Hommage à Gust'

Publié le par loveVoltaire



 


(Une amie d'Auguste, dit Gust')








AU PRINCE ROYAL DE PRUSSE.

 

 

   1738  

 

 

 

 

Vous ordonnez que je vous dise

Tout ce qu’à Cirey nous faisons :

Ne le voyez-vous pas sans qu’on vous en instruise ?

Vous êtes notre maître, et nous vous imitons :

Nous retenons de vous les plus belles leçons

De la sagesse d’Epicure ;

Comme vous, nous sacrifions

A tous les arts, à la nature ;

Mais de fort loin nous vous suivons.

Ainsi, tandis qu’à l’aventure

Le dieu du jour lance un rayon

Au fond de quelque chambre obscure,

De ses traits la lumière pure

Y peint du plus vaste horizon

La perspective en miniature.

Une telle comparaison

Se sent un peu de la lecture

Et de Kircher et de Newton.

Par ce ton si philosophique

Qu’ose prendre ma faible voix,

Peut-être je gâte à la fois

La poésie et la physique.

Mais cette nouveauté me pique ;

Et du vieux code poétique

Je commence à braver les lois.

Qu’un autre, dans ses vers lyriques,

Depuis deux mille ans répétés,

Brode encor des fables antiques ;

Je veux de neuves vérités.

Divinités des bergeries,

Naïades des rives fleuries,

Satyres, qui dansez toujours,

Vieux enfants que l’on nomme Amours,

Qui faites naître en nos prairies

De mauvais vers et de beaux jours,

Allez remplir les hémistiches

De ces vers pillés et postiches

Des rimailleurs suivant les cours.

D’une mesure cadencée

Je connais le charme enchanteur

L’oreille est le chemin du cœur ;

L’harmonie et son bruit flatteur

Sont l’ornement de la pensée

Mais je préfère, avec raison,

Les belles fautes du génie

A l’exacte et froide oraison

D’un puriste d’académie

Jardins plantés en symétrie,

Arbres nains tirés au cordeau,

Celui qui vous mit au niveau

En vain s’applaudit, se récrie,

En voyant ce petit morceau :

Jardins, il faut que je vous fuie ;

Trop d’art me révolte et m’ennuie.

J’aime mieux ces vastes forêts :

La nature, libre et hardie,

Irrégulière dans ses traits,

S’accorde avec ma fantaisie.

Mais dans ce discours familier

En vain je crois étudier

Cette nature simple et belle ;

Je me sens plus irrégulier

Et beaucoup moins aimable qu’elle.

Accordez-moi votre pardon

Pour cette longue rapsodie ;

Je l’écrivis avec saillie,

Mais peu maître de ma raison,

Car j’étais auprès d’Émilie.

 

 

 

 

 

 

 

 

AU PRINCE ROYAL DE PRUSSE.


 

Au nom de Madame la Marquise du Châtelet,

A qui il avait demandé ce qu’elle faisait à Cirey

 

 

   1738  

 

 

 

 

Un peu philosophe et bergère,

Dans le sein d’un riant séjour,

Loin des riens brillants de la cour,

Des intrigues du ministère,

Des inconstances de l’amour,

Des absurdités du vulgaire

Toujours sot et toujours trompé,

Et de la troupe mercenaire

Par qui ce vulgaire est dupé,

Je vis heureuse et solitaire ;

Non pas que mon esprit sévère

Haïsse par son caractère

Tous les humains également :

Il faut les fuir, c’est chose claire ;

Mais non pas tous, assurément.

Vivre seule dans sa tanière

Est un assez méchant parti ;

Et ce n’est qu’avec un ami

Que la solitude doit plaire.

Pour ami j’ai choisi Voltaire ;

Peut-être en feriez-vous ainsi.

Mes jours s’écoulent sans tristesse ;

Et, dans mon loisir studieux,

Je ne demandais rien aux dieux

Que quelque dose de sagesse,

Quand le plus aimable d’entre eux,

A qui nous érigeons un temple,

A, par ses vers doux et nombreux,

De la sagesse que je veux

Donné les leçons et l’exemple.

Frédéric est le nom sacré

De ce dieu charmant qui m’éclaire :

Que ne puis-je aller à mon gré

Dans l’Olympe où l’on le révère !

Mais le chemin m’en est bouché.

Frédéric est un dieu caché,

Et c’est ce qui nous désespère.

Pour moi, nymphe de ces coteaux,

Et des prés si verts et si beaux,

Enrichis de l’eau qui les baise,

Soumise au fleuve de La Blaise,

Je reste parmi ses roseaux.

Mais vous, du séjour du tonnerre

Ne pourriez-vous descendre un peu ?

C’est bien la peine d’être dieu

Quand on ne vient pas sur la terre !

 

 

Publié dans Epîtres

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J
Merci LoveV et kala , je suis très touché par votre  attention. Gust' est peut-être maintenant dans une ruche, sans maladies et sans ennemis, prêt à nous donner du miel pour adoucir nos humeurs.Le petit bourdon au coquelicot me le confirme ...
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L
<br /> <br /> <br /> Voltaire aimait bien comparer sa belle à une abeille :<br /> <br /> "Cette divine abeille [Émilie] va porter son miel aux bourdons de Versailles".<br /> <br /> <br /> <br />