HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT DU CHRISTIANISME - 1776 - Partie 20

Publié le par loveVoltaire

HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT DU CHRISTIANISME - 1776 - Partie 20

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CHAPITRE IX.

 

Des Juifs d’Alexandrie, et du Verbe.

 

 

 

 

          Je ne sais rien qui puisse nous fournir une image plus fidèle d’Alexandrie que notre ville de Londres. Un grand port maritime, un commerce immense, de puissants seigneurs, et un nombre prodigieux d’artisans, une foule de gens riches, et de gens qui travaillent pour l’être ; d’un côté la Bourse et l’allée du Change ; de l’autre la Société royale et le Muséum ; des écrivains de toute espèce, des géomètres, des sophistes, des métaphysiciens, et d’autres faiseurs de romans ; une douzaine de sectes différentes, dont les unes passent, et les autres restent ; mais, dans toutes les sectes et dans toutes les conditions, un amour désordonné de l’argent : telle est la capitale de nos trois royaumes ; et l’empereur Adrien nous apprend par sa lettre au consul Servianus que telle était Alexandrie. Voici cette lettre fameuse que Vopiscus nous a conservée :

 

          « J’ai vu cette Egypte que vous me vantiez tant, mon cher Servianus ; je la sais tout entière par cœur. Cette nation est inconstante, incertaine ; elle vole au changement. Les adorateurs de Sérapis se font chrétiens : ceux qui sont à la tête de la religion du Christ se font dévots à Sérapis. Il n’y a point d’archirabbin juif, point de samaritain, point de prêtre chrétien, qui ne soit astrologue, ou devin, ou maquereau (1). Quand le patriarche grec vient en Egypte, les uns s’empressent auprès de lui pour lui faire adorer Sérapis ; les autres, le Christ. Ils sont tous très séditieux, très vains, très querelleurs. La ville est commerçante, opulente, peuplée ; personne n’y est oisif… L’argent est un dieu que les chrétiens, les juifs, et tous les hommes, servent également. »

 

          Quand un disciple de Jésu, nommé Marc, soit l’évangéliste, soit un autre, vint tacher d’établir sa secte naissante parmi les Juifs d’Alexandrie, ennemis de ceux de Jérusalem, les philosophes ne parlaient que du logos, du verbe de Platon. Dieu avait formé le monde par son verbe ; ce verbe faisait tout. Le Juif Philon, né du vivant de Jésu, était un grand platonicien ; il dit dans ses opuscules que Dieu se maria au verbe, et que le monde naquit de ce mariage. C’est un peu s’éloigner de Platon que de donner pour femme à Dieu un être que ce philosophe lui donnait pour fils.

 

          D’un autre côté, on avait souvent, chez les Grecs et chez les nations orientales, donné le nom de fils des dieux aux hommes justes ; et même Jésu s’était dit fils de Dieu pour exprimer qu’il était innocent, par opposition au mot fils de Bélial, qui signifiait un coupable : d’un autre côté encore, ses disciples assuraient qu’il était envoyé de Dieu. Il devint bientôt fils de simple envoyé qu’il était : or le fils de Dieu était son verbe chez les platoniciens ; ainsi donc Jésu devint verbe.

 

          Tous les Pères de l’Eglise chrétienne ont cru en effet lire un platonicien en lisant le premier chapitre de l’Evangile attribué à Jean : « Au commencement était le verbe, et le verbe était avec Dieu, et le verbe était Dieu. » On trouva du sublime dans ce chapitre. Le sublime est ce qui s’élève au-dessus du reste ; mais si ce premier chapitre est écrit dans l’école de Platon, le second, il faut l’avouer, semble fait sous la treille d’Epicure. Les auteurs de cet ouvrage passent tout d’un coup du sein de la gloire de Dieu, du centre de sa lumière, et des profondeurs de sa sagesse, à une noce de village. Jésu de Nazareth est de la noce avec sa mère. Les convives sont déjà plus qu’échauffés par le vin, inebriati ; le vin manque, Marie en avertit Jésu, qui lui dit très durement : Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? Après avoir ainsi maltraité sa mère, il fait ce qu’elle lui demande. Il changea seize cent vingt pintes d’eau qui étaient là à point nommé dans de grandes cruches, en seize cent vingt pintes de vin.

 

          On peut observer que ces cruches, à ce que dit le texte, étaient là « pour les purifications des Juifs, selon leur usage. »  Ces mots ne marquent-ils pas évidemment que ce ne peut être Jean, né Juif qui ait écrit cet Evangile ? Si moi qui suis né à Londres, je parlais d’une messe célébrée à Rome, je pourrais dire : Il y avait une burette de vin contenant environ demi-setier ou chopine, selon l’usage des Italiens ; mais certainement un Italien ne s’exprimerait pas ainsi. Un homme qui parle de son pays en parle-t-il comme un étranger ?

 

          Quels que soient les auteurs de tous les Evangiles, ignorés du monde entier pendant plus de deux siècles, on voit que la philosophie de Platon fit le christianisme. Jésu devint peu à peu un Dieu engendré par un autre Dieu avant les siècles, et incarné dans les temps prescrits.

 

 

1 – Voyez au mot ALEXANDRIE, Dictionnaire philosophique. (G.A.)

 

 

 

 

 

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