EPITRE : à Madame DE FONTAINE-MARTEL

Publié le par loveVoltaire


Photo prise lors de ma promenade, avec James, dans l'allée de Charmilles, à la rencontre des cyclamens




A MADAME DE FONTAINE-MARTEL (1)

 

 

   1732  

 

 

O très singulière Martel (2),

J’ai pour vous estime profonde :

C’est dans votre petit hôtel,

C’est sur vos soupers que je fonde

Mon plaisir, le seul bien réel

Qu’un honnête homme ait en ce monde.

Il est vrai qu’un peu je vous gronde ;

Mais, malgré cette liberté,

Mon cœur vous trouve, en vérité,

Femme à peu de femme seconde ;

Car sous vos cornettes de nuit,

Sans préjugés et sans faiblesse,

Vous logez esprit qui séduit,

Et qui tient fort à la sagesse.

Or, votre sagesse n’est pas

Cette pointilleuse harpie

Qui raisonne sur tous les cas,

Et qui, triste sœur de l’Envie,

Ouvrant un gosier édenté,

Contre la tendre Volupté

Toujours prêche, argumente, et crie ;

Mais celle qui si doucement,

Sans effort et sans industrie,

Se bornant toute au sentiment,

Sait jusques au dernier moment

Répandre un charme sur la vie.

Voyez-vous pas de tous côtés

De très décrépites beautés,

Pleurant de n’être plus aimables,

Dans leur besoin de passion

Ne pouvant rester raisonnables,

S’affoler de dévotion,

Et de rechercher l’ambition

D’être bégueules respectables ?

Bien loin de cette triste erreur,

Vous avez, au lieu de vigiles,

Des soupers longs, gais et tranquilles ;

Des vers aimables et faciles,

Au lieu des fatras inutiles

De Quesnel et de Letourneur ;

Voltaire, au lieu d’un directeur ;

Et, pour mieux chasser toute angoisse

Au curé préférant Campra,

Vous avez logé à l’Opéra,

Au lieu de banc à la paroisse ;

Et ce qui rend mon sort plus doux,

C’est que ma maîtresse chez vous,

La Liberté, se voit logée ;

Cette Liberté mitigée,

A l’œil ouvert, au front serein,

A la démarche dégagée,

N’étant ni prude, ni catin,

Décente, et jamais arrangée,

Souriant d’un souris badin

A ces paroles chatouilleuses

Qui font baisser un œil malin

A mesdames les précieuses.

C’est là qu’on trouve la Gaîté,

Cette sœur de la Liberté,

Jamais aigre dans la satire,

Toujours vive dans les bons mots ;

Se moquant quelquefois des sots,

Et très souvent, mais à propos,

Permettant au sage de rire.

Que le ciel bénisse le cours

D’un sort aussi doux que le vôtre !

Martel, l’automne de vos jours

Vaut mieux que le printemps d’une autre.

 





 

 

1 – La comtesse de Fontaine-Martel, fille du président Desbordeaux : elle était telle qu’elle est peinte ici. Sa maison était très libre et très aimable. (1767) – Voltaire alla habiter chez elle vers la fin de décembre 1731. (G.A.)

 

2 – Il y avait d’abord quatre vers d’envoi :

 

D’un recoin de votre grenier,

Je vous adresse cette lettre

Que Beaugeney doit vous remettre

Ce soir au bas de l’escalier. (G.A.

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J
<br /> Je suis allé cet après midi dans l'allée de charmilles . Les cyclamens se souviennent de vous .<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Dites-leur que je me souviens de leurs jolis petits coussins de couleurs...<br /> <br /> Un vrai enchantement !<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> Je sais que je ne suis pas Volti, mais à quelques mots près, ce poème est fait pour vous loveV, et j'aimerais avoir le tiers du quart de son talent .<br /> Vous m'aviez proposé de réciter un poème dédié à Mlle Lecouvreur, ce que je n'ai pas fait, celui -ci me convient mieux , "femme à peu de femmes seconde", je vous fais ma révérence .<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Vous ne foulez pas, Mister James, avec vos 6 mots appris par coeur ! <br /> <br /> Comme gage vous m'apprendrez le poème de Melle Lecouvreur en entier pour ma prochaine visite ... mais sans penser à la gravure, hein ! Cela vous troublerait.<br /> <br /> Je vous fais le tiers du quart d'un baiser. [smiley féminin faisant la révérence]<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />