CORRESPONDANCE - Année 1969 - Partie 27

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1969 - Partie 27

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à M. le marquis d’Argence de Dirac.

 

7 Auguste (1).

 

 

          Je reçois, mon cher et vertueux ami, votre lettre du 1er de ce mois. Vous devez savoir que les lettres voyagent tout ouvertes, et que la vôtre a passé par Paris, au lieu de passer par Limoges. Il y a un paquet adressé pour vous, à Limoges, par le coche de Lyon qui va en droiture. Il est à l’adresse du sieur Morand, trafiquant en pelleteries, pour vous être rendu. C’est par ce M. Morand que je vous écris ce petit billet : l’état de ma santé ne me permet pas d’écrire de longues lettres.

 

          Mandez-moi, je vous en prie, si ce billet et ce ballot vous sont parvenus. Souvenez-vous toujours de votre ami, qui vous sera tendrement attaché tant qu’il respirera.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Chabanon.

 

7 Auguste 1769.

 

 

          J’aimerais encore mieux, mon cher ami, une bonne tragédie et une bonne comédie que des éloges de Racine et de Molière (1) ; mais enfin il est toujours bon de rendre justice à qui il appartient.

 

          Il me paraît qu’on a rendu justice à l’arlequinade substituée à la dernière scène de l’inimitable tragédie d’Iphigénie (2). Il y avait beaucoup de témérité de mettre le récit d’Ulysse en action. Je ne sais pas quel est le profane qui a osé toucher ainsi aux choses saintes.

 

          Comment ne s’est-on pas aperçu que le spectacle d’Eryphile se sacrifiant elle-même ne pouvait faire aucun effet, par la raison qu’Eryphile, n’étant qu’un personnage épisodique et un peu odieux, ne pouvait intéresser ? Il ne faut jamais tuer sur le théâtre que des gens que l’on aime passionnément.

 

          Je m’intéresse plus à l’auteur des Guèbres qu’à celui de la nouvelle scène d’Iphigénie. C’est un jeune homme qui mérite d’être encouragé ; il n’a que de bons sentiments, il veut inspirer la tolérance ; c’est toujours bien fait : il pourra y réussir dans cinquante ou soixante ans. En attendant, je crois que les honnêtes gens doivent le tolérer lui-même, sans quoi il serait exposé à la fureur des jansénistes, qui n’ont d’indulgence pour personne. Tous les philosophes devraient bien élever leur voix en faveur des Guèbres. J’ai vu cette pièce imprimée, dans le pays étranger, sous le nom de la Tolérance ; mais on est bien tiède aujourd’hui à Paris sur l’intérêt public ; on va à l’Opéra-Comique le jour qu’on brûle le chevalier de La Barre, et qu’on coupe la tête à Lally. Ah ! Parisiens, Parisiens ! vous ne savez que danser autour des cadavres de vos frères. Mon cher ami, vous n’êtes pas Welche.

 

 

1 – Tels qu’en proposait l’Académie et pour lesquels Chamfort concourait. (G.A.)

2 – Saint-Foix avait essayé de mettre en action le récit du cinquième acte d’Iphigénie. Le 31 juillet, on siffla cette tentative. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

Le 9 Auguste 1769.

 

 

          Grand merci de ce que vous préférez le mois d’auguste au barbare mois d’août ; vous n’êtes pas Welche.

 

          Je ne vous démentirai pas sur les Guèbres, j’en connais l’auteur ; c’est un jeune homme qu’il faut encourager. Il paraît avoir de fort bons sentiments sur la tolérance. Les honnêtes gens doivent rembarrer avec vigueur les méchants allégoristes qui trouvent partout des allusions odieuses : ces gens-là ne sont bons qu’à commenter l’Apocalypse. Les Guèbres n’ont pas le moindre rapport avec notre clergé, qui est assurément très humain, et qui de plus est dans l’heureuse impuissance de nuire.

 

          Je ne crois pas que la comédie du Dépositaire que vous m’avez envoyée soit de la force des Guèbres : une comédie ne peut jamais remuer le cœur comme une tragédie ; chaque chose doit être à son rang.

