CORRESPONDANCE - Année 1771 - Partie 20

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1771 - Partie 20

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à M. Gabriel Cramer.

 

10 Septembre 1771 (1).

 

 

          Le vieux malade fait compliments à M. Cramer. Il vient de recevoir cinq volumes in-4° de son imprimerie ; il est bien étonné d’y trouver la traduction des Evangiles recueillis par Fabricius. Il doit savoir que cette traduction est du sieur Bigex, qui la fit imprimer par le sieur M. Rey, et qui, par conséquent, sera en droit de se plaindre que je m’attribue son ouvrage : je passerai pour un plagiaire ; voilà tout ce qui en résultera.

 

          La lettre à M. l’archevêque de Lyon (2) est de M. Prost de Royer, avocat de Lyon. Il y a un autre Prost de Royer, procureur général de la ville, qui s’est plaint avec justice qu’on attribuât au procureur général l’ouvrage de l’avocat ; mais me l’imputer à moi, qui n’avais jamais entendu parler de la dispute élevée dans Lyon sur le prêt à intérêt, m’imputer une pièce dans laquelle je suis loué, c’est me rendre non seulement plagiaire, mais ridicule.

 

          Il y a encore bien d’autres choses dans ces volumes qui ne sont pas de moi, et j’ai bien peur d’être réduit à la triste nécessité de les désavouer dans tous les journaux.

 

          Les pièces qui m’appartiennent sont imprimées sans aucune des corrections que j’y ai faites.

 

          Tout cela est capable de me faire un grand tort ; mais surtout cette lettre à M. l’archevêque de Lyon me fait une peine extrême. Il n’y a personne à Lyon qui ne sache que cette lettre est de M. Prost de Royer, qui vint à Genève il y a dix ans.

 

          Voilà ce que c’est que d’avoir imprimé vos cinq volumes sans me consulter sur une seule page. Je vous avais conjuré vingt fois par mes lettres de ne rien faire sans ma participation. Me voilà imprimé comme si j’étais à cent lieues de vous. Je suis très affligé ; mais je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Sur le prêt à intérêt. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Bordes.

 

13 Septembre 1771.

 

 

          Mon cher philosophe, j’ai eu l’honneur de voir votre filleule, et j’ai reconnu son parrain : elle en a l’esprit et les grâces. Que n’êtes-vous le parrain de toute la ville de Lyon ! J’ai presque oublié mon âge et mes souffrances en voyant madame de La Bévière.

 

          On m’a mandé qu’on avait puni dans Lyon, d’un supplice égal à celui de Damiens, un homme qui avait assassiné sa mère, que ce spectacle attira une foule prodigieuse, et que le lendemain, quand on pendit un pauvre diable, il n’y eut personne : cela fait voir évidemment pourquoi l’on court depuis quelque temps aux tragédies dans le goût anglais.

 

          Je viens d’apprendre que vous n’avez point reçu des Questions qu’il n’appartient qu’à vous de résoudre, et qu’un Génevois, qui s’était chargé de vous les rendre, n’a point passé par Lyon, comme il m’en avait flatté ; je répare cette faute, et j’en commets peut-être une plus grande en vous envoyant des choses peu dignes de vous ; mais, si l’auteur des Questions pense peu, il pourra faire penser beaucoup. Il y a bien des morceaux où il ne dit rien qu’à moitié, et vous suppléerez aisément à tout ce qu’il n’a osé dire.

 

          Vous m’attribuez, mon cher philosophe, trop de talent, dans vos jolis vers.

 

Vous prétendez qu’avec trop de largesse

De m’enrichir la nature a pris soin.

- Peu de ducats composent ma richesse ;

Mais ils sont tous frappés à votre coin.

 

          Il me semble que je pense absolument comme vous sur tous les objets qui valent la peine d’être examinés.

 

          Ayez bien soin de votre santé, c’est là ce qui en vaut la peine. Je vous embrasse sans cérémonie ; les philosophes n’en font point, les amis encore moins.

 

 

 

 

 

à M. Vasselier.

 

A Ferney, 13 Septembre 1771 (1).

 

 

          Vous nous envoyez, mon cher correspondant, autant de melons que ma colonie vous adresse de boîtes ; vous êtes trop bon, et ma colonie est bien fatigante. Voici encore des montres.

 

          Votre peuple ne veut donc plus que des roues et des bûchers ? La pendaison lui est insipide : cela justifie les tragédies à l’anglaise. Pourquoi donc n’a-t-on jamais pu redonner l’Atrée de Crébillon ? C’est qu’il ne suffit pas qu’un spectacle soit atroce, il faut encore que la pièce soit bien écrite et intéressante.

