ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS - SIGISMOND - Partie 45-3
Photo de PAPAPOUSS
SIGISMOND,
ROI DE BOHÊME ET DE HONGRIE,
MARGRAVE DE BRANDEBOURG.
(Partie 3)
1419. De plus grands troubles s'élevaient en Bohême. Les cendres de Jean Hus et de Jérôme de Prague excitaient un incendie.
Les partisans de ces deux infortunés voulurent soutenir leur doctrine et venger leur mort. Le célèbre Jean Ziska se met à la tête des hussites, et tâche de profiter de la faiblesse de Venceslas, du fanatisme des Bohémiens, et de la haine qu'on commence à porter au clergé, pour se faire un parti puissant et s'établir une domination.
Venceslas meurt en Bohême presque ignoré. Sigismond a donc à la fois l'empire, la Hongrie, la Bohême, la suzeraineté de la Silésie ; et, s'il n'avait pas vendu son électorat de Brandebourg, il pouvait fonder la plus puissante maison d'Allemagne.
1420. C'est contre ce puissant empereur que Jean Ziska se soutient, et lui fait la guerre dans ses États patrimoniaux. Les moines étaient le plus souvent les victimes de cette guerre ; ils payaient de leur sang la cruauté des Pères de Constance.
Jean Ziska fait soulever toute la Bohême. Pendant ce temps, il y a de grands troubles en Danemark au sujet du duché de Slesvick. Le roi Eric s'empare de ce duché ; mais la guerre des hussites est bien plus importante, et regarde de plus près l'empire.
Sigismond assiège Prague ; Jean Ziska le met en déroute et lui fait lever le siège ; un prêtre marchait avec lui à la tête des hussites, un calice à la main, pour marquer qu'ils voulaient communier sous les deux espèces.
Un mois après, Jean Ziska bat encore l'empereur. Cette guerre dura seize années. Si l'empereur n'avait pas violé son sauf-conduit, tant de malheurs ne seraient pas arrivés.
1421. Il y avait longtemps qu'on ne faisait plus de croisades que contre les chrétiens. Martin V en fait prêcher une en Allemagne contre les hussites, au lieu de leur accorder la communion avec du vin.
Un évêque de Trêves marche à la tête d'une armée de croisés contre Jean Ziska, qui, n'ayant pas avec lui plus de douze cents hommes, taille les croisés en pièces.
L'empereur marche encore vers Prague, et est encore battu.
1422. Coribut, prince de Lithuanie, vient se joindre à Ziska, dans l'espérance d'être roi de Bohême. Ziska, qui méritait de l'être, menace d'abandonner Prague.
Le mot Ziska signifiait borgne en langue esclavonne, et on appelait ainsi ce guerrier comme Horatius avait été nommé Coclès. Il méritait alors celui d'aveugle, ayant perdu les deux yeux, et ce Jean-l'Aveugle était bien un autre homme que l'autre Jean-l'Aveugle, père de Sigismond. Il croyait, malgré la perte de ses yeux, pouvoir régner, puisqu'il pouvait combattre et être chef de parti.
1423. L'empereur, chassé de la Bohême par les vengeurs de Jean Hus, a recours à sa ressource ordinaire, celle de vendre des provinces. Il vend la Moravie à Albert, duc d'Autriche : c'était vendre ce que les hussites possédaient alors.
Procope, surnommé le Rasé, parce qu'il était prêtre, grand capitaine, devenu l’œil et le bras de Jean Ziska, défend la Moravie contre les Autrichiens.
1424. Non-seulement Ziska l'Aveugle se soutient malgré l'empereur, mais encore malgré Coribut, son défenseur, devenu son rival. Il défait Coribut après avoir vaincu l'empereur.
Sigismond pouvait au moins profiter de cette guerre civile entre ses ennemis ; mais dans ce temps-là même il est occupé à des noces. Il assiste avec pompe dans Presbourg au mariage d'un roi de Pologne, tandis que Ziska chasse son rival Coribut, et entre dans Prague en triomphe.
Ziska meurt d'une maladie contagieuse au milieu de son armée. Rien n'est plus connu que la disposition qu'on prétend qu'il fit de son corps en mourant. « Je veux qu'on me laisse en plein champ, dit-il ; j'aime mieux être mangé des oiseaux que des vers : qu'on fasse un tambour de ma peau : on fera fuir nos ennemis au son de ce tambour. »
Son parti ne meurt pas. Ce n'était pas Ziska, mais le fanatisme qui l'avait formé. Procope-le-Rasé succède à son gouvernement et à sa réputation.
