EPITRES : A Mme du Châtelet

Publié le par loveVoltaire

 

 

 

 


 

 

A Madame du Châtelet

 

(1734)

 

 

Je voulais, de mon cœur éternisant l’hommage,

Emprunter la langue des dieux,

Et vous parler votre langage :

Je voulais dans mes vers peindre la vive image

De ce feu, de cette âme, et de ces dons des cieux,

Qu’on sent dans vos discours et qu’on voit dans vos yeux.

Le projet était grand, mais faible est mon génie :

Aussitôt j’invoquai les dieux de l’harmonie,

Les maîtres qui d’Auguste ont embelli la cour ;

Tous me devaient aider, et chanter à leur tour.

Le cœur les fit parler, leur muse est naturelle ;

Vous les connaissez tous, ils sont vos favoris ;

Des auteurs à jamais ils sont l’heureux modèle,

Excepté de vos beaux esprits,

Et de Bernard de Fontenelle.

J’eus l’art de les toucher, car je parlais de vous ;

A votre nom divin je les vis tous paraître.

Virgile le premier, mon idole et mon maître,

Virgile s’avança d’un air égal et doux ;

Les échos répondaient à sa muse champêtre,

L’air, la terre et les cieux en étaient embellis ;

Tandis que ce pasteur, assis au pied d’un hêtre,

embrassait Corydon et caressait Philis,

on voyait près de lui, mais non pas sur sa trace,

cet adroit courtisan et délicat Horace,

mêlant au dieu du vin l’une et l’autre Vénus,

Vous parûtes alors, adorable Emilie :

Je vis soudain sur vous tous les yeux se tourner ;

Votre aspect enlaidit les belles,

Et de leurs amants enchantés

Vous fîtes autant d’infidèles.

Je pensais qu’à l’instant ils allaient m’inspirer ;

Mais, jaloux de vous plaire et de vous célébrer,

Ils ont bien rabaissé ma téméraire audace.

Je vois qu’il n’appartient qu’aux maîtres du parnasse

De vous offrir des vers, et de chanter pour vous ;

C’est un honneur dont je serais jaloux,

Si jamais j’étais à leur place.

 

 

 

A Madame du Châtelet

 

 

Il est deux dieux qui font tout ici-bas,

J’entends qui font que l’on plaît et qu’on aime :

Si ce n’est tout, du moins je ne crois pas

Etre le seul qui suive ce système.

Ces deux divinités sont l’Esprit et l’Amour,

Qui rarement vivent ensemble ;

L’intérêt les sépare, et chacun a sa cour.

Heureux celui qui les rassemble !

Assez d’ouvrages imparfaits

Sont les fruits de leur jalousie.

Ils voulurent pourtant un jour faire la paix :

Ce jour de paix fut unique en leur vie ;

Mais on ne l’oubliera jamais,

Car il produisit Emilie.

 

 

 

A Madame la Marquise du Châtelet

 

 

Tout est égal, et la nature sage

Veut au niveau ranger tous les humains :

Esprit, raison, beaux yeux, charmant visage,

Fleur de santé, doux loisir, jours sereins,

Vous avez tout, c’est là votre partage.

Moi, je parais un être infortuné,

De la nature enfant abandonné,

Et n’avoir rien semble mon apanage :

Mais vous m’aimez, les dieux m’ont tout donné.

 

 

 

A Madame la Marquise du Châtelet

 


lorsqu’elle apprenait l’algèbre

 


 

 

Sans doute vous serez célèbre

Par les grands calculs de l’algèbre

Où votre esprit est absorbé :

J’oserais m’y livrer moi-même ;

Mais, hélas ! A + D – B

N’est pas = à je vous aime.

 

 

 

A Madame du Châtelet

 

 

Lorsque Linus chante si tendrement,

Crois-tu que l’amour seul l’anime ?

Non, il sait l’art d’exprimer dans son chant

Plus d’amour que son cœur n’en sent ;

Et j’en sens plus qu’il n’en exprime.

