LA BIBLE EXPLIQUÉE - Partie 54
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LA BIBLE EXPLIQUÉE.
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ANCIEN TESTAMENT.
(Partie 54)
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JUGES.
En ce même temps les enfants d'Ammon combattant contre les enfants d'Israël, et les poursuivant vivement, les Israélites se réfugièrent vers Jephté, et lui dirent : Soyez notre prince, et combattez pour nous. Ils s'en allèrent donc avec lui en Galaad, et tout le peuple l'élut pour prince...
Jephté envoya des députés aux enfants d'Ammon, et leur fit dire : Le Seigneur Dieu d'Israël a détruit les Amorrhéens combattant contre son peuple ; et maintenant vous voulez posséder les terres des Amorrhéens (1) !...
Quoi donc! ce que votre Dieu Chamos possède (chapitre XI, v. 24) n'est-il pas à vous de droit ? Laissez-nous donc en possession de ce que notre Dieu a obtenu par ses victoires. Nous avons habité pendant trois cents ans dans le pays conquis ; pourquoi, dans tout ce temps-là, n'avez-vous pas réclamé vos droits (2) ? ...
Après cela l'esprit du Seigneur fut sur Jephté. Il courut tout le pays, et il voua un vœu au Seigneur, disant : Si tu me livres les enfants d'Ammon, je te sacrifierai en holocauste (au Seigneur) le premier qui sortira des portes de ma maison, et qui viendra au-devant de moi... Jephté passa ensuite dans les terres des enfants d'Ammon, que Dieu livra entre ses mains, et il ravagea vingt villes... Mais lorsque Jephté revint dans sa maison, à Maspha, sa fille unique, courut au-devant de lui en dansant au son du tambour. Et Jephté l'ayant vue, déchira ses vêtements, et lui dit : Hélas! ma fille, tu m'as trompé, et tu t'es trompée toi-même ; car j'ai fait un vœu au Seigneur, et il faut que j'accomplisse mon vœu (3).
1 - Cette députation et ce discours montrent évidemment qu'il y avait déjà chez ces peuples un droit des gens reconnu. Jephté, tout chef de voleurs qu'il est, agit en prince légitime dès qu'il est reconnu chef des Hébreux. Il envoie des ambassadeurs pour représenter ses raisons avant de les soutenir par les armes.
Nos adversaires ne répondent à cet argument qu'en niant tous les anciens livres hébreux, et qu'en soutenant toujours qu'ils n'ont pu être compilés que par des lévites ignorants dans des siècles très éloignés de ces temps sauvages. Comme les Juifs, s'étant enfin établis à Jérusalem, eurent toujours la guerre avec les peuples voisins, ils voulurent enfin établir quelques anciens droits sur les terres qu'on leur disputait, et ce fut alors, disent les critiques, que les lévites compilèrent ces livres sur d'anciennes traditions ; plus ils les remplirent de faits extraordinaires, de l'intervention continuelle de la Divinité, et de prodiges entassés sur d'autres prodiges, plus ils éblouirent leur peuple superstitieux et barbare. L'intérêt personnel de ces lévites, auteurs de ces livres, était qu'on crût fermement tous les faits qu'ils annonçaient au nom de Dieu, puisque c'était sur la croyance de ces faits mêmes que leur subsistance était fondée.
Remarquons que ce système des incrédules n'est établi que sur une conjecture ; et qu'une supposition, quand même elle serait très vraisemblable, ne suffit pas pour constater les faits.
2 - Nous sommes obligés de réfuter les critiques presque à chaque ligne. C'est ici leur plus grand triomphe. Ils croient voir une égalité parfaite entre Chamos, dieu des Ammonites, et Adonaï, dieu des Juifs. Ils sont convaincus que chaque petit peuple avait son dieu, comme chaque armée a son général. Salomon même bâtit un temple à Chamos. Ils croient que Klum, Phégor, Belréem, Belzébuth, Adonis, Thammus, Moloch-Melchom, Baalméon, Adad, Amalec, Malachel, Adramalec, Astaroth, Dagon, Dercéto, Atergati, Marnas, Turo, etc... étaient des noms différents qui signifiaient tous la même chose, le seigneur du lieu. Chacun avait son seigneur du lieu ; et c'était à qui l'emporterait sur les autres seigneurs. Chaque peuple combattait sous l'étendard de son dieu, comme les peuples barbares de l'Europe combattirent sous les étendards de leurs saints après la destruction de l'empire romain.
Nos incrédules soutiennent que cette vérité est pleinement reconnue par Jephté. Ce que Chamos vous a donné est à vous, ce qu'Adonaï nous a donné est à nous. Il n'y a point de sophisme qui puisse détruire un aveu si clair et si clairement énoncé. Calmet dit "que c'est une figure de discours qu'on appelle concession." Mais il n'y a point là de figure de discours, c'est un principe que Jephté établit nettement, et sur lequel il raisonne. Il faut ou rejeter entièrement le livre des Juges, ou convenir que Jephté admet deux dieux également puissants.
La meilleure réponse, à notre avis, serait que le texte est corrompu dans cet endroit par des copistes, et qu'il n'était pas possible que Jephté, qui avait entendu parler de tous les miracles du Dieu des Juifs en faveur de son peuple, pût croire qu'il y eût un autre dieu aussi puissant que lui : Non est deus sicut Deus noster.
On pourrait encore dire que Jephté était fils d'un adorateur de Baal, et que peut-être il n'était pas encore assez instruit de la religion du peuple juif, qui l'avait choisi pour son chef.
3 - Ce mot seul, "je te sacrifierai en holocauste," décide la question si longtemps agitée entre les commentateurs, si Jephté promit un vrai sacrifice ou simplement une oblation qu'on pouvait évaluer à prix d'argent. S'il ne s'était agi que de quelques sicles, de quelques drachmes, ce capitaine n'aurait pas déchiré ses vêtements en voyant sa fille ; il n'aurait pas dit en gémissant : J'ai fait un vœu, il faut que je l'accomplisse. Il est statué expressément au chapitre XXVII du Lévitique, "que tout ce qui sera voué au Seigneur, soit homme, soit animal, ne sera point racheté, mais mourra de mort."