Correspondance avec le roi de Prusse - Année 1775 - Partie 130
Photo de PAPAPOUSS
515 – DE VOLTAIRE
3 auguste 1775.
Le Kain, dans vos jours de repos,
Vous donne une volupté pure.
On le prendrait pour un héros :
Vous les aimez même en peinture.
C’est ainsi qu’Achille enchanta
Les beaux jours de votre jeune âge.
Marc-Aurèle enfin l’emporta.
Chacun se plaît dans son image.
Le plus beau des spectacles, sire, est de voir un grand homme, entouré de sa famille, quitter un moment tous les embarras du trône pour entendre des vers, et en faire, le moment d’après, de meilleurs que les nôtres. Il me paraît que vous jugez très bien l’Allemagne, et cette foule de mots qui entrent dans une phrase, et cette multitude de syllabes qui entrent dans un mot, et ce goût qui n’est pas plus formé que la langue ; les Allemands sont à l’aurore ; ils seraient en plein jour, si vous aviez daigné faire des vers tudesques.
C’est une chose assez singulière que Le Kain et mademoiselle Clairon soient tous deux à la fois auprès de la maison de Brandebourg. Mais tandis que le talent de réciter du français vient obtenir votre indulgence à Sans-Souci Gluck vient nous enseigner la musique à Paris. Nos Orphées viennent d’Allemagne, si nos Roscius vous viennent de France. Mais la philosophie, d’où vient-elle ? de Potsdam, sire, où vous l’avez logée, et d’où vous l’avez envoyée dans la plus grande partie de l’Europe.
Je ne sais pas encore si notre roi marchera sur vos traces, mais je sais qu’il a pris pour ses ministres des philosophes, à un seul près, qui a le malheur d’être dévot (1).
Nous perdons le goût, mais nous acquérons la pensée ; il y a surtout un M. Turgot, qui serait digne de parler avec votre majesté. Les prêtres sont au désespoir. Voilà le commencement d’une grande révolution. Cependant on n’ose pas encore se déclarer ouvertement ; on mine en secret le vieux palais de l’imposture fondé depuis 1775 années : si on l’avait assiégé dans les formes, on aurait cassé hardiment l’infâme arrêt qui ordonna l’assassinat du chevalier de La Barre et de Morival. On en rougit, on en est indigné, mais on s’en tient là : on n’a pas eu le courage de condamner ces exécrables juges à la peine du talion. On s’est contenté d’offrir une grâce, dont nous n’avons point voulu. Il n’y a que vous de vraiment grand. Je remercie votre majesté avec des larmes d’attendrissement et de joie. J’ai demandé à votre majesté ses derniers ordres, et je les attends pour renvoyer à ses pieds ce Morival, dont j’espère qu’elle sera très contente.
Daignez conserver vos bontés pour ce vieillard, qui ne se porte pas si bien que Le Kain le dit.
1 – Le comte de Mey. (G.A.)
516 – DU ROI
A Potsdam, le 13 auguste 1775.
C’est à vous qu’il faut attribuer tout le bien qu’on aurait voulu faire à Morival. Le protecteur des Calas et des Sirven méritait de réussir de même en faveur du premier. Vous avez eu le rare avantage de réformer, de votre retraite, les sentences cruelles des juges de votre patrie, et de faire rougir ceux qui, placés près du trône, auraient dû vous prévenir. Pour moi, je me borne dans mon pays à empêcher que le puissant n’opprime le faible, et d’adoucir les sentences qui quelquefois me paraissent trop rigoureuses. Cela fait une partie de mes occupations. Lorsque je parcours les provinces, tout le monde vient à moi ; j’examine par moi-même et par d’autres toutes les plaintes, et je me rends utile à des personnes dont j’ignorais l’existence avant d’avoir reçu leurs mémoires. Cette révision rend les juges plus attentifs, et prévient les procédés trop durs et trop rigoureux.
