CORRESPONDANCE - Année 1769 - Partie 39
Photo de PAPAPOUSS
à M. Marenzi.
15 Décembre, au château de Ferney, par Genève.
Monsieur, j’ai soixante-seize ans, je suis très malade. J’ai été sur le point de mourir ; ainsi vous aurez la bonté de m’excuser si je ne vous ai pas remercié plus tôt. Vous nous avez ressuscités, Zaïre et moi (1). Vous faites des vers italiens comme j’en voudrais faire de français, si j’avais encore la force de m’amuser à ce charmant badinage ; mais l’état où je suis ne me permet tout au plus que de vous remercier en prose du fond de mon cœur. J’ai toujours désiré vainement de voir l’Italie ; on ne peut avoir une passion plus malheureuse ; vous augmentez, monsieur, cette passion et mes regrets. Autrefois mes compatriotes faisaient un pèlerinage à Notre-Dame de Lorette ; j’en ferais un au tombeau de messer Ariosto, si je n’étais pas trop près du mien ; mais je viendrais surtout voir celui qui m’a bien voulu embellir.
1 – Il avait traduit la tragédie de Voltaire. (G.A.)
à M. M.D.
Au château de Ferney, le 15 Décembre 1769.
Monsieur, si je n’avais pas été en train de tâter de mon cimetière, je vous aurais félicité plus tôt de votre victoire sur les ennemis des cimetières en plein air (1). Il y a beaucoup de gens dans ce monde qui persécutent les vivants et les morts. Vous me paraissez prendre en main la cause des uns et des autres.
Vous pensez bien juste sur les véritables pauvres et sur certains mendiants. Le dernier pape canonisa, il y a deux ans, un de ces pauvres (2) ; et ses confrères, mendiants par état, y ont dépensé quatre cent mille écus que les peuples ont payés.
Voyez, monsieur, où nous en sommes dans le siècle de la raison. Jugez si nous avons besoin d’être pensants qui vous imitent dans votre courage et dans vos succès. Je suis vieux comme Moïse, et je ne peux que lever les mains au ciel comme lui, pendant que vous vous battrez contre les barbares. J’ai l’honneur d’être, etc.
1 – Ce M.D.*** avait écrit à Voltaire qu’il avait réussi à faire transférer le cimetière hors de la petite ville qu’il habitait. (G.A.)
2 – Cucufin. (G.A.)
à M. Servan.
A Ferney, 20 Décembre 1769 (1).
L’ermite du mont Jura présente ses tendres respects au Cicéron du Dauphiné, et qui doit l’être de la France.
Le vieux malade de Ferney est très inquiet de la santé de l’ermite de Romans ; il met à ses pieds le petit amusement qu’il a l’honneur de lui envoyer.
M. Dupuits lui a parlé du plus beau discours qu’on ait encore fait à la rentrée. Il lui a parlé aussi d’une lettre et d’un extrait dont il dit que M. de Servan avait bien voulu l’honorer, mais qu’il n’a pas reçus.
L’ermite de Ferney dit pour seule prière à Dieu : Que M. Servan vive.
1 – Editeurs, de Cayrol et A. François (G.A.)
à M. Tabareau.
A Ferney, 22 Décembre (1).
Que ne suis-je jeune, monsieur ! j’irais avec vous en Italie. Recommandez-moi, je vous prie, à votre philosophe de vingt-deux ans, et qu’il ait pour un pauvre vieillard, pendant votre absence, les mêmes bontés que vous aviez pour moi.
Voici quelques rogatons qui m’arrivent de Hollande, et que je vous envoie pour vous amuser (2). Il y en a un pour M. Vasselier et un autre pour votre jeune élève que je suppose être philosophe, puisque vous l’aimez. Votre bibliothécaire sera à vos ordres à votre retour d’Italie, s’il est encore en vie.
1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)
2 – Dieu et les Hommes. (G.A.)
à Madame Dupuy, née de l’Estanduère.
Au château de Ferney, le 23 Décembre 1769.
Madame, le triste état de ma santé, qui est la suite de la vieillesse, ne m’a pas permis de répondre plus tôt à l’honneur que vous me faites.
L’ouvrage (1) dont vous me parlez n’est qu’un abrégé, qui n’a pas permis qu’on entrât dans les détails. Je ferai sans doute usage de ceux que vous avez bien voulu me faire parvenir, si mon âge et mes maladies me permettent d’étendre cette histoire selon mes premières vues.
Je suis bien flatté que vous ayez approuvé le peu que j’ai dit de M. votre père ; je n’ai fait que rendre gloire à la vérité, et justice à son rare mérite.
J’ai l’honneur d’être avec les sentiments les plus respectueux, madame, etc.
1 – Le Précis du Siècle de Louis XV, où Voltaire avait parlé du père de cette dame. Voyez chapitre XXVIII. (G.A.)