DIALOGUES ET ENTRETIENS PHILOSOPHIQUES - L' A, B, C - Partie 11

Publié le par loveVoltaire

DIALOGUES ET ENTRETIENS PHILOSOPHIQUES - L' A, B, C - Partie 11

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L’A, B, C,

ou

DIALOGUES ENTRE A, B, C.

 

 

 

- Partie 11 -

 

 

 

 

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DOUZIÈME ENTRETIEN.

 

 

DU CODE DE LA PERFIDIE.

 

 

 

 

 

 

          B – Et du droit de la perfidie, qu’en dirons-nous ?

 

 

          A – Comment, par saint-George ! je n’avais jamais entendu parler de ce droit-là. Dans quel catéchisme avez-vous lu ce devoir du chrétien ?

 

 

          B – Je le trouve partout. La première chose que fait Moïse avec son saint peuple, n’est-ce pas d’emprunter par une perfidie les meubles des Egyptiens, pour s’en aller, dit-il, sacrifier dans le désert ? Cette perfidie n’est, à la vérité, accompagnée que d’un larcin ; celles qui sont jointes au meurtre sont bien plus admirables. Les perfidies d’Aod, de Judith, sont très renommées. Celles du patriarche Jacob envers son beau-père et son frère ne sont que des tours de maître Gonin (1), puisqu’il n’assassina ni son frère ni son beau-père. Mais vive la perfidie de David, qui s’étant associé quatre cents coquins perdus de dettes et de débauche, et ayant fait alliance avec un certain roitelet nommé Achis, allait égorger les hommes, les femmes, les petits enfants des villages qui étaient sous la sauvegarde de ce roitelet, et lui faisait croire qu’il n’avait égorgé que les hommes, les femmes et les petits garçons appartenant au roitelet Saül ! Vive surtout sa perfidie envers le bonhomme Uriah ! Vive celle du sage Salomon, inspiré de Dieu, qui fit massacrer son frère Adonias, après avoir juré de lui conserver la vie !

 

          Nous avons encore des perfidies très renommées de Clovis, premier roi chrétien des Francs, qui pourraient beaucoup servir à perfectionner la morale. J’estime surtout sa conduite envers les assassins d’un Regnomer, roi du Mans (supposé qu’il y ait jamais eu un royaume du Mans). Il fit marché avec de braves assassins pour tuer ce roi par derrière, et les paya en fausse monnaie ; mais comme ils murmuraient de n’avoir pas leur compte, il les fit assassiner pour rattraper sa monnaie de billon.

 

          Presque toutes nos histoires sont remplies de pareilles perfidies commises par des princes qui tous ont bâti des églises et fondé des monastères.

 

          Or l’exemple de ces braves gens doit certainement servir de leçon au genre humain ; car où en chercherait-il si ce n’est dans les oints du Seigneur ?

 

 

          A – Il m’importe fort peu que Clovis et ses pareils aient été oints ; mais je vous avoue que je souhaiterais, pour l’édification du genre humain, qu’on jetât dans le feu toute l’histoire civile et ecclésiastique. Je n’y vois guère que les annales des crimes ; et soit que ces monstres aient été oints ou ne l’aient pas été, il ne résulte de leur histoire que l’exemple de la scélératesse.

 

          Je me souviens d’avoir lu autrefois l’Histoire du grand schisme d’Occident (2). Je voyais une douzaine de papes tous également perfides, tous méritant également d’être pendus à Tyburn (3). Et puisque la papauté a subsisté au milieu d’un débordement si long et si vaste de tous les crimes, puisque les archives de ces horreurs n’ont corrigé personne, je conclus que l’histoire n’est bonne à rien.

 

 

          C – Oui, je conçois que le roman vaudrait mieux ; on y est maître du moins de feindre des exemples de vertu : mais Homère n’a jamais imaginé une seule action vertueuse et honnête dans tout son roman monotone de l’Iliade. J’aimerais beaucoup mieux le roman de Télémaque (4), s’il n’était pas tout en digressions et en déclamations. Mais puisque vous m’y faites songer, voici un morceau de Télémaque, concernant la perfidie, sur lequel je voudrais avoir votre avis.

