CORRESPONDANCE - Année 1771 - Partie 14

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1771 - Partie 14

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à M. le comte de Milly.

 

Ferney, 8 Juillet 1771.

 

 

          Un vieillard très malade, et qui a presque entièrement perdu la vue, remercie plus tard qu’il n’aurait voulu, M. de Milly de ses bontés, et du livre agréable qu’il a bien voulu lui envoyer. Il n’est pas en état de vérifier les dates dont il lui parle. Il croit qu’elles sont exactes dans l’édition in-4°. Le triste état où il est ne lui permet à présent que de marquer à M. le comte sa reconnaissance et ses respectueux sentiments. V.

 

 

 

 

 

à M. Papillon de la Ferté.

 

Ferney, 8 Juillet 1771 (1).

 

 

          Je ne sais, monsieur, où vous êtes à présent, si c’est à Paris, à la Ferté ou à Bruxelles ; mais ma lettre vous trouvera, et les sentiments de mon cœur vous chercheraient partout.

 

          Il y a longtemps que je vous ai écrit ; j’ai respecté vos occupations qui doivent être assez grandes, et les affaires publiques qui intéressent tous les citoyens. Vous avez d’ailleurs une nombreuse famille qui exige tous vos soins et qui fait votre consolation. Vos belles terres demandent une attention continuelle. Ainsi, heureusement pour vous, toutes vos occupations sont de vrais plaisirs.

 

          Les miennes ne sont pas de cette nature ; je crains beaucoup à présent pour la colonie que j’ai établie : les dépenses qu’elle m’a coûtées étaient trop au-dessus d’un particulier aussi obscur et aussi médiocre que moi. J’ignore si on paiera du moins les derniers six mois des rentes enregistrées au parlement, que vous eûtes la bonté de me procurer, en dédommagement de l’argent comptant que j’avais mis en dépôt chez M. de La Balue, et dont le ministère a été obligé de s’emparer par le malheur des temps.

 

          J’ignore si l’on est en état de satisfaire à des engagements si sacrés, et qui intéressent la fortune de tant de particuliers. Je ne suis au fait de rien. L’amitié que vous m’avez toujours témoignée m’autorise à m’adresser à vous. Cinquante familles que j’ai recueillies, et pour lesquelles j’ai bâti des maisons, augmentent mes inquiétudes ; mais je suis plus pénétré de ma reconnaissance pour vous, qu’accablé de ma situation présente.

 

          Je vous souhaite, monsieur, toute la prospérité que vous méritez, et je me résigne aux malheurs que j’éprouve. Si vous me conseillez d’écrire à M. Duclos, je lui écrirai. Si vous jugiez qu’on pût obtenir quelques paiements de la part de ceux que le ministère a chargé de ce département, je m’adresserais à eux ; mais je dois d’abord vous consulter, et surtout vous réitérer les sentiments d’attachement et de reconnaissance avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

A Ferney, 9 Juillet 1771.

 

 

          Monsieur, j’ai l’honneur de vous renvoyer des papiers que les horlogers de Versoix m’ont apportés. Cela ressemble au procès de madame la comtesse de Pimbesche et de M. Chicaneau. Qu’est-ce qu’on vous a dit ?

 

          Qu’est-ce qu’on vous a fait ? – On m’a dit des injures.

 

Ils ne peuvent pas dire :

 

Outre un soufflet, monsieur, que j’ai reçu plus qu’eux.

 

Les Plaid., act. II, sc. IX.

 

          Tout cela ne me paraît pas mériter d’attention ; mais ce qui mérite à mon gré la mienne, c’est que tous ces horlogers, à qui j’ai bien voulu faire les avances les plus considérables, puissent ne point être inquiétés dans leurs travaux, et qu’ils soient en état de me payer, moi ou mes hoirs. Ainsi c’est pour eux que madame Denis et moi nous demandons votre protection. Madame Denis vous fait mille compliments.

 

          J’ai l’honneur d’être avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, votre, etc.

 

 

 

 

 

à M. Gabriel Cramer.

