LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE *** - Partie 33

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LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE *** - Partie 33

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LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE ***,

 

 

SUR RABELAIS ET SUR D’AUTRES AUTEURS ACCUSÉS

D’AVOIR MAL PARLÉ DE LA RELIGION CHRÉTIENNE.

 

 

 

- Partie 33 -

 

 

 

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D’OROBIO.

 

 

 

 

 

          Orobio était un rabbin si savant qu’il n’avait donné dans aucune des rêveries qu’on reproche à tant d’autres rabbins ; profond sans être obscur, possédant les belles-lettres, homme d’un esprit agréable et d’une extrême politesse. Philippe Limborch, théologien du parti des arminiens dans Amsterdam, fit connaissance avec lui vers l’an 1685 : ils disputèrent longtemps ensemble, mais sans aucune aigreur, et comme deux amis qui veulent s’éclairer. Les conversations éclaircissent bien rarement les sujets qu’on traite ; il est difficile de suivre toujours le même objet, et de ne pas s’égarer ; une question en amène une autre. On est tout étonné, au bout d’un quart d’heure, de se trouver hors de sa route. Ils prirent le parti de mettre par écrit les objections et les réponses, qu’ils firent ensuite imprimer tous deux en 1687 (1). C’est peut-être la première dispute entre deux théologiens dans laquelle on ne se soit pas dit des injures ; au contraire les deux adversaires se traitent l’un et l’autre avec respect.

 

          Limborch réfute les sentiments du très savant et très illustre Juif, qui réfute avec les mêmes formules les opinions du très savant et très illustre chrétien. Orobio même ne parle jamais de Jésus-Christ qu’avec la plus grande circonspection. Voici le précis de la dispute :

 

          Orobio soutient d’abord que jamais il n’a été ordonné aux Juifs par leur loi de croire à un Messie.

 

          Qu’il n’y a aucun passage dans l’ancien Testament qui fasse dépendre le salut d’Israël de la foi au Messie.

 

          Qu’on ne trouve nulle part qu’Israël ait été menacé de n’être plus le peuple choisi, s’il ne croyait pas au futur Messie.

 

          Que dans aucun endroit il n’est dit que la loi judaïque soit l’ombre et la figure d’une autre loi ; qu’au contraire il est dit partout que la loi de Moïse doit être éternelle.

 

          Que tout prophète même qui ferait des miracles pour changer quelque chose à la loi mosaïque devait être puni de mort.

 

          Qu’à la vérité quelques prophètes ont prédit aux Juifs, dans leurs calamités, qu’ils auraient un jour un libérateur, mais que ce libérateur serait le soutien de la loi mosaïque, au lieu d’en être le destructeur.

 

          Que les Juifs attendent toujours un Messie, lequel sera un roi puissant et juste.

 

          Qu’une preuve de l’immutabilité éternelle de la religion mosaïque est que les Juifs, dispersés sur toute la terre, n’ont jamais cependant changé une seule virgule à leur loi ; et que les Israélites de Rome, d’Angleterre, de Hollande, d’Allemagne, de Pologne, de Turquie, de Perse, ont constamment tenu la même doctrine depuis la prise de Jérusalem par Titus, sans que jamais il se soit élevé parmi eux la plus petite secte, qui se soit écartée d’une seule observance et d’une seule opinion de la nation israélite.

 

          Qu’au contraire les chrétiens ont été divisés entre eux dès la naissance de leur religion.

 

          Qu’ils sont encore partagés en beaucoup plus de sectes qu’ils n’ont d’Etats ; et qu’ils se sont poursuivis à feu et à sang les uns les autres pendant plus de douze siècles entiers. Que si l’apôtre Paul trouva bon que les Juifs continuassent à observer tous les préceptes de leur loi, les chrétiens d’aujourd’hui ne devaient pas leur reprocher de faire ce que l’apôtre Paul leur a permis.

 

          Que ce n’est point par haine et par malice qu’Israël n’a point reconnu Jésus ; que ce n’est point par des vues basses et charnelles que les Juifs sont attachés à leur loi ancienne ; qu’au contraire ce n’est que dans l’espoir des biens célestes qu’ils lui sont fidèles, malgré les persécutions des Babyloniens, des Syriens, des Romains ; malgré leur dispersion et leur opprobre, malgré la haine de tant de nations ; et que l’on ne doit point appeler charnel un peuple entier qui est le martyr de Dieu depuis près de quarante siècles.

 

          Que ce sont les chrétiens qui ont attendu des biens charnels, témoin presque tous les premiers Pères de l’Eglise, qui ont espéré de vivre mille ans dans une nouvelle Jérusalem, au milieu de l’abondance et de toutes les délices du corps.

 

          Qu’il est impossible que les Juifs aient crucifié le vrai Messie, attendu que les prophètes disent expressément que le Messie viendra purger Israël de tout péché, qu’il ne laissera pas une seule souillure en Israël ; que ce serait le plus horrible péché et la plus abominable souillure, ainsi que la contradiction la plus palpable, que Dieu envoyât son Messie pour être crucifié.

 

          Que les préceptes du Décalogue étant parfaits, toute nouvelle mission était entièrement inutile.

 

          Que la loi mosaïque n’a jamais eu aucun sens mystique.

 

          Que ce serait tromper les hommes de leur dire des choses que l’on devrait entendre dans un sens différent de celui dans lequel elles ont été dites.

 

          Que les apôtres chrétiens n’ont jamais égalé les miracles de Moïse.

 

          Que les évangélistes et les apôtres n’étaient point des hommes simples puisque Luc était médecin, que Paul avait étudié sous Gamaliel, dont les Juifs ont conservé les écrits.

 

          Qu’il n’y avait point du tout de simplicité et d’idiotisme à se faire apporter tout l’argent de leurs néophytes ; que Paul, loin d’être un homme simple, usa du plus grand artifice en venant sacrifier dans le temple, et en jurant devant Festus Agrippa qu’il n’avait rien fait contre la circoncision et contre la loi du judaïsme.

 

          Qu’enfin les contradictions qui se trouvent dans les Evangiles prouvent que ces livres n’ont pu être inspirés de Dieu.

 

          Limborch répond à toutes ces assertions par les arguments les plus forts que l’on puisse employer. Il eut tant de confiance dans la bonté de sa cause, qu’il ne balança pas à faire imprimer cette célèbre dispute ; mais comme il était du parti des arminiens, celui des gomaristes le persécuta : on lui reprocha d’avoir exposé les vérités de la religion chrétienne à un combat dont ses ennemis pourraient triompher. Orobio ne fut point persécuté dans la synagogue.

 

 

 

 

1 – Orobio, ayant été emprisonné par les inquisiteurs d’Espagne pendant trois ans, passa en France, puis en Hollande. C’est Limborch qui fit imprimer, l’année même de la mort d’Orobio, le colloque dont parle Voltaire : De véritate eligionis christianœ amica collatio cum Judœa. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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