HISTOIRE DE RUSSIE - PREMIÈRE PARTIE - Chapitre X - Partie 2

Publié le par loveVoltaire

Photo de PAPAPOUSS

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HISTOIRE DE RUSSIE.

 

 

 

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CHAPITRE X.

 

 

(Parte 2)

 

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CONJURATION PUNIE. MILICE DES STRÉLITZ ABOLIE.

CHANGEMENTS DANS LES USAGES, DANS LES MŒURS,

DANS L’ÉTAT, ET DANS L’ÉGLISE.

 

 

 

 

 

         En attendant ce grand ouvrage, il crut que, dans ses Etats qui avaient besoin d’être peuplés, le célibat des moines était contraire à la nature et au bien public. L’ancien usage de l’Église russe est que les prêtres séculiers se marient au moins une fois ; ils y sont même obligés, et autrefois, quand ils avaient perdu leurs femmes, ils cessaient d’être prêtres : mais une multitude de jeunes gens et de jeunes filles, qui font vœu dans un cloître d’être inutiles et de vivre aux dépens d’autrui, lui parut dangereuse ; il ordonna qu’on n’entrerait dans les cloîtres qu’à cinquante ans, c’est-à-dire dans un âge où cette tentation ne prend presque jamais, et il défendit qu’on y reçût, à quelque âge que ce fût, un homme revêtu d’un emploi public.

 

         Ce règlement a été aboli depuis lui, lorsqu’on a cru devoir plus de condescendance aux monastères : mais pour la dignité de patriarche, elle n’a jamais été rétablie, les grands revenus du patriarcat ayant été employés au paiement des troupes.

 

         Ces changements excitèrent d’abord quelques murmures : un prêtre écrivit que Pierre était l’antéchrist, parce qu’il ne voulait point de patriarche ; et l’art de l’imprimerie, que le czar encourageait, servit à faire imprimer contre lui des libelles ; mais aussi un autre prêtre répondit que ce prince ne pouvait être l’antéchrist, parce que le nombre de 666 ne se trouvait pas dans son nom, et qu’il n’avait point le signe de la bête (1). Les plaintes furent bientôt réprimées. Pierre, en effet, donna bien plus à son Église qu’il ne lui ôta ; car il rendit peu à peu le clergé plus régulier et plus savant. Il a fondé à Moscou trois collèges où l’on apprend les langues, et où ceux qui se destinaient à la prêtrise étaient obligés d’étudier.

 

         Une des réformes les plus nécessaires était l’abolition ou du moins l’adoucissement de quatre grands carêmes ; ancien assujettissement de l’Eglise grecque, aussi pernicieux pour ceux qui travaillent aux ouvrages publics, et surtout pour les soldats, que le fut l’ancienne superstition des Juifs de ne point combattre le jour du sabbat. Aussi le czar dispensa-t-il au moins ses troupes et ses ouvriers de ces carêmes, dans lesquels, d’ailleurs, s’il n’était pas permis de manger, il était d’usage de s’enivrer. Il les dispensa même de l’abstinence les jours maigres ; les aumôniers de vaisseau et de régiment furent obligés d’en donner l’exemple, et le donnèrent sans répugnance.

 

         Le calendrier était un objet important. L’année fut autrefois réglée dans tous les pays de la terre par les chefs de la religion, non-seulement à cause des fêtes, mais parce que anciennement l’astronomie n’était guère connue que des prêtres. L’année commençait au premier de septembre chez les Russes ; il ordonna que désormais l’année commencerait au premier de janvier, comme dans notre Europe. Ce changement fut indiqué pour l’année 1700, à l’ouverture du siècle, qu’il fit célébrer par un jubilé et par de grandes solennités. La populace admirait comment le czar avait pu changer le cours du soleil. Quelques obstinés, persuadés que Dieu avait créé le monde en septembre, continuèrent leur ancien style : mais il changea dans les bureaux, dans les chancelleries, et bientôt dans tout l’empire. Pierre n’adoptait pas le calendrier grégorien, que les mathématiciens anglais rejetaient, et qu’il faudra bien un jour recevoir dans tous les pays (2).

 

         Depuis le cinquième siècle, temps auquel on avait connu l’usage des lettres, on écrivait sur des rouleaux, soit d’écorce, soit de parchemin, et ensuite sur du papier. Le czar fut obligé de donner un édit par lequel il était ordonné de n’écrire que selon notre usage.

 

         La réforme s’étendit à tout. Les mariages se faisaient auparavant comme dans la Turquie et dans la Perse, où l’on ne voit celle qu’on épouse que lorsque le contrat est signé, et qu’on ne peut plus s’en dédire. Cet usage est bon chez des peuples où la polygamie est établie, et où les femmes sont renfermées ; il est mauvais pour les pays où l’on est réduit à une femme, et où le divorce est rare.

 

         Le czar voulut accoutumer sa nation aux mœurs et aux coutumes des nations chez lesquelles il avait voyagé, et dont il avait tiré tous les maîtres qui instruisaient alors la sienne.

