THÉÂTRE - IRÈNE - Partie 3

Publié le par loveVoltaire

THÉÂTRE - IRÈNE - Partie 3THÉÂTRE - IRÈNE - Partie 3

En l'honneur des Illuminations du 8 Décembre à LYON

PHOTO DE MARÉVA.

 

 

 

IRÈNE.

 

 

 

 

- Partie 3 -

 

 

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ACTE DEUXIÈME.

 

 

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SCÈNE I.

 

 

 

ALEXIS, MEMNON.

 

 

 

 

 

 

MEMNON.

 

Oui, vous êtes mandé ; mais César délibère.

Dans son inquiétude il consulte, il diffère,

Avec ses vils flatteurs en secret enfermé.

Le retour d’un héros l’a sans doute alarmé ;

Mais nous avons le temps de nous parler encore.

Ce salon qui conduit à ceux de Nicéphore

Mène aussi chez Irène, et je commande ici.

Sur tous vos partisans n’ayez aucun souci ;

Je les ai préparés. Si cette cour inique

Osait lever sur vous le glaive despotique,

Comptez sur vos amis : vous verrez devant eux

Fuir ce pompeux ramas d’esclaves orgueilleux

Au premier mouvement notre vaillante escorte

Du rempart des Sept-Tours ira saisir la porte ;

Et les autres, armés sous un habit de paix,

Inconnus à César, emplissent ce palais.

Nicéphore vous craint depuis qu’il vous offense.

Dans ce château funeste il met sa confiance :

Là, dans un plein repos, d’un mot, ou d’un coup d’œil,

Il condamne à l’exil, aux tourments, au cercueil.

Il ose me compter parmi les mercenaires,

De son caprice affreux ministres sanguinaires :

Il se trompe… Seigneur, quel secret embarras,

Quand j’ai tout disposé, semble arrêter vos pas ?

 

ALEXIS.

 

Le remords… Il faut bien que mon cœur te l’avoue.

Quelques exploits heureux dont l’Europe me loue,

Ma naissance, mon rang, la faveur du sénat,

Tout me criait : Venez, montrez-vous à l’Etat.

Cette voix m’excitait. Le dépit qui me presse,

Ma passion fatale, entraînaient ma jeunesse ;

Je venais opposer la gloire à la grandeur,

Partager les esprits et braver l’empereur…

J’arrive, et j’entrevois ma carrière nouvelle.

Me faut-il arborer l’étendard d’un rebelle ?

La honte est attachée à ce nom dangereux.

Me verrai-je emporté plus loin que je ne veux ?

 

MEMNON.

 

La honte ! elle est pour vous de servir sous un maître.

 

ALEXIS.

 

J’ose être son rival : je crains le nom de traître.

 

MEMNON.

 

Soyez son ennemi dans les champs de l’honneur,

Disputez-lui l’empire, et soyez son vainqueur.

 

ALEXIS.

 

Crois-tu que le Bosphore, et la superbe Thrace,

Et ces Grecs inconstants serviraient tant d’audace ?

Je sais que les états sont pleins de sénateurs

Attachés à ma race, et dont j’aurais les cœurs :

Ils pourraient soutenir ma sanglante querelle :

Mais le peuple ?

 

MEMNON.

 

Il vous aime : au trône il vous appelle.

Sa fougue est passagère, elle éclate à grand bruit ;

Un instant la fait naître, un instant la détruit.

J’enflamme cette ardeur : et j’ose encor vous dire

Que je vous répondrais des cœurs de tout l’empire.

Paraissez seulement, mon prince, et vous ferez

Du sénat et du peuple autant de conjurés.

Dans ce palais sanglant, séjour des homicides,

Les révolutions furent toujours rapides.

Vingt fois il a suffi, pour changer tout l’Etat,

De la voix d’un pontife, ou du cri d’un soldat.

Ces soudains changements sont des coups de tonnerre,

Qui dans des jours sereins éclatent sur la terre.

Plus ils sont imprévus, moins on peut échapper

A ces traits dévorants dont on se sent frapper.

Nous avons vu frapper ces ombres fugitives,

Fantômes d’empereurs élevés sur nos rives,

Tombant du haut du trône en l’éternel oubli,

Où leur nom d’un moment se perd enseveli.

Il est temps qu’à Byzance on reconnaisse un homme

Digne des vrais césars, et des beaux jours de Rome.

Byzance offre à vos mains le souverain pouvoir.

Ceux que j’y vis régner n’ont eu qu’à le vouloir.