Je félicite votre nation du bon choix que Louis XVI a fait de ses ministres. « Les peuples, a dit un ancien, ne seront heureux que lorsque les sages seront rois. » Vos ministres, s’ils ne sont pas rois tout à fait, en possèdent l’équivalent en autorité. Votre roi a les meilleures intentions : il veut le bien ; rien n’est plus à craindre pour lui que ces pestes des cours qui tâcheront de le corrompre et de le pervertir avec le temps. Il est bien jeune ; il ne connaît pas les ruses et les raffinements dont les courtisans se serviront pour le faire tourner à leur gré, afin de satisfaire leur intérêt, leur haine et leur ambition. Il a été dans son enfance à l’école du fanatisme et de l’imbécillité : cela doit faire appréhender qu’il ne manque de résolution pour examiner par lui-même ce qu’on lui a appris à adorer stupidement.
Vous avez prêché la tolérance : après Bayle vous êtes sans contredit un des sages qui ont fait le plus de bien à l’humanité. Mais si vous avez éclairé tout le monde, ceux que leur intérêt attache à la superstition ont rejeté vos lumières ; et ceux-là dominent encore sur les peuples.
Pour moi, en fidèle disciple du patriarche de Ferney, je suis actuellement en négociation avec mille familles mahométanes, auxquelles je procure des établissements et des mosquées dans la Prusse occidentale. Nous aurons des ablutions légales, et nous entendrons chanter hilli, halla, sans nous scandaliser. C’était la seule secte qui manquât dans ce pays.
Le vieux Poelinitz est mort comme il a vécu, c’est-à-dire en friponnant encore la veille de son décès. Personne ne le regrette que ses créanciers. Pour notre respectable et bon milord (1), il se porte à merveille ; son âme honnête est gaie et contente. Je me flatte que nous le conserverons encore longtemps. Sa douce philosophie ne l’occupe que du bien. Tous les Anglais qui passent ici vont chez lui en pèlerinage. Il loge vis-à-vis de Sans-Souci, aimé et estimé de tout le monde. Voilà une heureuse vieillesse.
Tout ce que vous dites de nos évêques teutons n’est que trop vrai. Ce sont des porcs engraissés des dîmes de Sion (2). Mais vous savez aussi que dans le saint Empire romain l’ancien usage, la bulle d’or, et telles autres antiques sottises, font respecter les abus établis. On les voit : on lève les épaules, et les choses continuent leur train.
Si l’on veut diminuer le fanatisme, il ne faut pas d’abord toucher aux évêques ; mais si l’on parvient à diminuer les moines, surtout les ordres mendiants, le peuple se refroidira ; celui-là, moins superstitieux, permettra aux puissances de ranger les évêques selon qu’il conviendra au bien de leurs Etats. C’est la seule marche à suivre. Miner sourdement et sans bruit l’édifice de la déraison, c’est l’obliger à s’écrouler de lui-même. Le pape, vu la situation où il se trouve, est obligé de donner des brefs et des bulles, tels que ses chers fils les exigent de lui. Ce pouvoir, fondé sur le crédit idéal de la foi, perd à mesure que celle-ci diminue. S’il se trouve à la tête des nations quelques ministres au-dessus des préjugés vulgaires, le saint-père fera banqueroute. Déjà ses lettres de change et ses billets au porteur sont à demi décrédités. Sans doute que la postérité jouira de l’avantage de pouvoir penser librement, qu’elle ne verra point, comme nous, des horreurs telles qu’en a produit Toulouse, Abbeville, etc. Les Morival de cet heureux siècle n’auront point à craindre les barbaries exercées sur les Morival d’aujourd’hui. Vous n’avez qu’à me l’envoyer directement ici : je le considère comme une victime échappée au glaive du sacrificateur, ou, pour mieux dire, du bourreau.
Je pars pour la Silésie. Je ne pourrai être de retour ici que le 4 ou le 5 du mois prochain : ainsi il aura tout le temps d’arranger son voyage. Dans quelque lieu que je me trouve, mes vœux seront les mêmes pour le patriarche de Ferney, et faute de pouvoir l’entendre, chemin faisant, je m’entretiendrai avec ses ouvrages. Vale. FÉDÉRIC.
P.S. – Vous voyagerez avec moi sans vous en apercevoir, et vous me ferez plaisir sans qu’il vous en coûte, et je vous bénirai en chemin comme de coutume.
1 – Milord Maréchal. (G.A.)
2 – Voyez le Temple de l’Amitié. (G.A.)
517 – DE VOLTAIRE
A Ferney, 31 Auguste 1775.
