MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS - Chapitre XXV
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MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS.
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CHAPITRE XXV.
Des méprises en mathématiques.
Ce fut le scandale de la géométrie, lorsque, vers le commencement de ce siècle, des mathématiciens français et allemands disputèrent sur la force des corps en mouvement. Les disciples de Leibnitz prétendaient que cette force était en raison composée du carré de la vitesse et de la pesanteur des corps. Les Français, au contraire, ne mesuraient cette force que par la vitesse multipliée par la masse. M. de Mairan exposa le malentendu avec beaucoup de clarté. La victoire demeura à l'ancienne philosophie, et il est à remarquer que jamais aucun géomètre anglais ne voulut entendre parler de la nouvelle mesure introduite en Allemagne par Leibnitz.
L'Académie des sciences de Paris fut trompée quelque temps sur une matière plus importante. Voici le fait tel qu'il est rapporté dans les Éléments de Newton (1).
« Louis XIV avait signalé son règne par cette méridienne qui traverse la France ; l'illustre Dominique Cassini l'avait commencée avec monsieur son fils ; il avait, en 1701, tiré du pied des Pyrénées à l'Observatoire une ligne aussi droite qu'on le pouvait, à travers les obstacles presque insurmontables que les hauteurs des montagnes, les changements de la réfraction dans l'air, et les altérations des instruments opposaient sans cesse à cette vaste et délicate entreprise; il avait donc, en 1701, mesuré six degrés dix-huit minutes de cette méridienne. Mais de quelque endroit que vînt l'erreur, il avait trouve les degrés vers Paris, c'est-à-dire vers le nord, plus petits que ceux qui allaient de Norwood et la nouvelle théorie de la terre aplatie aux pôles. Cependant cette nouvelle théorie commençait à être tellement reçue, que le secrétaire de l'Académie (2) n'hésita point, dans son Histoire de 1701, à dire que les mesures nouvelles prises en France prouvaient que la terre est un sphéroïde dont les pôles sont aplatis. Les mesures de Dominique Cassini entraînaient à la vérité, une conclusion toute contraire ; mais, comme la figure de la terre ne faisait pas encore en France une question, personne ne releva pour lors cette conclusion fausse. Les degrés du méridien, de Collioure à Paris, passèrent pour exactement mesurés, et le pôle, qui, par ces mesures, devait nécessairement être allongé, passa pour aplati.
Un ingénieur, nommé M. Des Roubais, étonné de la conclusion, démontra que, par les mesures prises en France, la terre devait être un sphéroïde oblong, dont le méridien qui va d'un pôle à l'autre est plus long que l'équateur, et dont les pôles sont allongés (3). Mais de tous les physiciens à qui il adressa sa dissertation, aucun ne voulut la faire imprimer, parce qu'il semblait que l'Académie eût prononcé, et qui paraissait trop hardi à un particulier de réclamer. Quelque temps après l'erreur de 1701 fut reconnue ; on se dédit, et la terre fut allongée par une juste conclusion tirée d'un faux principe. » Enfin l'erreur fut entièrement corrigée.
Une société savante revient bientôt à la vérité. Tout le monde convient aujourd'hui que la planète de la terre est un sphéroïde inégal un peu aplati vers les pôles, et cela est plus démontré par la théorie d'Huygens et de Newton que par toutes les mesures qu'on pourrait prendre, mesures trop sujettes à des erreurs inévitables.
Aussi les Anglais, qui aiment tant à voyager, n'ont-ils jamais fait aucun voyage pour vérifier d'une manière toujours un peu incertaine ce qui leur paraissait démontré par les lois de la nature.
1 – Troisième partie, chapitre IX. (G.A.)
2 – Fontenelle. (G.A.)
3 – Son mémoire est dans le Journal littéraire. (G.A.)