 

11 Juillet 1771 (1).

 

 

          Je prie encore une fois M. Cramer de ne rien mettre dans son édition in-4° que je puisse désavouer. Il sait qu’il y a beaucoup de petits bâtards qui courent le monde sous le nom de mes enfants légitimes. On s’imagine, à Paris, que c’est moi qui dirige à Genève toutes ces éditions, auxquelles je n’ai pourtant aucune part. Plus j’aime M. Cramer, et plus je serais fâché d’être obligé de renier ce qu’il fait imprimer. On est et on sera plus difficile que jamais à Paris ; il faut bien que je sois difficile aussi, tout facile que Dieu m’a fait. Je vous demande en grâce de ne rien faire sans m’en avertir. Vous vous doutez bien que j’ai de fortes raisons.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la marquise du Deffand.

 

11 Juillet 1771.

 

 

          Dieu soit béni, madame ! votre grand’maman me rend justice, et vous me la rendez. Je ne crains plus de déplaire à une âme aimable, juste et bienfaisante, pour avoir élevé ma voix contre des êtres malfaisants et injustes, qui dans la société ont toujours été insupportables, et, dans l’exercice de leur charge, tantôt des assassins, et tantôt des séditieux.

 

          Je suis dans un âge et dans une situation où je puis dire la vérité. Je l’ai dite sans rien attendre de personne au monde, et soyez sûre que je ne demanderai jamais rien à personne, du moins pour moi, car je n’ai jusqu’ici demandé que pour les autres.

 

          Si M. Walpole est à Paris, je vous prie de lui donner à lire la page 76 de la feuille (1) que je vous envoie ; il y est dit un petit mot de lui, j’ai regardé son sentiment comme une autorité, et ses expressions comme un modèle. Cette feuille est détachée du septième tome des Questions sur l’Encyclopédie, que vous ne connaissez ni ne voulez connaître. On a déjà fait quatre éditions des six premiers volumes, comme on a fait quatre éditions de ce grand dictionnaire qui est à la Bastille. Il est en prison dans sa patrie ; mais l’Europe est encyclopédiste. Vous me répondrez comme une héroïne de Corneille à Flaminius :

 

Le monde sous vos lois ! ah ! vous me feriez peur,

S’il ne s’en fallait pas l’Arménie et mon cœur.

 

Nicom., act. III, sc. VII.

 

          Ne confondez pas, je vous prie, l’or faux avec le véritable. Je vous abandonne tout l’alliage qu’on a mêlé à la bonne philosophie. Nous rendrons justice à ceux qui nous ont donné du vrai et de l’utile ; soyons ce que le parlement devrait être, équitables et sans esprit de parti ; réunissons-nous dans cette sainte religion qui consiste à vouloir être juste, et à ne voir (autant qu’on le peut) les choses que comme elles sont.

 

          Si vous daignez vous faire lire la feuille que je vous envoie (laquelle n’est qu’une épreuve d’imprimeurs), vous verrez qu’on y foule aux pieds tous les préjugés historiques.

 

          Il y a d’autres articles sur le goût tous remplis de traductions en vers des meilleurs morceaux de la poésie italienne et anglaise. Cela aurait pu vous amuser autrefois ; mais vous avez traité tout ce qui regarde l’Encyclopédie à Moscou, et que les flottes d’Archangel sont dans les mers de la Grèce. Avouez que Catherine a humilié l’empire le plus formidable, sans mettre aucun impôt sur ses sujets ; tandis qu’après neuf ans de paix on nous prend nos rescriptions sans nous rembourser, et qu’on accable d’un dixième le revenu de la veuve et de l’orphelin.

 

          A propos de justice, madame, vous souvenez-vous des quatre Epîtres sur la Loi naturelle ? Je vous en parle, parce qu’un prélat étranger étant venu chez moi m’a dit que non seulement il les avait traduites, mais qu’il les prêchait. Je lui ai répondu que Me Pasquier, l’oracle du parlement, les avait fait brûler par le bourreau de son parlement. Il m’a promis de faire brûler Pasquier, si jamais il passe par ses terres.

 

 

1 – Voyez le chapitre XVII du Pyrrhonisme de l’histoire, que Voltaire avait reproduit dans ses Questions sur l’Encyclopédie.(G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

17 Juillet 1771 (1).

 

 

          J’ai reçu de mon cher ange sa lettre du 11 juillet. Il ne doit point craindre que le jeune homme égorge son fils (2) ; il ne le redemande que pour lui donner un habit neuf, qu’il prétend être assez propre et assez bien fait, quoique par un tailleur de village.