 

 

 

A Madame du Châtelet

 

 

Mon cœur est pénétré de tout ce qui vous touche ;

De la félicité je vous fais des leçons ;

Mais j’y suis peu savant : un mot de votre bouche

Vaut bien mieux que tous mes sermons.

 

 

 

A Madame la Marquise du Châtelet

 

 

Nymphe aimable, nymphe brillante,

Vous en qui j’ai vu tout à tour

L’esprit de Pallas la savante

Et les grâces du tendre Amour,

De mon siècle les vains suffrages

N’enchanteront pas mes esprits ;

Je vous consacre mes ouvrages :

C’est de vous que j’attends leur prix.

 

 

 

A Madame du Châtelet

 

En recevant son portrait

 

 

Traits charmants, image vivante,

Du tendre et cher objet de ma brûlante ardeur,

L’image que l’amour a gravée en mon cœur

Est mille fois plus ressemblante.

 

 

 

A Madame du Châtelet

 

De Cirey, où il était pendant son exil, et ou elle lui avait écrit de Paris

 

 

On dit qu’autrefois Apollon,

Chassé de la voûte immortelle,

Devint berger et puis maçon,

Et laissa là son violon

Pour la houlette et la truelle.

Je suis cent fois plus malheureux

Votre présence m’est ravie ;

Je ne vois donc plus vos beaux yeux ;

Je vous perds, charmante Emilie ;

C’est moi qui suis chassé des cieux.

Pour vous, dans ce triste séjour,

Je m’adonne à l’architecture ;

Les talents ne sont pas enfants de la nature, 

Ils sont tous enfants de l’Amour.

 

 

 

A Madame la Marquise du Châtelet

 

 

Vous m’ordonnez de vous écrire,

Et l’Amour, qui conduit ma main,

A mis tous ses feux dans mon sein,

Et m’ordonne de vous le dire.

 

 

 

Sur le château de Cirey

 


(Février 1736)

 

 

Un voyageur qui ne mentit jamais

Passe à Cirey, l’admire, le contemple ;

Il croit d’abord que ce n’est qu’un palais ;

Mais il voit Emilie : « Ah ! dit-il, c’est un temple. »

 

 

 

 

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L
Mais, il manque le poème suivant:<br /> <br /> <br /> Si vous voulez que j’aime encore,<br /> Rendez-moi l’âge des amours ;<br /> Au crépuscule de mes jours<br /> Rejoignez, s’il se peut, l’aurore.<br /> <br /> Des beaux lieux où le dieu du vin<br /> Avec l’Amour tient son empire,<br /> Le Temps, qui me prend par la main,<br /> M’avertit que je me retire.<br /> <br /> De son inflexible rigueur<br /> Tirons au moins quelque avantage.<br /> Qui n’a pas l’esprit de son âge,<br /> De son âge a tout le malheur.<br /> <br /> Laissons à la belle jeunesse<br /> Ses folâtres emportements.<br /> Nous ne vivons que deux moments :<br /> Qu’il en soit un pour la sagesse.<br /> <br /> Quoi ! pour toujours vous me fuyez,<br /> Tendresse, illusion, folie,<br /> Dons du ciel, qui me consoliez<br /> Des amertumes de la vie !<br /> <br /> On meurt deux fois, je le vois bien :<br /> Cesser d’aimer et d’être aimable,<br /> C’est une mort insupportable ;<br /> Cesser de vivre, ce n’est rien. « <br /> <br /> Ainsi je déplorais la perte<br /> Des erreurs de mes premiers ans ;<br /> Et mon âme, aux désirs ouverte,<br /> Regrettait ses égarements.<br /> <br /> Du ciel alors daignant descendre,<br /> L’Amitié vint à mon secours ;<br /> Elle était peut-être aussi tendre,<br /> Mais moins vive que les Amours.<br /> <br /> Touché de sa beauté nouvelle,<br /> Et de sa lumière éclairé,<br /> Je la suivis; mais je pleurai<br /> De ne pouvoir plus suivre qu’elle.
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