Sire, je renvoie aujourd’hui aux pieds de votre majesté votre brave et sage officier d’Etallonde Morival, que vous avez daigné me confier pendant dix-huit mois. Je vous réponds qu’on ne lui trouvera pas à Potsdam l’air évaporé et avantageux de nos prétendus marquis français. Sa conduite, et son application continuelle à l’étude de la tactique et à l’art du génie, sa circonspection dans ses démarches et dans ses paroles, la douceur de ses mœurs, son bon esprit, sont d’assez fortes preuves contre la démence aussi exécrable qu’absurde de la sentence de trois juges de village, qui le condamna, il y a dix ans, avec le chevalier de La Barre, à un supplice que les Busiris n’auraient pas osé imaginer.
Après ces Busiris d’Abbeville, il trouve en vous un Solon. L’Europe sait que le héros de la Prusse a été son législateur, et c’est comme législateur que vous avez protégé la vertu livrée aux bourreaux par le fanatisme. Il est à croire qu’on ne verra plus en France de ces atrocités affreuses, qui ont légèreté ; on cessera de dire, le peuple le plus gai est le plus barbare.
Nous avons un ministère très sage, choisi par un jeune roi non moins sage, et qui veut le bien. C’est ce que votre majesté remarque dans sa dernière lettre du 13. La plupart de nos fautes et de nos malheurs sont venus jusqu’ici de notre asservissement à d’anciennes coutumes, honorées du nom de lois, malgré notre amour pour la nouveauté. Notre jurisprudence criminelle, par exemple, est presque toute fondée sur ce qu’on appelle le droit canon, et sur les anciennes procédures de l’inquisition. Nos lois sont un mélange de l’ancienne barbarie mal corrigé par de nouveaux règlements. Notre gouvernement a toujours été jusqu’à présent ce qu’est la ville de Paris, un assemblage de palais et de masures, de magnificences et de misères, de beautés admirables et de défauts dégoûtants. Il n’y a qu’une ville nouvelle qui puisse être régulière.
Votre majesté daigne me mander qu’elle daigne voyager avec mes faibles ouvrages. Je voudrais bien être à leur place, malgré mes quatre-vingt-deux ans. Je suis obligé de vous dire que plusieurs de ces enfants, qu’on baptise de mon nom, ne sont pas de moi. Je sais que vous avez une édition de Lausanne, en quarante-deux volumes (1), entreprise par deux magistrats et deux prêtres qui ne m’ont jamais consulté. Si par hasard le vingt-troisième volume tombait sous votre main, vous y verriez une trentaine de petites pièces de vers tout à fait dignes du cocher de Vertamont. On n’est pas obligé d’avoir autant de goût à Lausanne qu’à Potsdam.
Ce qui est de moi ne mérite guère plus vos regards. La manie des éditeurs m’a enseveli dans des monceaux de papier. Ces gens-là se ruinent par excès de zèle. Je leur ai écrit cent fois qu’on ne va pas à la postérité avec un si lourd bagage. Ils n’en ont tenu compte, ils ont défiguré vos lettres et les miennes, qui ont couru dans le monde. Me voilà en in-folio, rongé des rats et des vers comme un Père de l’Eglise.
Votre majesté verra donc mes éternelles querelles avec les Larcher, et frère Nonotte, et frère Fréron, et frère Paulian, ces illustres ex-jésuites. Ces belles disputes doivent étrangement ennuyer le vainqueur de tant de nations et l’historien de sa patrie. Les jésuites m’ont déclaré la guerre dans le temps même que vos frères les rois de France et d’Espagne les punissaient. C’étaient des soldats dispersés après leur défaite, qui volaient un pauvre passant pour avoir de quoi vivre.
Les jésuites devaient me persécuter en conscience : car, avant qu’on les chassât de France et d’Espagne, je les avais chassés de mon voisinage. Ils s’étaient emparés, sur la frontière de Berne, du bien de sept gentilshommes nommés messieurs de Crassi, tous frères, tous au service du roi de France, tous mineurs, tous très pauvres (2). J’eus le bonheur de consigner l’argent nécessaire pour les faire rentrer dans leur terre usurpée par les jésuites. Saint Ignace ne m’a point pardonné cette impiété. Depuis ce temps Fréron refait la Henriade avec La Beaumelle (3) ; Paulian (4) écrit contre l’empereur Julien et contre moi ; Nonotte m’accuse en deux gros volumes (5) d’avoir trouvé mauvais que le grand Constantin ait autrefois assassiné son beau-père, son beau-frère, son neveu, son fils, et sa femme. J’ai eu la faiblesse de répondre quelquefois à ces animaux-là ; les éditeurs ont eu la sottise de réimprimer ces pauvretés, dont personne ne se soucie.