 

          Vous me rendrez, mon cher ami, un très grand service, si vous voulez bien avoir la bonté de nous faire parvenir mille écus d’or d’Espagne, que M. Sherer doit envoyer à la société Valentin, Dalizette et Dufour (2). Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – A Ferney. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Mille.

 

A Ferney, le 13 Septembre 1771.

 

 

          Un vieux malade demi-bourguignon a reçu, monsieur, avec un extrême plaisir, votre Histoire de Bourgogne (1), et vous en remercie avec autant de reconnaissance. Mes remerciements tombent d’abord sur votre dissertation contre dom Titrier (2), que je viens de lire. Il serait bien à désirer que toutes ces usurpations, qui ne sont que trop prouvées, fussent enfin rendues à l’Etat. Dom Titrier a travaillé dans toutes les provinces de l’Europe, et particulièrement dans la Franche-Comté, où nous plaidons actuellement contre lui. Ses titres n’étant pas de droit humain, il prétend qu’ils sont de droit divin ; mais nous sommes assurés qu’ils sont de droit diabolique, et nous espérons que le diable en habit de moine ne gagnera pas toujours sa cause. J’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

1 – Abrégé chronologique de l’Histoire de Bourgogne. (G.A.)

2 – Dans le tome II de l’Abrégé. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Fabry.

 

16 Septembre 1771.

 

 

          Je vous supplie de vouloir bien lire cette pancarte, d’avoir la bonté de me dire ce que vous en pensez, et ce que je dois faire. Il est très certain que le nommé François Collet, charpentier, et domicilié à Ferney, et possesseur de quelques champs, a acheté deux coupes de blé au marché de Gex, pour ensemencer son petit domaine. Les employés lui volent son cheval et son blé, sous prétexte qu’il n’avait pas d’acquit à caution ; mais il me semble qu’ils devaient lui apprendre ce que c’est qu’un acquit à caution, et lui dire d’en aller chercher un.

 

          Ils prétendent, dans leur grimoire, que cet homme est très coupable pour n’avoir pas lu les lettres de M. de Trudaine ; mais ce pauvre homme n’a jamais entendu parler de M. de Trudaine, et, de plus, il ne sait pas lire.

 

          Je vous demande pardon, monsieur, de vous importuner d’une telle misère ; mais cette minutie est très essentielle pour ce pauvre homme, et ces vexations sont bien cruelles. J’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

 

 

 

à M. Vasselier.

 

A Ferney, 20 Septembre 1771 (1).

 

 

          On dit, mon cher correspondant, que tout s’est passé à Bordeaux dans la plus grande tranquillité, et que M. de Richelieu, quoique un peu vieux, a eu plus de crédit que les jeunes dames. Il est à croire que tous les autres régiments de la robe seront réformés avec la même facilité.

 

          Je vous remercie bien tendrement de toutes vos bontés pour ma colonie ; je me flatte qu’elle sera protégée par M. le duc d’Aiguillon, comme elle l’était par M. le duc de Choiseul.

 

          Voici une petite boite qui se recommande à vous. Le vaisseau est prêt à partir de Marseille ; si je tardais un moment, je perdrais une occasion que ma colonie ne retrouvera de plus de trois mois. Mille compliments à M. Tabareau.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

20 Septembre 1771.

 

 

          Voici ce que le vieux solitaire, le vieux malade, le vieux radoteur dit à son cher ange :

 

          1°/ Il a reçu la lettre du 14 Septembre.

 

          2°/ M. de La Ferté ne sait pas que, de ces deux portraits, l’un est de madame la dauphine, et l’autre de la reine de Naples ; ce qui me fait soupçonner que ces deux portraits ne sont pas trop ressemblants. Puisque mon cher ange est lié avec M. de La Ferté, je le prie, au nom de ma petite colonie, de vouloir bien nous recommander à lui ; elle fournira tout ce qu’on demandera, et à très bon marché.

 

          3°/ Le jeune auteur des Pélopides m’a montré sa nouvelle leçon, qui est fort différente de la première. Il est honteux de son ébauche ; il vous prie instamment de la renvoyer, et de nous dire comment il faut s’y prendre pour vous faire tenir la leçon véritable.

 

          4°/ M. Lantin le Bourguignon se flatte toujours que le célèbre Lekain prendra son affaire d’Afrique (1) en considération.

