LE SIÈCLE DE LOUIS XIV - Chapitre V - 2 - Suite de la guerre civile

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LE SIÈCLE DE LOUIS XIV - Chapitre V - 2 - Suite de la guerre civile

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SIÈCLE DE LOUIS XIV

 

PAR

 

VOLTAIRE

 

 

 

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(Partie 2)

 

 

 

 

CHAPITRE V.

 

Suite de la guerre civile jusqu’à la fin de la rébellion,

en 1653.

 

 

 

 

 

          La plupart de nos historiens n’étaient à leurs lecteurs que ces combats et ces prodiges de courage et de politique : mais qui saurait quels ressorts honteux il fallait faire jouer, dans quelles misères on était obligé de plonger les peuples, et à quelles bassesses on était réduit, verrait la gloire des héros de ce temps-là avec plus de pitié que d’admiration. On en peut juger par les seuls traits que rapporte Gourville, homme attaché à monsieur le Prince. Il avoue que lui-même, pour lui procurer de l’argent, vola celui d’une recette, et qu’il alla payer une rançon : et il rapporte ces violences comme des choses ordinaires.

 

          La livre de pain valait alors à Paris vingt-quatre de nos sous. Le peuple souffrait, les aumônes ne suffisaient pas ; plusieurs provinces étaient dans la disette (1).

 

          Y a-t-il rien de plus funeste que ce qui se passa dans cette guerre devant Bordeaux ? Un gentilhomme est pris par les troupes royales, on lui tranche la tête. Le duc de La Rochefoucauld fait pendre par représailles un gentilhomme du parti du roi ; et ce duc de La Rochefoucauld passe pourtant pour un philosophe. Toutes ces horreurs étaient bientôt oubliées pour les grands intérêts des chefs de parti.

 

          Mais en même temps y a-t-il rien de plus ridicule que de voir le grand Condé baiser la châsse de sainte Geneviève dans une procession, y frotter son chapelet, le montrer au peuple, et prouver, par cette facétie, que les héros sacrifient souvent à la canaille ?

 

          Nulle décence, nulle bienséance, ni dans les procédés ni dans les paroles. Omer Talon rapporte qu’il entendit des conseillers appeler, en opinant, le cardinal premier ministre, faquin. Un conseiller, nommé Quatre-Sous, apostropha rudement le grand Condé en plein parlement ; on se donna des gourmades dans le sanctuaire de la justice.

 

          Il y avait eu des coups donnés à Notre-Dame pour une place que les présidents des enquêtes disputaient au doyen de la grand’chambre en 1644. On laissa entrer dans le parquet des gens du roi, en 1645, des femmes du peuple qui demandèrent à genoux que le parlement fît révoquer les impôts.

 

          Ce désordre en tout genre continua depuis 1614 jusqu’en 1643, d’abord sans trouble, enfin dans des séditions continuelles d’un bout du royaume à l’autre.

 

          (1652) Le grand Condé s’oublia jusqu’à donner un soufflet au comte de Rieux, fils du prince d’Elbeuf, chez le duc d’Orléans : ce n’était pas le moyen de regagner le cœur des Parisiens. Le comte de Rieux rendit le soufflet au vainqueur de Rocroi, de Fribourg, de Nordlingen, et de Lens. Cette étrange aventure ne produisit rien ; Monsieur fit mettre pour quelques jours le fils du duc d’Elbeuf à la Bastille, et il n’en fut plus parlé (2).

 

          La querelle du duc de Beaufort et du duc de Nemours, son beau-frère, fut sérieuse. Ils s’appelèrent en duel, ayant chacun quatre seconds. Le duc de Nemours fut tué par le duc de Beaufort ; et le marquis de Villars (3), surnommé Orondate, qui secondait Nemours, tua son adversaire, Héricourt, qu’il n’avait jamais vu auparavant. De justice, il n’y en avait pas l’ombre. Les duels étaient fréquents, les déprédations continuelles, les débauches poussées jusqu’à l’impudence publique ; mais au milieu de ces désordres il régna toujours une gaieté qui les rendit moins funestes.

 

          Après le sanglant et inutile combat de Saint-Antoine, le roi ne put rentrer dans Paris, et le prince n’y put demeurer longtemps. Une émotion populaire, et le meurtre de plusieurs citoyens dont on le crut l’auteur (4), le rendirent odieux au peuple. Cependant il avait encore sa brigue au parlement. (20 juillet 1652) Ce corps, peu intimidé alors par une cour errante et chassée en quelque façon de la capitale, pressé par les cabales du duc d’Orléans et du prince, déclara par un arrêt le duc d’Orléans lieutenant-général du royaume, quoique le roi fût majeur : c’était le même titre qu’on avait donné au duc de Mayenne du temps de la Ligue. Le prince de Condé fut nommé généralissime des armées. Les deux parlements de Paris et de Pontois, se contestant l’un à l’autre leur autorité, donnant des arrêts contraires, et qui par-là se seraient rendus le mépris du peuple, s’accordaient à demander l’expulsion de Mazarin, tant la haine contre ce ministre semblait alors le devoir essentiel d’un Français.

 

          Il ne se trouva dans ce temps aucun parti qui ne fût faible : celui de la cour l’était autant que les autres ; l’argent et les forces manquaient à tous ; les factions se multipliaient : les combats n’avaient produit de chaque côté que des pertes et des regrets. La cour se vit obligée de sacrifier encore Mazarin, que tout le monde appelait la cause des troubles, et qui n’en était que le prétexte. Il sortit une seconde fois du royaume (12 août 1652) : pour surcroît de honte, il fallut que le roi donnât une déclaration publique, par laquelle il renvoyait son ministre, en vantant ses services et en se plaignant de son exil (5).

