SIECLE DE LOUIS XIV - CATALOGUE - Musiciens - Partie 34
Photo de PAPAPOUSS
CATALOGUE
DE LA PLUPART DES ARTISTES CÉLÈBRES
QUI ONT PARU DANS LE SIÈCLE DE LOUIS XIV,
Pour servir à l’histoire littéraire de ce temps.
______________
MUSICIENS.
______________
La musique française, du moins la vocale, n’a été jusqu’ici du goût d’autre autre nation. Elle ne pouvait l’être, parce que la prosodie française est différente de toutes celles de l’Europe. Nous appuyons toujours sur la dernière syllabe, et toutes les autres nations pèsent sur la pénultième, ou sur l’antépénultième, ainsi que les Italiens. Notre langue est la seule qui ait des mots terminés par des e muets, et ces e, qui ne sont pas prononcés dans la déclamation ordinaire, le sont dans la déclamation notée, et le sont d’une manière uniforme : gloi-reu, victoi-reu, barbari-eu, furi-eu… Voilà ce qui rend la plupart de nos airs et notre récitatif insupportables à quiconque n’y est pas accoutumé. Le climat refuse encore aux voix la légèreté que donne celui d’Italie ; nous n’avons point l’habitude qu’on a eue longtemps chez le pape et dans les autres cours italiennes, de priver les hommes de leur virilité pour leur donner une voix plus belle que celle des femmes. Tout cela, joint à la lenteur de notre chant, qui fait une étrange musique française propre pour les seuls Français.
Malgré toutes ces raisons, les étrangers qui ont été longtemps en France conviennent que nos musiciens ont fait des chefs-d’œuvre en ajustant leurs airs à nos paroles, et que cette déclamation notée a souvent une expression admirable ; mais elle ne l’a que pour des oreilles très accoutumées, et il faut une exécution parfaite. Il faut des acteurs : en Italie, il ne faut que des chanteurs.
La musique instrumentale s’est ressentie un peu de la monotonie et de la lenteur qu’on reproche à la vocale ; mais plusieurs de nos symphonies, et surtout nos airs de danse, ont trouvé plus d’applaudissements chez les autres nations. On les exécute dans beaucoup d’opéras italiens ; il n’y en a presque jamais d’autres chez un roi (*) qui entretient un des meilleurs Opéras de l’Europe, et qui, parmi ses autres talents singuliers, a cultivé avec un très grand soin celui de la musique.
* Frédéric-le-Grand, roi de Prusse.
______________
LULLI (Jean-Baptiste)
1632 - 1687
Né à Florence en 1633, amené en France à l’âge de quatorze ans, et ne sachant encore que jouer du violon, fut le père de la vraie musique en France. Il sut accommoder son art au génie de la langue ; c’est l’unique moyen de réussir. Il est à remarquer qu’alors la musique italienne ne s’éloignait pas de la gravité et de la noble simplicité que nous admirons encore dans les récitatifs de Lulli.
Rien ne ressemble plus à ces récitatifs que le fameux motet de Luigi, chanté en Italie avec tant de succès dans le dix-septième siècle, et qui commence ainsi :
Sunt breves mundi rosæ,
Sunt fugitivi flores ;
Frondes veluti annosæ
Sunt labiles honores (*)
Il faut bien observer que dans cette musique de pure déclamation, qui est la mélopée des anciens, c’est principalement la beauté naturelle des paroles qui produit la beauté du chant ; on ne peut bien déclamer que ce qui mérite de l’être. C’est à quoi on se méprit beaucoup du temps de Quinault et de Lulli. Les poètes étaient jaloux du poète, et ne l’étaient pas du musicien. Boileau reproche à Quinault
. . . . . Ces lieux communs de morale lubrique,
Que Lulli réchauffa des sons de sa musique.
Les passions tendres, que Quinault exprimait si bien, étaient, sous sa plume, la peinture vraie du cœur humain bien plus qu’une morale lubrique. Quinault, par sa diction, échauffait encore plus la musique que l’art de Lulli n’échauffait ses paroles. Il fallait ces deux hommes et des acteurs pour faire de quelques scènes d’Atys, d’Armide, et de Roland, un spectacle tel que ni l’antiquité ni aucun peuple contemporain n’en connut. Les airs détachés, les ariettes, ne répondirent pas à la perfection de ces grandes scènes. Ces airs, ces petites chansons, étaient dans le goût de nos noëls ; ils ressemblaient aux barcarolles de Venise : c’était tout ce qu’on voulait alors. Plus cette musique était faible, plus on la retenait aisément ; mais le récitatif est si beau, que Rameau n’a jamais pu l’égaler. Il me faut des chanteurs, disait-il, et à Lulli des acteurs. Rameau a enchanté les oreilles. Lulli enchantait l’âme ; c’est un des grands avantages du siècle de Louis XIV, que Lulli ait rencontré un Quinault.
Après Lulli, tous les musiciens, comme Colasse, Campra, Destouches, et les autres, ont été ses imitateurs, jusqu’à ce qu’enfin Rameau est venu, qui s’est élevé au-dessus d’eux par la profondeur de son harmonie, et qui a fait de la musique un art nouveau.
A l’égard des musiciens de chapelle, quoiqu’il y en ait plusieurs célèbres en France, leurs ouvrages n’ont point encore été exécutés ailleurs.
* Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article ART DRAMATIQUE, du récitatif de Lulli. (G.A.)