople se faire empaler. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Moncrif

13 Avril 1732.

 

M. de Moncrif est supplié de mander s’il veut jouer un rôle dans Eriphyle, et s’il n’est pas toujours dans le dessein de jouer le commandeur dans l’Indiscret. La répétition de ces deux pièces se fait jeudi prochain, chez madame la comtesse de Fontaine-Martel. M. de Moncrif est aussi prié de mander quand on pourra faire sa cour à monseigneur le comte de Clermont ; et, ce dont il est encore plus prié, c’est de croire que le rimailleur qui fit Eriphyle et l’Indiscret, aime tendrement monsieur le commandeur et lui est dévoué pour toute la vie. Ce saint jour de Pâques.

 

 

 

 

 

à M. Brossette

14 Avril.

 

 

Je suis bien flatté de plaire à un homme comme vous, monsieur ; mais je le suis encore davantage de la bonté que vous avez de vouloir bien faire des corrections si judicieuses, dans l’Histoire de Charles XII.

 

Je ne sais rien de si honorable pour les ouvrages de M. Despréaux que d’avoir été commentés par vous, et lus par Charles XII. Vous avez raison de dire que le sel de ses satires ne pouvait guère être senti par un héros vandale, qui était beaucoup plus occupé de l’humiliation du czar et du roi de Pologne que de celle de Chapelain et de Cotin. Pour moi, quand j’ai dit que les satires de Boileau n’étaient pas ses meilleures pièces, je n’ai pas prétendu pour cela qu’elles fussent mauvaises. C’est la première manière de ce grand peintre, fort inférieure, à la vérité, à la seconde, mais très supérieure à celle de tous les écrivains de son temps, si vous en exceptez M. Racine. Je regarde ces deux grands hommes comme les seuls qui aient eu un pinceau correct, qui aient toujours employé des couleurs vives, et copié fidèlement la nature. Ce qui m’a toujours charmé dans leur style, c’est qu’ils ont dit ce qu’ils voulaient dire, et que jamais leurs pensées n’ont rien coûté à l’harmonie ni à la pureté du langage. Feu M. de La Motte, qui écrivait bien en prose ne parlait plus français quand il faisait des vers. Les tragédies de tous nos auteurs, depuis M. Racine, sont écrites dans un style froid et barbare ; aussi La Motte et ses consorts faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour rabaisser Despréaux, auquel ils ne pouvaient s’égaler. Il y a encore, à ce que j’entends dire, quelques-uns de ces beaux esprits subalternes qui passent leur vie dans les cafés, lesquels font à la mémoire de M. Despréaux le même honneur que les Chapelain faisaient à ses écrits, de son vivant. Ils en disent du mal, parce qu’ils sentent que si M. Despréaux les eût connus, il les aurait méprisés autant qu’ils méritent de l’être. Je serais très fâché que ces messieurs crussent que je pense comme eux, parce que je fais une grande différence entre ses premières satires et ses autres ouvrages. Je suis surtout de votre avis sur la neuvième satire, qui est un chef-d’œuvre, et dont l’Epître aux Muses, de M. Rousseau, n’est qu’une imitation un peu forcée. Je vous serai très obligé de me faire tenir la nouvelle édition des ouvrages de ce grand homme, qui méritait un commentateur comme vous. Si vous voulez aussi, monsieur, me faire le plaisir de m’envoyer l’Histoire de Charles XII, de l’édition de Lyon, je serai fort aise d’en avoir un exemplaire.

 

 

Correspondance 1732 - 22

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