Portés dans l’hippodrome, ils n’avaient qu’à paraître

Décorés de la pourpre et du sceptre d’un maître ;

Au temple de Sophie un prêtre les sacrait,

Et Byzance à genoux soudain les adorait.

Ils avaient moins que vous d’amis et de courage ;

Ils avaient moins de droits : tentez le même ouvrage ;

Recueillez les débris de leurs sceptres brisés ;

Vous régnez aujourd’hui, seigneur, si vous l’osez.

 

ALEXIS.

 

Ami, tu me connais, j’ose tout pour Irène :

Seule elle m’a banni, seule elle me ramène ;

Seule sur mon esprit encore irrésolu

Irène a conservé son pouvoir absolu.

Rien ne me retient plus : on la menace, et j’aime.

 

MEMNON.

 

Je me trompe, seigneur, ou l’empereur lui-même

Vient vous dicter ses lois dans ce lieu retiré.

L’attendrez-vous encore ?

 

ALEXIS.

 

Oui, je lui répondrai.

 

MEMNON.

 

Déjà paraît sa garde : elle m’est confiée.

Si de votre ennemi la haine étudiée

A conçu contre vous quelques secrets desseins,

Nous servons sous Comnène, et nous sommes Romains.

Je vous laisse avec lui.

 

(Il se retire dans le fond, et se met à la tête de la garde.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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SCÈNE II.

 

 

 

NICÉPHORE, suivi de deux officiers ; ALEXIS, MEMNON.

GARDES, au fond.

 

 

 

 

 

NICÉPHORE.

 

Prince, votre présence

A jeté dans ma cour un peu de défiance.

Aux bords du Pont-Euxin vous m’avez bien servi ;

Mais quand César commande, il doit être obéi.

D’un regard attentif ici l’on vous contemple :

Vous donnez à ce peuple un dangereux exemple.

Vous ne deviez paraître aux murs de Constantin

Que sur un ordre exprès émané de ma main.

 

ALEXIS.

 

Je ne le croyais pas… Les états de l’empire

Connaissent peu ces lois que vous voulez prescrire ;

Et j’ai pu, sans faillir, remplir la volonté

D’un corps auguste et saint, et par vous respecté.

 

 

NICÉPHORE.

 

Je le protégerai tant qu’il sera fidèle ;

Soyez-le, croyez-moi ; mais puisqu’il vous rappelle,

C’est moi qui vous renvoie aux bords du Pont-Euxin.

Sortez dès ce moment des murs de Constantin.

Vous n’avez plus d’excuse : et si vers le Bosphore

L’astre du jour qui luit vous revoyait encore,

Vous n’êtes plus pour moi qu’un sujet révolté.

Vous ne le serez pas avec impunité…

Voilà ce que César a prétendu vous dire.

 

ALEXIS.

 

Les grands de qui la voix vous a donné l’empire,

Qui m’ont fait de l’Etat le premier après vous,

Seigneur, pourront fléchir ce violent courroux.

Ils connaissent mon nom, mon rang, et mon service,

Et vous-même avec eux vous me rendrez justice.

Vous me laisserez vivre entre ces murs sacrés.

Que de vos ennemis mon bras a délivrés ;

Vous ne m’ôterez point un droit inviolable

Que la loi de l’Etat ne ravit qu’au coupable.

 

NICÉPHORE.

 

Vous osez le prétendre ?

 

ALEXIS.

 

Un simple citoyen

L’oserait, le devrait ; et mon droit est le sien,

Celui de tout mortel, dont le sort qui m’outrage

N’a point marqué le front du sceau de l’esclavage :

C’est le droit d’Alexis ; et je crois qu’il est dû

Au sang qu’il a pour vous tant de fois répandu,

Au sang dont sa valeur a payé votre gloire,

Et qui peut égaler (sans trop m’en faire accroire)

Le sang de Nicéphore autrefois inconnu,

Au rang de mes aïeux aujourd’hui parvenu.

 

NICÉPHORE.

 

Je connais votre race, et plus, votre arrogance.

Pour la dernière fois redoutez ma vengeance.

N’obéirez-vous point ?

 

ALEXIS.

 

Non, seigneur.

 

NICÉPHORE.

 

C’est assez.

 

(Il appelle Memnon à lui par un signe, et lui donne un billet dans le fond du théâtre.)

 

Servez l’empire et moi, vous qui m’obéissez.

 

(Il sort.)

 

 

 

 

 

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