1425 - 1426. La Bohême est divisée en plusieurs factions, mais toutes réunies contre l'empereur, qui ne peut se ressaisir des ruines de sa patrie. Coribut revient, et est déclaré roi. Procope fait la guerre à cet usurpateur et à Sigismond. Enfin, l'empire fournit une armée de près de cent mille hommes à l'empereur, et cette armée est entièrement défaite. On dit que les soldats de Procope, qu'on appelait les taborites, se servirent, dans cette grande bataille, de haches à deux tranchants, et que cette nouveauté leur donna la victoire.
1427. Pendant que l'empereur Sigismond est chassé de la Bohême, et que les étincelles sorties des cendres de Jean Hus embrasent ce pays, la Moravie et l'Autriche, les guerres entre le roi de Danemark et le Holstein continuent. Lubeck, Hambourg, Vismar, Stralsund, sont déclarées contre lui. Quelle était donc l'autorité de l'empereur Sigismond ? il prenait le parti du Danemark ; il écrivait à ces villes, pour leur faire mettre bas les armes, et elles ne l'écoutaient pas.
Il semble avoir perdu son crédit comme empereur, ainsi qu'en qualité de roi de Bohême.
Il fait marcher encore une armée dans son pays, et cette armée est encore battue par Procope. Coribut, qui se disait roi de Bohême, est mis dans un couvent par son propre parti, et l'empereur n'a plus de partie en Bohême.
1428. On voit que Sigismond était très mal secouru de l'empire, et qu'il ne pouvait armer les Hongrois. Il était chargé de titres et de malheurs. Il ouvre enfin dans Presbourg des conférences pour la paix avec ses sujets. Le parti nommé des orphelins, qui était le plus puissant à Prague, ne veut aucun accommodement, et répond qu'un peuple libre n'a pas besoin de roi.
1429 – 1430. Procope-le-Rasé, à la tête de son régiment de frères (semblable à celui (1) que Cromwell forma depuis), suivi de ses orphelins, de ses taborites, de ses prêtres, qui portaient un calice, et qui conduisaient les calistins, continue à battre partout les impériaux. La Misnie, la Lusace, la Silésie, la Moravie, l'Autriche, le Brandebourg, sont ravagés. Une grande révolution était à craindre. Procope se sert de retranchements de bagages avec succès contre la cavalerie allemande. Ces retranchements s'appellent des tabors. Il marche avec ces tabors ; il pénètre aux confins de la Franconie.
Les princes de l'empire ne peuvent s'opposer à ces irruptions ; ils étaient en guerre les uns contre les autres. Que faisait donc l'empereur ? Il n'avait su que tenir un concile et laisser brûler deux prêtres.
Amurat II dévaste la Hongrie pendant ces troubles. L'empereur veut intéresser pour lui le duc de Lithuanie, et le créer roi ; il ne peut en venir à bout : les Polonais l'en empêchent.
1431. Il demande encore la paix aux hussites ; il ne peut l'obtenir, et ses troupes sont encore battues deux fois. L'électeur de Brandebourg et le cardinal Julien, légat du pape, sont défaits la seconde fois à Risemberg, d'une manière si complète, que Procope parut être le maître de l'empire intimidé.
Enfin les Hongrois, qu'Amurat II laisse respirer, marchent contre le vainqueur, et sauvent l'Allemagne qu'ils avaient autrefois dévastée.
Les hussites, repoussés dans un endroit, sont formidables dans tous les autres. Le cardinal Julien, ne pouvant faire la guerre, veut un concile, et propose d'y admettre des prêtres hussites.
Le concile s'ouvre à Bâle le 23 mai (2).
1432. Les Pères donnent aux hussites des saufs-conduits pour deux cents personnes.
Ce concile de Bâle, tenu sous Eugène IV, n'était qu'une prolongation de plusieurs autres indiqués par le pape Martin V, tantôt à Pavie, tantôt à Sienne. Les Pères commencèrent par déclarés que le pape n'a ni le droit de dissoudre leur assemblée, ni même celui de la transférer, et qu'il leur doit être soumis sous peine de punition. Les conciles se regardaient comme les états-généraux de l'Europe, juges des papes et des rois. On avait détrôné Jean XXIII à Constance ; on voulait, à Bâle, faire rendre compte à Eugène IV.
Eugène, qui se croyait au-dessus du concile, le dissout, mais en vain. Il s'y voit citer pour y comparaître plutôt que pour y présider ; et Sigismond prend ce temps pour s'aller faire inutilement couronner en Lombardie, et ensuite à Rome.