 

         Il était utile que les Russes ne fussent point vêtus d’une autre manière que ceux qui leur enseignaient les arts, la haine contre les étrangers étant trop naturelle aux hommes, et trop entretenue par la différence des vêtements. L’habit de cérémonie, qui tenait alors du polonais, du tartare et de l’ancien hongrois, était, comme on l’a dit, très noble ; mais l’habit des bourgeois et du bas peuple ressemblait à ses jaquettes plissées vers la ceinture, qu’on donne encore à certains pauvres dans quelques-uns de nos hôpitaux. En général la robe fut autrefois le vêtement de toutes les nations ; ce vêtement demandait moins de façons et moins d’art : on laissait croître sa barbe par la même raison. Le czar n’eut pas de peine à introduire l’habit de nos nations, et la coutume de se raser à sa cour : mais le peuple fut plus difficile ; on fut obligé d’imposer une taxe sur les habits longs et sur les barbes. On suspendait aux portes de la ville des modèles de justaucorps : on coupait les robes et les barbes à qui ne voulait pas payer. Tout cela s’exécutait gaiement, et cette gaieté même prévint les séditions (3).

 

         L’attention de tous les législateurs fut toujours de rendre les hommes sociables ; mais, pour l’être, ce n’est pas assez d’être rassemblés dans une ville, il faut se communiquer avec politesse : cette communication adoucit partout les amertumes de la vie. Le czar introduisit les assemblées, en italien ridotti, mot que les gazetiers ont traduit par le terme impropre de redoute. Il fit inviter à ces assemblées les dames avec leurs filles habillées à la mode des nations méridionales de l’Europe : il donna même des règlements pour ces petites fêtes de société. Ainsi, jusqu’à la civilité de ses sujets, tout fut son ouvrage et celui du temps.

 

         Pour mieux faire goûter ces innovations, il abolit le mot de golut, esclave, dont les Russes se servaient quand ils voulaient parler aux czars, et quand ils présentaient des requêtes ; il ordonna qu’on se servît du mot de raad, qui signifie sujet. Ce changement n’ôta rien à l’obéissance, et devait concilier l’affection. Chaque mois voyait un établissement ou un changement nouveau. Il porta l’attention jusqu’à faire placer sur le chemin de Moscou à Véronise des poteaux peints qui servaient de colonnes militaires de verste en verste, c’est-à-dire à la distance de sept cent cinquante pas, et fit construire des espèces de caravanserails de vingt verstes en vingt verstes.

 

         En étendant ainsi ses soins sur le peuple, sur les marchands, sur les voyageurs, il voulut mettre quelque pompe dans sa cour, haïssant le faste dans sa personne, et le croyant nécessaire aux autres. Il institua l’ordre de Saint-André (4) à l’imitation de ces ordres dont toutes les cours de l’Europe sont remplies. Gollovin, successeur de Le Fort dans la dignité de grand-amiral, fut le premier chevalier de cet ordre. On regarda l’honneur d’y être admis comme une grande récompense. C’est un avertissement qu’on porte sur soi d’être respecté par le peuple ; cette marque d’honneur ne coûte rien à un souverain, et flatte l’amour-propre d’un sujet sans le rendre puissant.

 

         Tant d’innovations utiles étaient reçues avec applaudissement de la plus saine partie de la nation, et les plaintes des partisans des anciennes mœurs étaient étouffées par les acclamations des hommes raisonnables.

 

         Pendant que Pierre commençait cette création dans l’intérieur de ses Etats, une trêve avantageuse avec l’empire turc le mettait en liberté d’étendre ses frontières d’un autre côté. Mustapha II, vaincu par le prince Eugène à la bataille de Zenta, en 1697, ayant perdu la Morée, conquise par les Vénitiens, et n’ayant pu défendre Asof, fut obligé de faire la paix avec tous ses vainqueurs ; elle fut conclue à Carlovitz (5), entre Petervaradin et Salankenmen, lieux devenus célèbres par ses défaites. Temisvar fut la borne des possessions allemandes et des domaines ottomans. Kaminieck fut rendu aux Polonais ; la Morée et quelques villes de la Dalmatie, prises par les Vénitiens, leur restèrent pour quelques temps, et Pierre Ier demeura maître d’Asof et de quelques forts construits dans les environs. Il n’était guère possible au czar de s’agrandir du côté des Turcs, dont les forces, auparavant divisées, et maintenant réunies, seraient tombées sur lui. Ses projets de marine étaient trop grands pour les Palus-Méotides. Les établissements sur la mer Caspienne ne comportaient pas une flotte guerrière : il tourna donc ses desseins vers la mer Baltique, sans abandonner la marine du Tanaïs et du Volga.

 

 

 

 

1 – Voyez l’Histoire de Charles XII, livre Ier. (G.A.)

 

2 – Il n’est pas encore accepté en Russie. (G.A.)

 

3 – Il y eut moins de gaieté que ne dit Voltaire. Ce fut même le germe d’un mécontentement qui éclata plus tard en révolte. (G.A.)

 

4 – 10 septembre 1698. On suit toujours le nouveau style.

 

5 – 1699, 26 janvier.

 

 

 

 

 

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