 

          Dans une des digressions de ce roman, au livre XX, Adraste, roi des Dauniens, ravit la femme d’un nommé Dioscore. Ce Dioscore se réfugie chez les princes grecs, et, n’écoutant que sa vengeance, il leur offre de tuer le ravisseur leur ennemi. Télémaque, inspiré par Minerve, leur persuade de ne point écouter Dioscore, et de le renvoyer pieds et poings liés au roi Adraste. Comment trouvez-vous cette décision du vertueux Télémaque ?

 

 

          A – Abominable. Ce n’était pas apparemment Minerve, c’était Tisiphone qui l’inspirait. Comment  renvoyer ce pauvre homme, afin qu’on le fasse mourir dans les tourments, et qu’Adraste ressemble en tout à David, qui jouissait de la femme en faisant mourir le mari ! l’onctueux auteur du Télémaque n’y pensait pas. Ce n’est point là l’action d’un cœur généreux, c’est celle d’un méchant et d’un traître. Je n’aurais point accepté la proposition de Dioscore, mais je n’aurais pas livré cet infortuné à son ennemi. Dioscore était fort vindicatif, à ce que je vois ; mais Télémaque était un perfide.

 

 

          B – Et la perfidie dans les traités, l’admettez-vous ?

 

 

          C – Elle est fort commune, je l’avoue. Je serais bien embarrassé s’il fallait décider quels furent les plus grands fripons dans leurs négociations, des Romains ou des Carthaginois, de Louis VI le très chrétien, ou de Ferdinand le catholique, etc., etc. Mais je demande s’il n’est pas permis de friponner pour le bien de l’Etat.

 

 

          A – Il me semble qu’il y a des friponneries si adroites, que tout le monde les pardonne ; il y en a de si grossières, qu’elles sont universellement condamnées. Pour nous autres Anglais, nous n’avons jamais attrapé personne. Il n’y a que le faible qui trompe. Si vous voulez avoir de beaux exemples de perfidie, adressez-vous aux Italiens du quinzième et du seizième siècle (5).

 

          Le vrai politique est celui qui joue bien et qui gagne à la longue. Le mauvais politique est celui qui ne sait que filer la care et qui tôt ou tard est reconnu.

 

 

          B – Fort bien ; et s’il n’est pas découvert, ou s’il ne l’est qu’après avoir gagné tout notre argent, et lorsqu’il s’est rendu assez puissant pour qu’on ne puisse le forcer à le rendre ?

 

 

          C – Je crois que ce bonheur est rare, et que l’histoire nous fournit plus d’illustres filous punis que d’illustres filous heureux.

 

 

          B – Je n’ai plus qu’une question à vous faire. Trouvez-vous bon qu’une nation fasse empoisonner un ennemi public selon cette maxime, salus reipublicœ suprema lex esto ?

 

 

          A – Parbleu  allez demander cela à des casuistes. Si quelqu’un faisait cette proposition dans la chambre des communes, j’opinerais (Dieu me pardonne !) pour l’empoisonner lui-même, malgré ma répugnance pour les drogues. Je voudrais bien savoir pourquoi ce qui est un forfait abominable dans un particulier serait innocent dans trois cents sénateurs, et même dans trois cent mille ? Est-ce que le nombre des coupables transforme le crime en vertu ?

 

 

          C – Je suis content de votre réponse. Vous êtes un brave homme.

 

 

1 – Tours d’un trompeur habile et adroit. Gonin était un escamoteur du seizième siècle. (G.A.)

2 – Par le P. Maimbourg, 1678. (G.A.)

3 – Village d’Angleterre, près de Chelsea, dont les fourches patibulaires sont fameuses. (G.A.)

4 – Quarante ans auparavant, Voltaire avait déjà traité de roman le Télémaque, au grand scandale des admirateurs aveugles de Fénelon. Voyez l’Essai sur la poésie épique. (G.A.)

5 – Sous la Révolution et sous le règne de Napoléon Bonaparte, les Anglais héritèrent chez nous de la réputation des Italiens. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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