 

          Charles Ier, roi d’Angleterre, venait de perdre la tête sur un échafaud, pour avoir, dans le commencement des troubles, abandonné le sang de Strafford, son ami, à son parlement : Louis XIV, au contraire, devint le maître paisible de son royaume en souffrant l’exil de Mazarin. Ainsi les mêmes faiblesses eurent des succès bien différents. Le roi d’Angleterre, en abandonnant son favori, enhardit un peuple qui respirait la guerre, et qui haïssait les rois ; et Louis XIV, ou plutôt la reine-mère, en renvoyant le cardinal, ôta tout prétexte de révolte à un peuple las de la guerre, et qui aimait la royauté.

 

          (20 octobre 1652) Le cardinal à peine parti pour aller à Bouillon, lieu de sa nouvelle retraite, les citoyens de Paris, de leur seul mouvement, députèrent au roi pour le supplier de revenir dans sa capitale. Il y rentra ; et tout y fut si paisible qu’il eût été difficile d’imaginer que quelques jours auparavant tout avait été dans la confusion. Gaston d’Orléans, malheureux dans ses entreprises, qu’il ne sut jamais soutenir, fut relégué à Blois, où il passa le reste de sa vie dans le repentir ; et il fut le deuxième fils de Henri-le-Grand qui mourut sans beaucoup de gloire. Le cardinal de Fetz, aussi imprudent qu’audacieux, fut arrêté dans le Louvre, et, après avoir été conduit de prison en prison, il mena longtemps une vie errante qu’il finit enfin dans la retraite, où il acquit des vertus que son grand courage n’avait pu connaître dans les agitations de sa fortune.

 

          Quelques conseillers qui avaient le plus abusé de leur ministère payèrent leurs démarches par l’exil ; les autres se renfermèrent dans les bornes de la magistrature, et quelques-uns s’attachèrent à leur devoir par une gratification annuelle de cinq cent écus, que Fouquet, procureur-général et surintendant des finances, leur dit donner sous main (6).

 

          Le prince de Condé cependant, abandonné en France de presque tous ses partisans, et mal secouru des Espagnols, continuait sur les frontières de la Champagne une guerre malheureuse. Il restait encore des factions dans Bordeaux, mais elles furent bientôt apaisées.

 

          Ce calme du royaume était l’effet du bannissement du cardinal Mazarin ; cependant, à peine fut-il chassé par le cri général des Français et par une déclaration du roi, que le roi le fit revenir (3 février 1653). Il fut étonné de rentrer dans Paris tout-puissant et tranquille. Louis XIV le reçut comme un père, et le peuple comme un maître. On lui fit un festin à l’hôtel-de-ville, au milieu des acclamations des citoyens : il jeta de l’argent à la populace ; mais on dit que, dans la joie d’un si heureux changement, il marqua du mépris pour l’inconstance, ou plutôt pour la folie des Parisiens. Les officiers du parlement, après avoir mis sa tête à prix comme celle d’un voleur public, briguèrent presque tous l’honneur de venir lui demander sa protection ; et ce même parlement, peu de temps après, condamna par contumace le prince de Condé à perdre la vie (27 mars 1653) ; changement ordinaire dans de pareils temps, et d’autant plus humiliant que l’on condamnait par des arrêts celui dont on avait si longtemps partagé les fautes.

 

          On vit le cardinal, qui pressait cette condamnation de Condé, marier au prince de Conti, son frère, l’une de ses nièces (22 février 1654) : preuve que le pouvoir de ce ministre allait être sans bornes.

 

          Le roi réunit les parlements de Paris et de Pontoise : il défendit les assemblées des chambres. Le parlement voulut remontrer ; on mit en prison un conseiller, on en exila quelques autres ; le parlement se tut ; tout était déjà changé.

 

 

 

1 – « Depuis cinq ou six ans, dit Feillet, ni moisson ni vendange. Nous rencontrons des hommes si faibles, qu’ils rampent comme des lézards sur les fumiers. Ils s’y enfouissent la nuit comme des bêtes, et s’exposent le jour au soleil, déjà remplis et pénétrés de vers. On en trouve gisant pêle-mêle avec leurs morts, dont ils n’ont pas la force de s’éloigner. Ce que nous n’oserions dire si nous ne l’avions vu, ils se mangent les bras et les mains, et meurent dans le désespoir. » Vers la fin du règne du grand roi, La Bruyère pourra encore faire une peinture analogue. (G.A.)

2 – Des hommes très instruits des anecdotes de ce temps prétendent que le prince de Condé n’avait insulté Rieux que de paroles ou de gestes : celui-ci donna le premier coup, que les amis du prince lui rendirent avec usure. Les deux avocats généraux du parlement, Omer Talon et Jérôme Bignon, furent consultés : Talon voulait poursuivre le comte de Rieux, Bignon plus sage s’y opposa, et fit revenir son collègue à son avis. (K.)

3 – C’est le père du maréchal de Villars, à qui Louis XIV, dans ses malheurs, a dû la victoire et la paix. (K.)

4 – Et dont il faut l’auteur en effet. Pour se masquer, il laissa pendre un de ses laquais et son cuisinier comme meurtriers. (G.A.)

5 – Ce fut pendant cet exil que le cardinal écrivait au roi : « Il ne me reste pas un asile dans un royaume dont j’ai reculé toutes les frontières. » (K.)

6 – Mémoires de Gourville. (Voltaire.)

 

 

 

 

 

 

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