LA BIBLE EXPLIQUÉE - Partie 28
LA BIBLE EXPLIQUÉE.
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ANCIEN TESTAMENT.
(Partie 28)
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EXODE.
Alors le Seigneur parla à Mosé, et lui dit : Va, et descends (1). Et lorsque Mosé fut arrivé près du camp, il vit le veau et les danses ; et de colère il jeta les tables et les brisa ; et prenant le veau qu'ils avaient fait, il le mit au feu, et le réduisit en poudre, et répandit cette poudre dans l'eau, et en donna à boire aux fils d'Israël ; puis Mosé se mit à la porte du camp, et dit : Si quelqu'un est au Seigneur, qu'il se joigne à moi. Et les enfants de Lévi s'assemblèrent autour de lui, et il leur dit : Voici ce que dit le Seigneur : Allez, et revenez d'une porte à l'autre par le milieu du camp, et que chacun tue son frère, son ami et son prochain (2).
Le Seigneur frappa donc le peuple pour le crime du veau qu'avait fait Aaron (3) ; et le Seigneur parla donc à Mosé, et lui dit : Va, pars de ce lieu, et entre dans le pays que j'ai juré de donner à Abraham, à Isaac et à Jacob, et j'enverrai un ange pour chasser les Cananéens, les Amorrhéens, les Ethéens, les Hévéens, les Phéréséens et les Jésubéens... Or le Seigneur parlait à Mosé face à face, comme un homme parle à son ami... Puis le Seigneur lui dit : Je marcherai devant toi, et je te procurerai du repos... Mosé repartit : Fais-moi voir ta gloire. Dieu répondit : Je te montrerai tous les biens, et en passant devant toi, je te ferai voir ma gloire : je crierai moi-même en prononçant mon nom ; je ferai miséricorde à qui je voudrai. Et il dit de plus : Tu ne pourras voir ma face : car nul homme ne me verra sans mourir ;mais il y a une façon de me voir : tu te mettras sur le rocher, et quand ma gloire passera, je te mettrai dans une fente du rocher, et je te cacherai de ma main : tu verras mon derrière (4) ; mais tu ne pourras pas voir mon visage.
1 - Le texte hébreu porte : Il fit un veau au burin, et il le jeta en fonte ; mais c'est une transposition ; on jette d'abord en fonte, et ensuite on répare au burin, ou, pour parler plus proprement, au ciseau. Il est très vrai qu'il est impossible de jeter un veau d'or en fonte, et de le réparer en une nuit. Il faut au moins trois mois d'un travail assidu pour achever un tel ouvrage, et il n'y a pas d'apparence que les Juifs, dans un désert, eussent des fondeurs d'or, qui ne se trouvent que dans de grandes villes : il n'est pas concevable que trois millions de Juifs, qui venaient de voir et d'entendre Dieu lui-même au milieu des trompettes et des tonnerres, voulussent si tôt, et en sa présence même, quitter son service pour celui d'un veau. Nous ne dirons pas comme les incrédules que c'est une fable absurde, imaginée après plusieurs siècles par quelque lévite pour donner du relief à ses confrères, qui punirent si violemment le crime des autres Israélites. A Dieu ne plaise que nous adoptions jamais de tels blasphèmes ! Quelque difficulté que nous trouvions à expliquer un événement si hors de la nature nous ne pouvons soupçonner un lévite d'avoir ajouté quelque chose au texte sacré. Nous regardons seulement cette histoire prodigieuse comme les autres choses encore plus prodigieuses que Dieu fit pour exercer sa justice et sa miséricorde sur son peuple juif, le seul peuple avec lequel il habitait continuellement, délaissant pour lui tous les autres peuples. Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l'article FONTE et notre note. Le veau d'or n'est qu'une imitation du bœuf Apis. (G.A.)
2 - Cet article n'est pas le moins difficile de la sainte Écriture. Il faut convenir d'abord que l'on ne peut réduire l'or en poudre en le jetant au feu ; c'est une opération impossible à tout l'art humain : tous les systèmes, toutes les suppositions de plusieurs ignorants qui ont parlé au hasard des choses dont ils n'ont pas la moindre connaissance, sont bien loin de résoudre ce problème. L'or potable dont ils parlent, c'est de l'or qu'on a dissous dans de l'eau régale ; et c'est le plus violent des poisons, à moins qu'on n'en ait affaibli et c'est le plus violent des poisons, à moins qu'on n'en ait affaibli la force ; encore ne dissout-on dans de l'eau régale ; et c'est le plus violent des poisons, à moins qu'on n'en ait affaibli la force ; encore ne dissout-on l'or que très imparfaitement ; et la liqueur dans laquelle il est mêlé est toujours très corrosive : on pourrait aussi dissoudre de l'or avec du soufre ; mais cela ferait une liqueur détestable qu'il serait impossible d'avaler. Si donc on demande par quel art Mosé fit cette opération, on doit répondre que c'est par un nouveau miracle que Dieu daigna faire comme il en fit tant d'autres. Tout ce que dit là-dessus dom Calmet est d'un homme qui ne sait aucun principe de chimie.