Je prie votre majesté de faire de ce fatras ce que je lui ai vu faire de tant de livres ; elle prenait des ciseaux, coupait toutes les pages qui l’ennuyaient, conservait celles qui pouvaient l’amuser, et réduisait ainsi trente volumes à un ou deux : méthode excellente pour nous guérir de la rage de trop écrire.
Voilà donc, sire, le baron de Poellnitz mort ; il écrivait aussi. C’est par là qu’il faut que nous finissions tous, les Fréron, les Nonotte, et moi. Il n’en restera rien du tout. Il n’y a que certains noms qui se sauveront du néant, comme, par exemple, un Gustave-Adolphe, et un autre très supérieur à mon avis, dont je baise de loin les mains victorieuses qui ont écrit des choses si ingénieuses et si utiles, qui protègent l’innocence, et qui répandent les bienfaits.
1 – Elle fut portée à cinquante-sept volumes. C’est l’édition Grasset. Voyez une des notes du Dialogue de Pégase et du Vieillard. (G.A.)
2 – Voyez le Commentaire historique. (G.A.)
3 – Le Commentaire de feu La Beaumelle venait de paraître. (G.A.)
4 – Auteur du Dictionnaire philosophico-théologique, 1774. (G.A.)
5 – Les Erreurs de M. de Voltaire. (G.A.)
518 – DU ROI
A Potsdam, le 8 Septembre 1775.
Je vous suis très obligé du plaisir que vous m’avez fait en mon voyage de Silésie. Il faut avouer que vous êtes de bonne compagnie et qu’on s’instruit en s’amusant avec vous. Voltaire et moi nous avons fait tout le tour de la Silésie, et nous sommes revenus ensemble.
Quant à Le Kain,
Dans ces beaux vers qu’il nous déclame.
Avec plaisir je reconnais
La force, la noblesse et l’âme
De l’auteur de ces grands portraits.
Il sait, par d’invincibles charmes,
Me communiquer ses alarmes :
Il émeut, il perce le cœur
Par la pitié, par la terreur ;
Et mes yeux se fondent en larmes.
Ah ! malheur au cœur inhumain
Que rien n’ébranle et rien ne touche
Le mortel ou vain ou farouche
Ne voit nos maux qu’avec dédain.
Est-on fait pour être impassible ?
J’existe par le sentiment,
Et j’aime à sentir vivement
Que mon cœur est encor sensible.
Voilà dans l’exacte vérité le plaisir que m’ont fait les représentations de vos tragédies. Le Kain a sans doute aidé dans le récit et dans l’action : mais quand même un moins bon acteur les eût représentées, le fond l’aurait emporté sur la déclamation. Je pourrais servir de souffleur à vos pieds : il y en a beaucoup que je sais par cœur. Si je ne fais pas autrement fortune en ce monde, ce métier sera ma dernière ressource. Il est bon d’avoir plus d’une corde à son arc.
Je ne suis pas au fait de la cour de Versailles, et je ne sais qu’en gros ce qui s’y passe. Je ne connais ni les Turgot, ni les Malesherbes : s’ils sont de vrais philosophes, ils sont à leur place. Il ne faut ni préjugé ni passion dans les affaires ; la seule qui soit permise est celle du bien public. Voilà comme pensait Marc-Aurèle, et comme doit penser tout souverain qui veut remplir son devoir.
Pour votre jeune roi, il est ballotté par une mer bien orageuse : il lui faut de la force et du génie pour se faire un système raisonné, et pour le soutenir. Maurepas est chargé d’années (1) : il aura bientôt un successeur, et il faudra voir alors sur qui le choix du monarque tombera, et si le vieux proverbe se dément : Dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu es.
