CONTE : LA PRINCESSE DE BABYLONE - Chapitre XI - Partie 2

Publié le par loveVoltaire

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LA PRINCESSE DE BABYLONE.

 

 

 

PARTIE 2

 

 

 

 

 

CHAPITRE XI.

 

 

 

 

         Mais d’où venons-nous donc ? dit le roi. Je n’en sais rien, dit le phénix ; je voudrais seulement savoir où la belle princesse de Babylone et mon cher ami Amazan pourront aller. Je doute fort, repartit le roi qu’avec ses deux cents licornes, il soit en état de percer à travers tant d’armées de trois cent mille hommes chacune. Pourquoi non ? dit Amazan.

 

         Le roi de la Bétique sentit le sublime du pourquoi non ; mais il crut que le sublime seul ne suffisait pas contre des armées innombrables. Je vous conseille, dit-il, d’aller trouver le roi d’Ethiopie ; je suis en relation avec ce prince noir, par le moyen de mes Palestins ; je vous donnerai des lettres pour lui : puisqu’il est l’ennemi du roi d’Egypte, il sera trop heureux d’être fortifié par votre alliance. Je puis vous aider de deux mille hommes très sobres et très braves ; il ne tiendra qu’à vous d’en engager autant chez les peuples qui demeurent, ou plutôt qui sautent au pied des Pyrénées, et qu’on appelle Vasques ou Vascons. Envoyez un de vos guerriers sur une licorne avec quelques diamants ; il n’y a point de Vascon qui ne quitte le castel, c’est-à-dire la chaumière de son père, pour vous servir. Ils sont infatigables, courageux, et plaisants ; vous en serez très satisfait. En attendant qu’ils soient arrivés, nous vous donnerons des fêtes, et nous vous préparerons des vaisseaux. Je ne puis trop reconnaître le service que vous m’avez rendu.

 

         Amazan jouissait du bonheur d’avoir retrouvé Formosante, et de goûter en paix dans sa conversation tous les charmes de l’amour réconcilié, qui valent presque ceux de l’amour naissant.

 

         Bientôt une troupe fière et joyeuse de Vascons arriva en dansant au tambourin ; l’autre troupe fière et sérieuse de Bétiquois était prête. Le vieux roi tanné embrassa tendrement les deux amants ; il fit charger leurs vaisseaux d’armes, de lits, de jeux d’échecs, d’habits noirs, de golilles (1), d’oignons, de moutons, de poules, de farine, et de beaucoup d’ail, en leur souhaitant une heureuse traversée, un amour constant, et des victoires.

 

         La flotte aborda le rivage où l’on dit que tant de siècles après la Phénicienne Didon, sœur d’un Pygmalion, épouse d’un Siché, ayant quitté cette ville de Tyr, vint fonder la superbe ville de Carthage, en coupant un cuir de bœuf en lanières, selon le témoignage des plus graves auteurs de l’antiquité, lesquels n’ont jamais conté de fables, et selon les professeurs (2) qui ont écrit pour les petits garçons ; quoique après tout il n’y ait jamais eu personne à Tyr qui se soit appelé Pygmalion, ou Didon, ou Sichée, qui sont des noms entièrement grecs, et quoique enfin il n’y eût point de roi à Tyr en ces temps-là.

 

         La superbe Carthage n’était point encore un port de mer ; il n’y avait là que quelques Numides qui faisaient sécher des poissons au soleil. On côtoya la Byzacène et les Syrtes, les bords fertiles où furent depuis Cyrène et la grande Chersonèse.

 

         Enfin on arriva vers la première embouchure du fleuve sacré du Nil. C’est à l’extrémité de cette terre fertile que le port de Canope recevait déjà les vaisseaux de toutes les nations commerçantes, sans qu’on sût si le dieu Canope avait fondé le port, ou si les habitants avaient fabriqué le dieu, ni si l’étoile Canope avait donné son nom à la ville, ou si la ville avait donné le sien à l’étoile. Tout ce qu’on en savait, c’est que la ville et l’étoile étaient fort anciennes, et c’est tout ce qu’on peut savoir de l’origine des choses, de quelque nature qu’elles puissent être.