 

          5°/ Si dans l’occasion, mon cher ange peut faire quelque éloge de nos colonies à M. le duc d’Aiguillon, il nous rendra un grand service. Figurez-vous que nous avons fait un lieu considérable d’un méchant hameau où il n’y avait que quarante misérables dévorés de pauvreté et d’écrouelles. Il a fallu bâtir vingt maisons nouvelles de fond en comble. Nous avons actuellement quatre fabriques de montres, et trois autres petites manufactures. Loin d’avoir le moindre intérêt dans toutes ces entreprises, je me suis ruiné à les encourager, et c’est cela même qui mérite la protection du ministère. Le simple historique d’un désert affreux, changé en une habitation florissante et animée est un sujet de conversation à table avec des ministres. M. le duc de Choiseul avait daigné acheter quelques-unes de nos montres pour en faire des présents au nom du roi. Nos fabriques les vendent à un tiers meilleur marché qu’à Paris. Presque tous les horlogers de Paris achètent de nous les montres qu’ils vendent impudemment sous leur nom, et sur lesquelles ils gagnent non-seulement ce tiers, mais très souvent plus de moitié. Tout cela sera très bon à dire quand on traitera par hasard le chapitre des arts.

 

          6°/ Je ne demande point à mon cher ange le secret de Parme : mais je m’intéresse infiniment à M. de Felino (2) ; on dit que ce sont les jésuites qui ont trouvé le secret de le persécuter. Il est certain que si les jésuites étaient relégués en enfer, ils y cabaleraient ; juges de ce qu’ils doivent faire étant à Rome.

 

          7°/ Je vous prie de présenter mes respects à votre voisin.

 

          8°/ Comment mon autre ange se porte-t-elle ? a-t-elle repris toute sa santé ? sa poitrine et son estomac sont-ils bien en ordre ? vous amusez-vous tous deux, et madame Vestris entre-t-elle dans vos plaisirs ?

 

          Je me mets plus que jamais sous les ailes de mes anges.

 

 

1 – Sophonisbe. (G.A.)

2 – Du Tillot, marquis de Felino, premier ministre du duc de Parme. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

A Ferney, 23 Septembre 1771.

 

 

          Je n’ai pas été assez impudent pour oser interrompre mon héros dans son expédition de Bordeaux ; mais s’il a un moment de loisir, qu’il me permette de l’ennuyer de mes remerciements pour la bonté qu’il a eue dans mes petites affaires avec les héritiers de madame la princesse de Guise, et avec mon héros lui-même.

 

          Vous avez de plus, monseigneur, la bonté de me protéger auprès de M. le duc d’Aiguillon. Je ne savais pas, quand j’eus l’honneur de vous écrire, qu’il fût enfin décidé que Versoix, dont il était question, serait entièrement dans le département de M. le duc de La Vrillière. Je l’apprends, et je me restreins à demander les bontés de M. le duc d’Aiguillon pour la colonie que j’ai établie. Elle est assez considérable pour attirer l’attention du ministère, et pour mériter sa protection dans le pays étranger. Son commerce est déjà très étendu ; elle travaille avec succès, et ne demande ni ne demandera aucun secours d’argent à M. l’abbé Terray. Je désire seulement qu’on daigne la recommander à Paris à M. d’Ogny, intendant général des postes, et, en Espagne, à M. le marquis d’Ossun, qui nous ont rendu déjà tous les bons offices possibles, et que je craindrai encore moins d’importuner, quand ils sauront que le ministre des affaires étrangères veut bien me protéger.

 

          J’ai été entraîné dans cette entreprise assez grande par les circonstances presque forcées où je me suis trouvé, et je ne demande, pour assurer nos succès, que ces bontés générales qui ne compromettent personne.

 

          C’est dans cet esprit que j’écris à M. le duc d’Aiguillon, et que je me renomme de vous dans ma lettre ; j’espère que vous ne me démentirez pas. Il ne s’agit, encore une fois, que de me recommander à M. le marquis d’Ossun et à M. d’Ogny. Si vous voulez bien lui en écrire un petit mot, je vous en aurai beaucoup d’obligation.

 

          Je vous demande bien pardon de vous fatiguer de cette bagatelle ; mais après tout, c’est un objet de commerce intéressant pour l’Etat, et qui augmente la population d’une province. Vous êtes si accoutumé à faire du bien dans celles que vous gouvernez, que vous ne trouverez pas ma requête mal placée.

 

          Conservez vos bontés, monseigneur, à votre plus ancien courtisan, qui vous sera attaché avec le plus tendre respect jusqu’au dernier moment de sa vie.

 

 

 

 

 

 

 

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