CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 69

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 69

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DE D’ALEMBERT.

 

A Paris ce 12 d'auguste.

 

 

      Tous les honneurs, mon cher maître, vous viennent à la fois, et j'en suis ravi. J'ai lu hier à l'Académie française la lettre du roi de Prusse, et elle arrêta d'une voix unanime que cette lettre serait insérée dans ses registres comme un monument honorable pour vous et pour les lettres. Je donnerai à ce monument si flatteur pour vous, et même pour nous tous, toute la publicité qui dépendra de moi, à l'impression près, que je vous prie surtout d'éviter, parce que le roi de Prusse pourrait en être mécontent. Je me souviens que la czarine me fit des reproches dans le temps d'avoir laissé imprimer la lettre qu'elle m'avait adressée, et, depuis ce temps, j'ai fait vœu d'être extrêmement circonspect à cet égard.

 

      A propos de czarine, il faut, si vous désirez qu'elle souscrive, que Diderot lui en écrive, car je ne saurais m'en charger, parce que vraisemblablement je ne serai pas à Paris dans un mois, et par conséquent hors de portée d'avoir sa réponse. Adieu, mon cher maître, je vous embrasse de tout mon cœur, et compte toujours vous embrasser bientôt en réalité. Je ne doute pas que vous n'ayez déjà écrit au roi de Prusse, et je crois que vous devez aussi un petit mot de remerciement à l'Académie, que vous adresserez au secrétaire.

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

 

19 d'auguste 1770.

 

 

      Denys a raison, mon très cher philosophe, c'est à vous qu'il en faut une (1). Après votre lettre, la sienne est celle dont je suis le plus charmé. Je sais taire les faveurs des vieilles maîtresses avec qui je renoue. Ce rapatriage ne durera pas longtemps, par la raison que je m'affaiblis tous les jours.

 

      Vous partez, dit-on, avec M. de Condorcet ; je vous avertis que vous épargnez vingt-cinq lieues en passant par Dijon et par chez nous. Vous aurez le plaisir de voir, en passant, Genève punie par la vengeance divine, et vous pourrez en faire votre cour à frère Ganganelli.

 

      Voici un petit morceau (2) qui est à peu près en faveur du maître dont il est vicaire. Je ne crois pas que Denys trouve bon que je chasse sur ses terres ; mais je ne crois pas non plus qu'il ose paraître fâché. Quoi qu'il en soit, voici la drogue que je vous ai promise. Je vous prie surtout de lire mon aventure avec M. Rouelle (3). Mon petit cheval de trois pieds me paraît une démonstration assez forte contre certain conte des Mille et une Nuits.

 

      Adieu, mon très cher voyageur. Madame Denis se joint à moi pour vous prier de passer par chez nous en allant voir le saint-père, à qui vous ne manquerez pas de faire mes tendres compliments.

 

 

 

 

1 – Une statue. (G.A.)

 

2 – Toujours la brochure sur DIEU. (G.A.)

 

3 – Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, une note de l'article FONTE, lequel était imprimé à la suite de l'écrit sur DIEU. (G.A.)

 

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

20 d'auguste 1770.

 

 

      Mon cher ami, vous mettez le comble à vos bontés. J'écris à M. Duclos une lettre (1) pour l'Académie ; c'est bien tout ce que je puis faire, car je tombe dans un état qui ne me permettra pas de voir l'œuvre de Pigalle. Vraiment, c'est bien autre chose que la faiblesse dont vous vous vantiez.

 

      J'écris au souscrivant (2), comme de raison ; mais tout cela n,'est que vanitas vanitatum, quand la machine est épuisée. C'est une plaisante chose que la pensée dépende absolument de l'estomac, et que, malgré cela les meilleurs estomacs ne soient pas les meilleurs penseurs.

 

      Si je suis mort quand vous passerez par Ferney, madame Denis vous fera les honneurs de la maison. En attendant, je vous embrasse comme je peux, mais le plus tendrement du monde.

 

 

 

 

1 – Lettre du 20 auguste. (G.A.)

2 – Le roi de Prusse. Lettre du 20 auguste. (G.A.)

 

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

20 d'octobre 1770 (1).

 

 

      Mon cher et véritable philosophe, il y a d'étranges rencontres. Le réquisitorien (2) arrive à Ferney le même jour que vous, et Palissot arrive à Genève la veille de votre départ. Il y est encore ; on dit qu'il y fait imprimer un bel ouvrage contre la philosophie. Je n'ai eu l'honneur de voir ni l'ouvrage ni l'auteur.

 

      On prétend qu'un jeune philosophe (3), avocat-général de Bordeaux, amoureux de la tolérance, de la liberté, et d'Henri IV, a été enlevé par lettre de cachet, et conduit à Pierre-Encise. C'est apparemment pour ces trois délits : mais Palissot aura probablement une place considérable à son retour à Paris, et Fréron sera fait maître des requêtes.

 

      Si vous pouvez vous arracher de Montpellier, où il y a tant d'esprit et de connaissances, si vous allez à Aix, comme c'était votre intention, on vous recommandera une affaire auprès de M. Castilhon (4) qui pense comme M. Dupaty, et qui cependant n'habitera point, à ce que j'espère, le château de Pierre-Encise ; il vaudrait pourtant mieux y être que d'avoir fait certain réquisitoire.

 

      J'ai peur que vous ne trouviez le requérant à Montpellier ; vous venez toujours après lui partout où il va.

 

Persequitur pede poena claudo.

 

      Bien des respects et des regrets à votre très aimable compagnon de voyage, autant à M. Duché (5), à M. Venel, et à quiconque pense. Madame Denis vous fait les plus tendres compliments. Mon cœur est à vous jusqu'au moment où j'irai trouver Damilaville.

 

 

 

 

1 – Dans l'intervalle du 20 octobre au 20 auguste, date de la précédente lettre, d'Alembert vint à Ferney avec Condorcet. (G.A.)

 

2 – Séguier, qui venait de requérir contre un ouvrage de Voltaire, Dieu et les hommes. (G.A.)

 

3 – Dupaty. (K.)

 

4 – Voyez la lettre à d'Alembert du 9 novembre 1765. (G.A.)

 

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