ÉPÎTRE - A l'auteur du livre des trois imposteurs

Publié le par loveVoltaire

ÉPÎTRE - A l'auteur du livre des trois imposteurs

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A L’AUTEUR

 

DU LIVRE DES TROIS IMPOSTEURS.

 

 

 

(1)

 

 

- 1769 -

 

 

 

______

 

 

 

 

 

      Insipide écrivain, qui crois à tes lecteurs

Crayonner les portraits de tes Trois Imposteurs,

D’où vient que, sans esprit, tu fais le quatrième ?

Pourquoi, pauvre ennemi de l’essence suprême,

Confonds-tu Mahomet avec le Créateur,

Et les œuvres de l’homme avec Dieu, son auteur ?...

Corrige le valet, mais respecte le maître.

Dieu ne doit point pâtir des sottises du prêtre :

Reconnaissons ce Dieu, quoique très mal servi.

 

      De lézards et de rats mon logis est rempli ;

Mais l’architecte existe, et quiconque le nie

Sous le manteau du sage est atteint de manie.

Consulte Zoroastre, et Minos, et Solon,

Et le martyr Socrate, et le grand Cicéron :

Ils ont adoré tous un maître, un juge, un père.

Ce système sublime à l’homme est nécessaire.

C’est le sacré lien de la société,

Le premier fondement de la sainte équité,

Le frein du scélérat, l’espérance du juste.

 

      Si les cieux, dépouillés de son empreinte auguste,

Pouvaient cesser jamais de le manifester,

Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer (2).

Que le sage l’annonce, et que les rois le craignent.

Rois, si vous m’opprimez, si vos grandeurs dédaignent

Les pleurs de l’innocent que vous faites couler,

Mon vengeur est au ciel : apprenez à trembler.

Tel est au moins le fruit d’une utile croyance.

 

      Mais toi, raisonneur faux, dont la triste imprudence

Dans le chemin du crime ose les rassurer,

De tes beaux arguments quel fruit peux-tu tirer ?

Tes enfants à ta voix seront-ils plus dociles ?

Tes amis, au besoin plus sûrs et plus utiles ?

Ta femme plus honnête ? Et ton nouveau fermier,

Pour ne pas croire en Dieu, va-t-il mieux te payer ?

Ah ! laissons aux humains la crainte et l’espérance (3).

 

      Tu m’objectes en vain l’hypocrite insolence

De ces fiers charlatans aux honneurs élevés,

Nourris de nos travaux, de nos pleurs abreuvés ;

Des Césars avilis la grandeur usurpée ;

Un prêtre au Capitole où triompha Pompée ;

Des faquins en sandale, excrément des humains,

Trempant dans notre sang leurs détestables mains ;

Cent villes à leur voix couvertes de ruines.

Et de Paris sanglant les horribles matines (4).

Je connais  mieux que toi ces affreux monuments ;

Je les ai sous ma plume exposés cinquante ans.

Mais de ce fanatisme ennemi formidable,

J’ai fait adorer Dieu quand j’ai vaincu le diable.

Je distinguai toujours de la religion

Les malheurs qu’apporta la superstition.

L’Europe m’en sut gré ; vingt têtes couronnées

Daignèrent applaudir mes veilles fortunées,

Tandis que Patouillet m’injuriait en vain.

J’ai fait plus en mon temps que Luther et Calvin.

On les vit opposer, par une erreur fatale,

Les abus aux abus, le scandale au scandale.

Parmi les factions ardents à se jeter,

Ils condamnaient le pape, et voulaient l’imiter.

L’Europe par eux tous fut longtemps désolée ;

Ils ont troublé la terre, et je l’ai consolée.

J’ai dit aux disputants l’un sur l’autre acharnés :

« Cessez, impertinents ; cessez, infortunés ;

Très sots enfants de Dieu, chérissez-vous en frères,

Et ne vous mordez plus pour d’absurdes chimères. »

Les gens de bien m’ont cru : les fripons écrasés

En ont poussé des cris du sage méprisés ;

Et dans l’Europe enfin l’heureux tolérantisme

De tout esprit bien fait devient le catéchisme.

 

      Je vois venir de loin ces temps, ces jours sereins,

Où la philosophie, éclairant les humains,

Doit les conduire en paix aux pieds du commun maître :

Le fanatisme affreux tremblera d’y paraître :

On aura moins de dogme avec plus de vertu (5).

 

      Si quelqu’un d’un emploi veut être revêtu,

Il n’amènera plus deux témoins à sa suite (6)

Jurer quelle est sa foi, mais quelle est sa conduite.

 

      A l’attrayante sœur d’un gros bénéficier

Un amant huguenot pourra se marier ;

Des trésors de Lorette, amassés pour Marie,

On verra l’indigence habillée et nourrie (7) ;

Les enfants de Sara, que nous traitons de chiens,

Mangeront du jambon fumé par des chrétiens.

Le Turc, sans s’informer si l’iman lui pardonne,

Chez l’abbé Tamponet ira boire en Sorbonne (8).

Mes neveux souperont sans rancune et gaiement

Avec les héritiers des frères Pompignan (9) ;

Ils pourront pardonner à ce dur La Blétrie (10)

D’avoir coupé trop tôt la trame de ma vie.

Entre les beaux esprits on verra l’union :

Mais qui pourra jamais souper avec Fréron ?

 

 

 

 

1 – Ce livre des Trois Imposteurs est un très mauvais ouvrage, plein d’un athéisme grossier, sans esprit, et sans philosophie. (1771.) – Il parut en 1768. (G.A.)

 

2 – Voilà un vers qui a été répété à satiété par les spiritualistes. (G.A.)

 

3 – Camille Desmoulins, dans le n° II de son Vieux cordelier, s’est servi des mêmes arguments. (G.A.)

 

4 – La Saint-Barthélemy. (G.A.)

 

5 – Voltaire a bien souvent répété cela. (G.A.)

 

6 – En France, pour être reçu procureur, notaire, greffier, il faut deux témoins qui déposent de la catholicité du récipiendaire. (1769)

 

7 – Ces trésors, avons-nous déjà dit, se montaient à plus de deux cents millions de francs. (G.A.)

 

8 – Tamponet était en effet docteur de Sorbonne. (1771) – Voyez, aux FACÉTIES, Première anecdote sur Bélisaire. (G.A.)

 

9 – Voyez les Facéties sur les Pompignan. (G.A.)

 

10 – La Blétrie, à ce qu’on m’a rapporté, a imprimé que j’avais oublié de me faire enterrer. (1769)

 

 

 

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