Mosé fait ici une autre action, qui n'est pas absolument impossible : il se met à la tête de la tribu de Lévi, et tue vingt-trois mille hommes de sa nation, qui tous sont supposés être bien armés, puisqu'ils venaient de combattre les Amalécites. Jamais un peuple entier ne s'est laissé égorger ainsi sans se défendre : il n'est point dit que les lévites fussent exempts de la faute de tout le peuple ; il n'est point dit qu'ils eussent un ordre exprès de Dieu de massacrer leurs frères ; et un ordre exprès de Dieu semble nécessaire pour justifier cette boucherie incroyable. Le texte porte que les lévites passèrent d'une porte du camp à l'autre ; il n'est guère possible que trois millions de personnes aient été dans un camp, et que ce camp eût des portes dans un désert où il n'y eut jamais d'arbres ; mais c'est une faible remarque en comparaison de la barbarie avec laquelle Mosé dit aux lévites : Vous avez consacré aujourd'hui vos mains au Seigneur, chacun de vous a tué son fils ou son frère afin que Dieu vous bénisse. Il eût été plus beau sans doute à Mosé de se dévouer pour son peuple, comme on le dit des Codrus et des Curtius. Adorons humblement les voies du Seigneur : mais gardons-nous de louer la fureur abominable de ces lévites, qui ne doit jamais être imitée pour quelque cause que ce puisse être.
3 - Le texte dit expressément que Dieu frappa tout le peuple pour le péché d'Aaron ; et non-seulement Aaron est épargné, mais il est fait ensuite grand-prêtre : ce n'est point là l'idée que nous avons de la justice ordinaire. Ce sont des profondeurs que nous devons adorer. Plusieurs théologiens ont observé que les deux premiers pontifes de l'ancienne loi et de la nouvelle ont tous deux commencé par une apostasie. Leur repentir leur a tenu lieu d'innocence ; mais il n'est point dit expressément qu'Aaron eût demandé pardon à Dieu de son crime ; au lieu qu'il est dit que saint Pierre expia le sien par ses larmes, quoiqu'il fût infiniment moins coupable qu'Aaron.
Quelques-uns ont remarqué, non sans malignité, que Dieu dit d'abord qu'il enverra un ange pour chasser les Cananéens, et qu'ensuite il dit qu'il ira lui-même ; mais il n'y a point de contradiction : au contraire, c'est peut-être un redoublement de bienfaits pour consoler le peuple de la perte de vingt-trois mille hommes qu'on vient d'égorger.
Il n'est pas si aisé d'expliquer ce que l'auteur entend quand Mosé demande à Dieu de lui faire voir sa gloire. Il semble qu'il l'a vue assez pleinement et d'assez près, mais il a conversé avec Dieu pendant quarante jours sur la montagne, qu'il a vu Dieu face à face, et que Dieu lui a parlé comme un ami à un ami. Dieu lui répond : Vous ne pouvez voir ma face, "car nul homme ne me verra sans mourir." C'était en effet l'opinion de toute l'antiquité, comme nous l'avons vu, qu'on mourait quand on avait vu les dieux. S'il est permis de joindre ici le profane au sacré, on peut remarquer que Sémélé mourut pour avoir voulu voir Zeus, que nous nommons Jupiter, dans toute sa gloire. Il faut supposer que quand Mosé parla à Dieu face à face, comme un ami à un ami, il y avait entre eux une nuée pareille à celle qui conduisait les Hébreux dans le désert : autrement ce serait une contradiction inexplicable ; car ici Dieu ne lui permet point de voir sa face sans voile, il lui permet seulement de voir son derrière. Ces choses sont si éloignées des opinions, des usages, des mœurs qui règnent aujourd'hui sur la terre, qu'il faut, en lisant cet ouvrage divin, se regarder comme dans un autre monde. Nous sommes bien loin d'oser comparer les poèmes d'Homère à l'Écriture sainte, quoique Eustache l'ait fait avec succès ; mais nous osons dire que dans Homère il n'y a pas deux actions qui aient la moindre ressemblance avec ce que nous voyons de nos jours, et c'est cela même qui rend les poèmes d'Homère très précieux. L'Ancien Testament l'est plus encore.
4 - Ou plutôt : Tu verras mon reflet. (G.A.)