 

          Il en est de même de l’abbé de Châteauneuf et du petit Latin (3) ; ils aiment leurs bâtards comme des fous.

 

          Je me flatte que mon petit philosophe Christin aura la gloire de délivrer quinze mille esclaves en Franche-Comté, comme fit Charles-Quint à Tunis. Vos bontés auront contribué à cette bonne œuvre. M. de La Coré, intendant de la province, dont on a demandé l’avis, est entièrement pour nous. Son mémoire est impartial, savant et éloquent ; enfin, j’espère beaucoup.

 

          La colonie enverra incessamment les deux montres qu’on demande. Celui qui se plaint que sa montre retarde, quand la chaîne est au bout, n’a qu’à avancer un peu l’aiguille de la spirale.

 

          Je supplie mon cher ange de montrer à M. le marquis de Monteynard (4) la lettre ci-jointe ; je lui ai déjà écrit à peu près les mêmes choses ; mais vous ne sauriez croire quels brigandages ont été exercés dans toute cette entreprise. Si toutes les affaires ont été traitées dans ce goût, je ne m’étonne pas du dérangement des finances. Est-il possible qu’après neuf ans de paix, nous soyons plus mal que nous étions dans le temps d’une guerre désastreuse !

 

          Nous renouvelons, madame Denis et moi, nos hommages les plus tendres à nos anges.

 

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Il s’agit toujours des Pélopides. (G.A.)

3 – Toujours le Dépositaire et Sophonisbe. (G.A.)

4 – Ministre de la guerre, parent de d’Argental. (A. François.)

 

 

 

 

 

à M. le comte André de Schowalow.

 

A Ferney, le 19 Juillet 1771.

 

 

Oui, j’aime Pallas l’intrépide,

Qui fait tomber sous son égide

Tout l’orgueil de ce vieux sultan.

J’admire avec même justice

Cette Pallas législatrice,

Qui de la Finlande au Cuban

Donne une loi moins tyrannique

Que certain code lévitique

Et le fatras de l’Alcoran.

 

          Courage, braves Russes ! la victoire est toujours venue du nord. Il faut que la raison en vienne ; il faut que les beaux et malheureux climats, si longtemps soumis à l’inquisition ou à l’équivalent, et peuplés de tant de fripons et d’imbéciles, soient éclairés par l’étoile du Nord, qui fait briller du haut du pôle arctique la tolérance universelle, qu’on n’ose pas même désirer encore dans certains pays.

 

          Savez-vous, monsieur le comte, que, grâce à la stupidité d’un de nos Welches, revêtu à Paris de l’éminente dignité de censeur des livres, l’Instruction de sa majesté impériale n’a pas eu la permission d’entrer en France ? N’imputez point cette barbarie à notre nation ; elle n’en est point coupable. Tous les gens qui pensent parmi nous révèrent cette Instruction admirable, et n’en voudraient jamais d’autre. Notre chancelier n’a rien su de cette sottise  cela s’est fait uniquement par les bêtises des subalternes, et avant le changement du ministère. Mais on est très coupable d’avoir confié quelque espèce de juridiction sur les belles-lettres à des gens qui ne devraient avoir que la surintendance des chardons.

 

          Oui, je reçus en son temps la lettre que vous eûtes la bonté de m’écrire sur M. de Tchogoglof. Je ne sais où il est, et j’ai abandonné cette petite affaire, pour laquelle on m’avait vivement sollicité.

 

          J’ai eu l’honneur de vous adresser un ingénieur-dessinateur, garçon de mérite, qui peut être utile. Je vous souhaite, et je l’espère, une paix glorieuse, digne de vos victoires. Si Moustapha n’a pu être chassé par les Russes, il les respectera du moins, et votre voisin le poète-empereur chinois les respectera aussi ; l’autre poète-roi de Prusse sera toujours leur bon ami. Je ne vous réponds point du troisième, et je vous garde le secret. Mes respects à madame la comtesse.

 

 

 

 

 

 

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