 

         Ce fut là que le roi d’Ethiopie, ayant ravagé toute l’Egypte, vit débarquer l’invincible Amazan et l’adorable Formosante. Il prit l’un pour le dieu des combats, et l’autre pour la déesse de la beauté. Amazan lui présenta la lettre de recommandation du roi de la Bétique. Le roi d’Ethiopie donna d’abord des fêtes admirables, suivant la coutume indispensable des temps héroïques : ensuite on parla d’aller exterminer les trois cent mille hommes du roi d’Egypte, les trois cent mille de l’empereur des Indes, et les trois cent mille du grand kan des Scythes qui assiégeaient l’immense, l’orgueilleuse, la voluptueuse ville de Babylone.

 

         Les deux mille Bétiquois qu’Amazan avait amenés avec lui dirent qu’ils n’avaient que faire du roi d’Ethiopie pour secourir Babylone ; que c’était assez que leur roi leur eût ordonné d’aller la délivrer ; qu’il suffisait d’eux pour cette expédition.

 

         Les Vascons dirent qu’ils en avaient bien fait d’autres ; qu’ils battraient tout seuls les Egyptiens, les Indiens, et les Scythes, et qu’ils ne voulaient marcher avec les soldats de la Bétique qu’à condition que ceux-ci seraient à l’arrière-garde.

 

         Les deux cents Gangarides se mirent à rire des prétentions de leurs alliés, et ils soutinrent qu’avec cent licornes seulement ils seraient fuir tous les rois de la terre. La belle Formosante les apaisa par sa prudence et par ses discours enchanteurs. Amazan présenta au monarque noir ses Gangarides, ses licornes, les Bétiquois, les Vascons, et son bel oiseau.

 

         Tout fut prêt bientôt pour marcher par Memphis, par Héliopolis, par Arsinoé, par Pétra, par Artémite, par Sora, par Apamée, pour aller attaquer les trois rois, et pour faire cette guerre mémorable, devant laquelle toutes les guerres que les hommes ont faites depuis n’ont été que des combats de coqs et de cailles.

 

         Chacun sait comment le roi d’Ethiopie devint amoureux de la belle Formosante, et comment il la surprit au lit, lorsqu’un doux sommeil fermait ses longues paupières. On se souvient qu’Amazan, témoin de ce spectacle, crut voir le jour et la nuit couchant ensemble. On n’ignore pas qu’Amazan indigné de l’affront, tira soudain sa fulminante, qu’il coupa la tête perverse du nègre insolent, et qu’il chassa tous les Ethiopiens d’Egypte. Ces prodiges ne sont-ils pas écrits dans le livre des chroniques d’Egypte ? La renommée a publié de ses cent bouches les victoires qu’il remporta sur les trois rois avec ses guerriers de la Bétique, ses Vascons, et ses licornes. Il rendit la belle Formosante à son père ; il délivra toute la suite de sa maîtresse, que le roi d’Egypte avait réduite en esclavage. Le grand kan des Scythes se déclara son vassal, et son mariage avec la princesse Aldée fut confirmé. L’invincible et généreux Amazan, reconnu pour héritier du royaume de Babylone, entra dans la ville en triomphe avec le phénix, en présence de cent rois tributaires. La fête de son mariage surpassa en tout celle que le roi Bélus avait donnée. On servit à table le bœuf Apis rôti. Le roi d’Egypte et celui des Indes donnèrent à boire aux deux époux, et ces noces furent célébrées par cinq cents grands poètes de Babylone.

 

         O Muses ! qu’on invoque toujours au commencement de son ouvrage, je ne vous implore qu’à la fin. C’est en vain qu’on me reproche de dire grâces sans avoir dit benedicite. Muses ! vous n’en serez pas moins mes protectrices. Empêchez que des continuateurs téméraires ne gâtent pas leurs fables les vérités que j’ai enseignées aux mortels dans ce fidèle récit, ainsi qu’ils ont osé falsifier Candide (3), l’Ingénu (4), et les chastes aventures de la chaste Jeanne, qu’un ex-capucin (5) a défigurées par des vers dignes des capucins, dans des éditions bataves. Qu’ils ne fassent pas ce tort à mon typographe, chargé d’une nombreuse famille, et qui possède à peine de quoi avoir des caractères, du papier, et de l’encre.

 

         O Muses ! imposez silence au détestable Cogé (6), professeur de bavarderie au collège Mazarin, qui n’a pas été content des discours moraux de Bélisaire et de l’empereur Justinien, et qui a écrit de vilains libelles diffamatoires contre ces deux grands hommes.