Je viens de voir en Silésie un monsieur de Laval-Montmorency et un Clermont-Gallerande, qui m’ont dit que la France commençait à connaître la tolérance, qu’on pensait à rétablir l’édit de Nantes (2) si longtemps supprimé. Je leur ai répondu tout uniment que c’était moutarde après dîner. Vous me prendrez pour d’Argenson-la-Paix (3), qui s’exprimait en proverbes triviaux en traitant d’affaires ; mais une lettre n’est pas une négociation, et il est permis de se dérider quelquefois en société. Vous ne voudriez pas sans doute que j’affectasse l’air empesé de vos robins ou de nos graves députés de Ratisbonne. Les uns sont les bourreaux des La Barre, les autres font des sottises d’un autre genre, avec leurs visitations.
Vous avez raison de dire que nos bons Germains en sont encore à l’aurore des connaissances. L’Allemagne est au point où se trouvaient les beaux-arts du temps de François Ier. On les aime, on les recherche ; des étrangers les transplantent chez nous : mais le sol n’est pas encore assez préparé pour les produire de lui-même. La guerre de Trente-Ans a plus nui à l’Allemagne que ne le croient les étrangers. Il a fallu commencer par la culture des terres, ensuite par les manufactures, enfin par un faible commerce. A mesure que ces établissements s’affermissent, naît un bien-être qui est suivi de l’aisance, sans laquelle les arts ne sauraient prospérer. Les muses veulent que les eaux du Pactole arrosent le pied du Parnasse. Il faut avoir de quoi vivre pour s’instruire et penser librement. Aussi Athènes l’emporta-t-elle sur Sparte en fait de connaissances et de beaux-arts.
Le goût ne se communiquera en Allemagne que par une étude réfléchie des auteurs classiques, tant grecs que romains et français. Deux ou trois génies rectifieront la langue, la rendront moins barbare, et naturaliseront chez eux les chefs-d’œuvre des étrangers.
Pour moi, dont la carrière tend à sa fin, je ne verrai pas ces heureux temps. J’aurais voulu contribuer à leur naissance ; mais qu’a pu faire un être tracassé les deux tiers de sa course par des guerres continuelles, obligé de réparer les maux qu’elles ont causés et né avec des talents trop médiocres pour d’aussi grandes entreprises ! La philosophie nous vient d’Epicure ; Gassendi, Newton, et Locke, l’ont rectifiée ; je me fais honneur d’être leur disciple, mais pas davantage.
C’est vous qui, dessillant les yeux de l’univers,
Remplissez dignement cette vaste carrière,
Soit en prose, ou soit en vers.
Vous avez dans la nuit fait briller la lumière,
Délivré les mortels de leur vaine terreur :
La Raison dans vos mains a confié son foudre ;
Vous avez réduit en poudre
Et le Fanatisme et l’Erreur.
C’est à Bayle votre précurseur, et à vous sans doute que la gloire est due de cette révolution qui se fait dans les esprits. Mais disons la vérité : elle n’est pas complète les dévots ont leur parti, et jamais on ne l’achèvera que par une force majeure ; c’est du gouvernement que doit partir la sentence qui écrasera l’inf… Des ministres éclairés peuvent y contribuer beaucoup ; mais il faut que la volonté du souverain s’y joigne. Sans doute cela se fera avec le temps ; mais ni vous ni moi ne seront spectateurs de ce moment tant désiré (4).
J’attends ici d’Etallonde. Vous aurez à présent reçu mes réponses et je le crois en chemin. Je ferai pour lui pour pour vous ce qui dépendra de moi. C’est un martyr de la superstition qui mérite d’être sanctifié par la philosophie.
Ne me tirez point de l’erreur où je suis. J’en crois Le Kain. Je veux, j’espère, je désire que nous vous conservions le plus longtemps possible. Vous ornez trop votre siècle pour que je puisse être indifférent sur votre sujet. Vivez, et n’oubliez pas le solitaire de Sans-Souci. Vale. FÉDÉRIC.
J’ai honte de vous envoyer des vers ; c’est jeter une goutte d’eau bourbeuse dans une claire fontaine. Mais j’effacerai mes solécismes en faisant du bien à divus Etallundus, martyr de la philosophie.
1 – Il avait soixante-quatorze ans, et Voltaire en avait alors quatre-vingt-un. (G.A.)
2 – Il ne fut rétabli qu’en 1785. (G.A.)
3 – Edition de Berlin : « D’Argenson-la-Bête » C’est le d’Argenson qui avait été ministre des affaires étrangères. (G.A.)
4 – Encore la Révolution prédite, et cette fois c’est par un roi. (G.A.)