Il trouve l'Italie puissante et divisée. Philippe Visconti régnait sur le Milanais et sur Gênes, malheureuse rivale de Venise, qui avait perdu sa liberté, et qui ne cherchait plus que des maîtres. Le duc de Milan et les Vénitiens se disputaient Vérone et quelques frontières. Les Florentins prenaient le parti de Venise. Lucques, Sienne, étaient pour le duc de Milan. Sigismond est trop heureux d'être protégé par ce duc pour aller recevoir à Rome la vaine couronne d'empereur. Il prend ensuite le parti du concile contre le pape, comme il avait fait à Constance. Les Pères déclarent sa sainteté contumace, et lui donnent soixante jours pour se reconnaître, après quoi on le déposera.
Les Pères de Bâle voulaient imiter ceux de Constance. Mais les exemples trompent. Eugène était puissant à Rome, et les temps n'étaient pas les mêmes.
1433. Les députés de Bohême sont admis au concile. Jean Hus et Jérôme avaient été brûlés à Constance. Leurs sectateurs sont respectés à Bâle : ils y obtiennent que leurs voix seront comptées. Les prêtres hussites qui s'y rendent n'y marchent qu'à la suite de ce Procope-le-Rasé, qui vient avec trois cents gentilshommes armés (3) ; et les Pères disaient : « Voilà le vainqueur de l'Église et de l'empire. » Le concile leur accorde la permission de boire en communiant, et on dispute sur le reste. L'empereur arrive à Bâle ; il y voit tranquillement son vainqueur, et s'occupe du procès qu'on fait au pape.
Tandis qu'on argumente à Bâle, les hussites de Bohême, joints aux Polonais, attaquent les chevaliers teutons ; et chaque parti croit faire une guerre sainte. Tous les ravages recommencent ; les hussites se font la guerre entre eux.
Procope quitte le concile qu'il intimidait, pour aller se battre en Bohême contre la faction opposée. Il est tué dans un combat près de Prague.
La faction victorieuse fait ce que l'empereur n'aurait osé faire ; elle condamne au feu un grand nombre de prisonniers. Ces hérétiques, armés si longtemps pour venger la cendre de leur apôtre, se livrent aux flammes les uns les autres.
1434. Si les princes de l'empire laissaient leurs chefs dans l'impuissance de se venger, ils ne négligeaient pas toujours le bien public. Louis de Bavière, duc d'Ingolstadt, ayant tyrannisé ses vassaux, abhorré de ses voisins, et n'étant pas assez puissant pour se défendre, est mis au ban de l'empire ; et il obtient sa grâce en donnant de l'argent à Sigismond.
L'empereur était alors si pauvre, qu'il accordait les plus grandes choses pour les plus petites sommes.
Le dernier de la branche électorale de Saxe, de l'ancienne maison d'Ascanie, meurt sans enfants. Plusieurs parents demandent la Saxe ; et il n'en coûte que cent mille florins au marquis de Misnie, Frédéric-le-Belliqueux, pour l'obtenir. C'est de ce marquis de Misnie, landgrave de Thuringe, que descend la maison de Saxe, si étendue de nos jours (4).
1435. L'empereur retiré en Hongrie, négocie avec ses sujets de Bohême. Les états lui fixent des conditions auxquelles il pourra être reconnu, et entre autres, ils demandent qu'il n'altère plus la monnaie. Cette clause fait sa honte, mais honte commune avec trop de princes de ces temps-là. Les peuples ne sont soumis à des souverains, ni pour être tyrannisés, ni pour être volés.
Enfin, l'empereur ayant accepté les conditions, les Bohémiens se soumettent à lui et à l'Église. Voilà un vrai contrat passé entre le roi et son peuple.
1436 – 1437. Sigismond rentre dans Prague, et y reçoit un nouvel hommage, comme tenant nouvellement la couronne du choix de la nation. Après avoir apaisé le reste des troubles, il fait reconnaître en Bohême le duc Albert d'Autriche, son gendre, pour héritier du royaume. C'est le dernier événement de sa vie, qui finit en décembre 1437.
1 – Celui des Frères rouges. (G.A.)
2 – Ou plutôt, le 23 juillet. (G.A.)
3 – C'étaient des hommes noirs, endurcis au vent et au soleil, et nourris à la fumée d'un camp. Ils avaient l'aspect terrible et affreux, les yeux d'aigle, les cheveux hérissés, une longue barbe, des corps d'une hauteur prodigieuse, des membres tout velus, et la peau si dure, qu'on eût dit qu'elle pouvait résister au fer comme une cuirasse. (G.A.)
4 – Voltaire répète souvent cela ; mais il ne faut pas oublier que son livre est dédié à une princesse de cette maison. (G.A.)