 

         Mettez un bâillon au pédant Larcher (7), qui, sans savoir un mot de l’ancien babylonien, sans avoir voyagé comme moi sur les bords de l’Euphrate et du Tigre, a eu l’impudence de soutenir que la belle Formosante, fille du plus grand roi du monde, et la princesse Aldée, et toutes les femmes de cette respectable cour, allaient coucher avec tous les palefreniers de l’Asie pour de l’argent, dans le grand temple de Babylone, par principe de religion. Ce libertin de collège, votre ennemi et celui de la pudeur, accuse les belles Egyptiennes de Mendès de n’avoir aimé que des boucs, se proposant en secret, par cet exemple, de faire un tour en Egypte pour avoir enfin de bonnes aventures.

 

         Comme il ne connaît pas plus le moderne que l’antique, il insinue, dans l’espérance de s’introduire auprès de quelque vieille, que notre incomparable Ninon, à l’âge de quatre-vingts ans, coucha avec l’abbé Gédoin, de l’Académie française et de celle des inscriptions et belles-lettres. Il n’a jamais entendu parler de l’abbé de Châteauneuf, qu’il prend pour l’abbé Gédoin (8). Il ne connaît pas plus Ninon que les filles de Babylone.

 

         Muses, filles du ciel, votre ennemi Larcher fait plus, il se répand en éloges sur la pédérastie ; il ose dire que tous les bambins de mon pays sont sujets à cette infamie. Il croit se sauver en augmentant le nombre des coupables.

 

         Nobles et chastes Muses, qui détestez également le pédantisme et la pédérastie, protégez-moi contre maître Larcher.

 

         Et vous, maître Aliboron, dit Fréron, ci-devant soi-disant jésuite, vous dont le Parnasse est tantôt à Bicêtre et tantôt au cabaret du coin (9) ; vous à qui l’on a rendu tant de justice sur tous les théâtres de l’Europe dans l’honnête comédie de l’Ecossaise (10) ; vous, digne fils du prêtre Desfontaines, qui naquîtes de ses amours avec un de ces beaux enfants qui portent un fer et un bandeau comme le fils de Vénus, et qui s’élancent comme lui dans les airs, quoiqu’ils n’aillent jamais qu’au haut des cheminées (11) ; mon cher Aliboron, pour qui j’ai toujours eu tant de tendresse, et qui m’avez fait rire un mois de suite du temps de cette Ecossaise, je vous recommande ma Princesse de Babylone ; dites-en bien du mal afin qu’on la lise.

 

         Je ne vous oublierai point ici, gazetier ecclésiastique (12), illustre orateur des convulsionnaires, père de l’Eglise fondée par l’abbé Bécherand (13) et par Abraham Chaumeix (14) ; ne manquez pas de dire dans vos feuilles, aussi pieuses qu’éloquentes et sensées, que la Princesse de Babylone est hérétique, déiste, et athée. Tâchez surtout d’engager le sieur Riballier (15) à faire condamner la Princesse de Babylone par la Sorbonne ; vous ferez grand plaisir à mon libraire, à qui j’ai donné cette petite histoire pour ses étrennes.

 

 

 

 

F . I . N.

 

 

 

 PRINCESSE DE BABYLONE - XI-2

 

 

1 – Collet espagnol.

 

2 – Tels que Larcher. Voyez la Défense de mon oncle. (G.A.)

 

3 – Voyez notre Avertissement sur Candide. (G.A.)

 

4 – On ne connaît pas une suite de l’Ingénu. (G.A.)

 

5 – Maubert. (G.A.)

 

6 – Voyez le Discours de Me Belleguier. (G.A.)

 

7 – Voyez, dans la CRITIQUE HISTORIQUE, la Défense de mon oncle. (G.A.)

 

8 – Voyez la Défense de mon oncle, et, Lettre sur mademoiselle de Lenclos. (G.A.)

 

9 – Voyez les Anecdotes sur Fréron.(G.A.)

 

10 – Voyez THÉÂTRE. (G.A.)

 

11 – Voyez la Lettre à Thiériot, 5 Juin 1733. (G.A.)

 

12 – Auteur anonyme des Nouvelles ecclésiastiques, journal janséniste. (G.A.)

 

13 – C’est le premier qui eut des convulsions sur le tombeau du diacre Pâris. (G.A.)

 

14 – Voyez une des notes du Russe à Paris. (G.A.)

 

15 – Syndic de Sorbonne, qui avait requis contre le Bélisaire de Marmontel. Voyez, aux POÉSIES, les Trois empereurs en Sorbonne. (G.A.)

 

 

 

 

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