LA BIBLE EXPLIQUÉE - Partie 56
Photo de PAPAPOUSS
LA BIBLE EXPLIQUÉE.
________
ANCIEN TESTAMENT.
(Partie 56)
______
JUGES.
(Chapitre XIII, v. 1.) Et les enfants d'Israël firent encore le mal devant le Seigneur, et ils furent esclaves des Philistins pendant quarante ans.
Or il y avait un homme de la tribu de Dan, nommé Manué, dont la femme était stérile ; et l'ange du Seigneur apparut à sa femme, et lui dit : Tu es stérile, tu concevras, et tu enfanteras un fils ; prends garde de ne boire du vin et de la bière ; tu ne mangeras rien d'immonde... le rasoir ne passera point sur la tête de ton fils ; car il sera nazaréen de Dieu dès son enfance et dès le ventre de sa mère. Elle enfanta donc un fils, et elle l'appela Samson (1)...
(Chapitre XIV, v.1) Samson descendit à Thamnatha ; et voyant des filles de Philistins, il dit à son père et à sa mère : J'ai vu des filles de Philistins ; j'en veux épouser une ; donnez-moi celle-là, parce qu'elle a plu à mes yeux (2)...
Il vit en chemin un jeune lion furieux et rugissant ; il le déchira comme un chevreau, n'ayant rien dans ses mains.
Et quelques jours après, il trouva un essaim d'abeilles dans la gueule du lion, et un rayon de miel (3).
(Chapitre XV, v. 4) Après cela, il continua son chemin, et il prit trois cents renards ; il les lia l'un à l'autre par la queue, et y attacha des flambeaux au milieu ; et, ayant allumé les flambeaux, il lâcha les renards qui brûlèrent tous les blés des Philistins, tant ceux qui étaient dans l'aire que ceux qui étaient sur pied, et les vignes et les oliviers (4).
1 - Nous voici à cette fameuse histoire de Samson, l'éternel sujet des plaisanteries des incrédules. D'abord ils parlent de cette servitude de quarante années comme des autres. C'est leur continuel argument contre la protection de Dieu accordée à ce peuple, et contre les miracles faits en sa faveur. Jamais, disent-ils, on ne vit rien de plus injurieux à la Divinité que de faire son peuple toujours esclave. Et il n'y a pas de plus mauvaise excuse que d'imputer son esclavage à ses péchés ; car les vainqueurs étaient des idolâtres beaucoup plus pécheurs encore, s'il est possible. On répond que Dieu châtiait ses enfants plus sévèrement qu'un autre peuple, parce que, ayant plus fait pour eux, ils étaient plus criminels.
Le rasoir qui ne devait point passer sur la tête de Samson forme une petite difficulté. On ne rasait point les Juifs ; ils portaient tous leurs cheveux. On consacrait quelquefois une petite partie de ces cheveux à tous les dieux de l'antiquité. On mettait un peu de ces cheveux sur les tombeaux ; et pour se couper les cheveux il semble qu'il fallait plutôt des ciseaux qu'un rasoir. Cependant on se rasait entièrement chez presque toutes les nations, quand on venait remercier les dieux d'être échappé d'un grand péril. La plupart de ces coutumes viennent d'Égypte, où les prêtres étaient rasés.
Les nazaréens chez les Juifs ne se rasaient point la tête pendant le temps de leur nazaréat, mais ils se rasaient le premier jour de cette consécration. Or ici il est dit que Samson ne se rasa jamais. C'était donc une sorte de nazaréat différent de celui qui était en usage. Sa force singulière, pour laquelle il était si renommé, consistait en ses cheveux.
L'ancienne fable du cheveu de Nisus, roi de Mégare, et de Cometho, fille de Ptérélas, est, selon nos critiques, la source dans laquelle une partie de l'histoire de Samson est puisée. Ils croient que le reste est pmris de la fable d'Hercule, qui eut autant de force que Samson, et qui succomba comme lui à l'amour des femmes. Le P. Pétau fait naître Hercule douze cent quatre-vingt-neuf ans avant notre ère, et il ne paraît pas vraisemblable à nos critiques que l'histoire de Samson ait été écrite auparavant. C'est sur quoi ils fondent leur sentiment, que toutes les histoires juives, comme nous fondent leur sentiment, que toutes les histoires juives, comme nous l'avons déjà dit, sont évidemment prises et grossièrement imitées des anciennes fables qui avaient cours dans le monde.
Le même Pétau, qui fait naître Hercule douze cent quatre-vingt-neuf ans avant notre ère, ne fait commencer les exploits de Samson que onze cent trente-cinq ans avant la même ère. Supposé qu'il eût commencé à vingt-cinq ans, il serait donc né en 1110. Hercule était donc né cent soixante et dix-neuf ans avant Samson. Il est donc démontré, selon ces critiques, que la fable de Samson trahi par les femmes est une imitation de la fable d'Hercule. Les sages commentateurs répondent qu'il est possible que les deux aventures soient vraies, et que l'une ne soit point prise de l'autre ; que dans tous les pays on a vu des hommes d'une force extraordinaire, et que plus on est vigoureux, plus on se livre aux femmes, et qu'alors on abrège ses jours.
2 - Le curé Meslier s'emporte à son ordinaire contre cette histoire sacrée, et plus violemment encore que contre les autres. "Quelle pitoyable sottise, dit-il de commencer la vie de Samson, nazaréen, particulièrement consacré au Dieu des Juifs, par la contravention la plus formelle à la loi juive ! Il était rigoureusement défendu aux Juifs d'épouser des étrangères, et encore plus d'épouser une Philistine. Cependant Manué et sa femme, qui ont consacré Samson dès sa naissance, lui donnent une Philistine en mariage, et cela dans une prétendue ville de Thamnatha qui n'a jamais existé. Je voudrais bien savoir comment les Philistins pouvaient s'abaisser jusqu'à donner leurs filles à un de leurs esclaves ?"
3 - Meslier trouve l'aventure du lion aussi ridicule que le mariage à Thamnatha. Il dit que les abeilles qui font ensuite du miel dans la gueule de ce lion sont la chose du monde la plus impertinente ; que les abeilles ne font jamais leur cire et leur miel que dans des ruches ; qu'elles ne bâtissent leurs ruches que dans les creux des arbres, et qu'il faut une année entière pour qu'on trouve du miel dans ces ruches ; qu'elles ont une aversion insurmontable pour les cadavres, et que l'auteur de ce misérable conte était aussi ignorant que dom Calmet, qui rapporte sérieusement la fable des abeilles nées du cuir d'un taureau. Quand on a de telles impertinences à commenter, dit Meslier, il ne faut point les commenter, il faut se taire.
4 - Il parle avec la même indécence de l'aventure des trois cents renards. Elle lui paraît un conte absurde, qui ne saurait même amuser les enfants les plus imbéciles. Calmet a beau dire que la populace de Rome faisait courir un renard avec un flambeau allumé sur le dos ; Bochart a beau dire que cet amusement de la canaille était une imitation de l'aventure des renards de Samson, Meslier n'en démord point : il soutient qu'il est impossible de trouver à point nommé trois cents renards, et de les attacher ensemble par la queue ; qu'il faudrait un temps trop considérable pour trouver ces trois cents renards, et qu'il n'y a point de renardier qui pût attacher ainsi trois cents renards. Si on trouvait, dit-il, un pareil conte dans un auteur profane, quel mépris n'aurait-on pas pour lui !