DIALOGUES ET ENTRETIENS PHILOSOPHIQUES - Sophronime et Adélos - Partie 1
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SOPHRONIME ET ADÉLOS.
TRADUIT DE MAXIME DE MADAURE
- 1776 -
(Partie 1)
[Ce Dialogue fut publié en 1776 à la suite des Lettres chinoises.] (G.A.)
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NOTICE SUR MAXIME DE MADAURE.
Il y a plusieurs hommes célèbres du nom de Maximus, que nous abrégeons toujours par celui de Maxime : je ne parle pas des empereurs et des consuls romains, ni même des évêques de ce nom, je parle de quelques philosophes qui sont encore estimés pour avoir laissé quelques pensées par écrit.
Il y en a un qui, dans nos dictionnaires, est toujours appelé Maxime le magicien, ainsi qu’on nomme encore le curé Gaufridi, Gaufridi le sorcier ; comme s’il y avait en effet des sorciers et des magiciens, car les noms donnés à la chose subsistent toujours, quand la chose même est reconnue fausse.
Ce philosophe était le favori de l’empereur, et c’est ce qui lui fit une si méchante réputation parmi nous.
Maxime de Tyr, dont l’empereur Marc-Aurèle fut le disciple, obtient de nous un peu plus de grâce. Il n’est point qualifié de sorcier ; et il a eu Daniel Heinsius pour commentateur.
Le troisième Maxime, dont il s’agit ici, était un Africain né à Madaure, dans le pays qui est aujourd’hui celui d’Alger. Il vivait dans le commencement de la destruction de l’empire romain. Madaure, ville considérable par son commerce, l’était encore plus par les lettres ; elle avait vu naître Apulée et Maxime. Saint Augustin, contemporain de Maxime, né dans la petite ville de Tagaste, fut élevé dans Madaure ; et Maxime et lui furent toujours amis, malgré la différence de leurs opinions ; car Maxime resta toujours attaché à l’antique religion de Numa, et Augustin quitta le manichéisme pour notre sainte religion, dont il fut, comme on le sait, une des plus grandes lumières.
C’est une remarque bien triste, et qu’on a faite souvent sans doute, que cette partie de l’Afrique qui produisit autrefois tant de grands hommes, et qui fut probablement, depuis Atlas, la première école de philosophie, ne soit aujourd’hui connue que par ses corsaires. Mais ses révolutions ne sont que trop communes ; témoin la Thrace, qui produisit autrefois Orphée et Aristote ; témoin la Grèce entière, témoin Rome elle-même.
Nous avons encore des monuments de la correspondance qui subsista toujours entre le disert Augustin de Tagaste et le platonicien Maxime de Madaure. On nous a conservé les lettres de l’un et de l’autre. Voici la fameuse lettre de Maxime sur l’existence de Dieu, avec la réponse de saint Augustin, toutes deux traduites par Dubois (1) de Port-Royal, précepteur du dernier duc de Guise.
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LETTRE DE MAXIME DE MADAURE A AUGUSTIN.
« Or, qu’il y ait un Dieu souverain qui soit sans commencement, et qui, sans avoir rien engendré de semblable à lui, soit néanmoins le père et le formateur de toutes choses, quel homme est assez grossier, assez stupide pour en douter ? C’est celui dont nous adorons sous des noms divers l’éternelle puissance, répandue dans toutes les parties du monde… Ainsi, honorant séparément, par diverses sortes de cultes, ce qui est comme ses divers membres, nous l’adorons tout entier… Qu’ils vous conservent, ces dieux subalternes, sous les noms desquels et par lesquels, tout autant de mortels que nous sommes sur la terre, nous adorons le père commun des dieux et des hommes, par différentes sortes de cultes, à la vérité, mais qui s’accordent tous dans leur variété même, et ne tendent qu’à la même fin ! »
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RÉPONSE D’AUGUSTIN.
« Il y a dans votre place publique deux statues de Mars, nu dans l’une, et armé dans l’autre, et tout auprès la figure d’un homme qui, avec trois doigts qu’il avance vers Mars, tient en bride cette divinité dangereuse à toute la ville… Sur ce que vous me dites que de pareils dieux sont des membres du seul véritable Dieu, je vous avertis, avec toute la liberté que vous me donnez, de ne pas tomber dans de pareils sacrilèges. Car ce seul Dieu dont vous parlez est sans doute celui qui est reconnu de tout le monde, et sur lequel les ignorants conviennent avec les savants, comme quelques anciens ont dit. Or, direz-vous que celui dont la force, pour ne pas dire la cruauté, est réprimée par un homme mort, soit un membre de celui-là ? Il me serait aisé de vous pousser sur ce sujet, car vous voyez bien ce qu’on pourrait dire sur cela ; mais je me retiens, de peur que vous ne disiez que ce sont les armes de la rhétorique que j’emploie contre vous, plutôt que celles de la vérité. »
Venons maintenant au fameux ouvrage de ce Maxime.
1 – Goibaud-Dubois, mort en 1694. Voltaire ne reproduit pas tout à fait sa traduction. (G.A.)