 

          Je ne crois pas que Lacombe vous donne beaucoup de votre comédie. Une pièce non jouée, et qui probablement ne le sera point, est toujours très mal vendue ; en tout cas, mon ancien ami, donnez-là à l’enchère.

 

          Je ne sais rien de si mal écrit, de si mauvais, de si plat, de si faux, que les derniers chapitres de l’Histoire du Parlement. Je ne conçois pas comment un livre, dont le commencement est si sage, peut finir si ridiculement ; les derniers chapitres ne sont pas même français. Vous me ferez un plaisir extrême de m’envoyer ces deux volumes de Mélanges historiques, par les guimbardes de Lyon.

 

          Je vous plains de souffrir comme moi ; mais avouez qu’il est plaisant que j’aie attrapé ma soixante-seizième année en ayant tous les jours la colique.

 

          Mon ami, nous sommes des roseaux qui avons vu tomber bien des chênes.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

10 Auguste 1769.

 

 

          Voici, mon cher ange, la copie de la lettre que j’écris à M. le duc d’Aumont. S’il n’en est pas touché, il a le cœur dur, et si son cœur est dur, son oreille l’est aussi. La musique de M. de La Borde est douce et agréable. Madame Denis, qui s’y connaît, en est extrêmement contente. C’est elle qui m’a déterminé à écrire à M. le duc d’Aumont, en m’assurant que vous approuveriez cette démarche  mais, après avoir fait ce pas, il serait triste de reculer. J’ai fort à cœur le succès de cette affaire pour plus d’une raison ; c’est la seule chose qui pourrait déterminer un certain voyage (1) ; d’ailleurs, il serait bien désagréable pour La Borde d’avoir sollicité une grâce dont il peut très bien se passer, et de n’avoir pu l’obtenir. En vérité, ce serait à lui qu’on devrait demander sa musique comme une grâce. Il est ridicule de présenter une vieille musique purement française à une princesse qui est entièrement pour le goût italien. Vous devriez bien mettre madame la duchesse de Villeroi dans notre parti.

 

          Au reste, si La Borde s’adresse à la personne (2) qui est si bien avec notre premier gentilhomme de la chambre, je ne crois pas que cela doive faire la moindre peine à l’adverse partie, qui ne se mêle point du tout des opéras.

 

          Je ne sais si La Borde est assez heureux pour être connu de vous ; c’est un bon garçon, complaisant et aimable, et dont le caractère mérite qu’on s’intéresse à lui, d’autant plus qu’il aime les arts pour eux-mêmes, et sans aucune vue qui puisse avilir un goût si respectable. En un mot, mon cher ange, faites ce que vous pourrez, et que l’espérance me reste encore au fond de la boite.

 

          J’espère surtout que madame d’Argental se porte mieux par le beau temps que nous avons.

 

          Je vous répète encore que, quoique je sois très sûr qu’on m’a pris beaucoup de papiers, je ne veux jamais connaître l’auteur de cette indiscrétion ; et, si on accusait dans le public celui que l’on soupçonne, je prendrais hautement son parti comme j’ai déjà fait en pareille occasion (3).

 

          On dit que l’abbé Chauvelin se meurt, et que le président Hénault est dans les limbes ; pour moi ; je suis toujours dans le purgatoire, et je me croirais dans le paradis si je pouvais vous embrasser.

 

 

1 – A Paris. (G.A.)

2 – Madame du Barry. (G.A.)

3 – A propos du second chant de la Guerre civile de Genève ; mais La Harpe n’avait pas dérobé l’Histoire du Parlement. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. l’abbé Audra.

 

10 Auguste (1).

 

 

          Votre ami l’abbé Morellet a fait un excellent ouvrage (2), qui pourrait bien aboutir à faire abolir la compagnie des Indes. Je voudrais qu’il fît abolir aussi des établissements beaucoup plus funestes.

 

          L’affaire de Sirven me paraît furieusement traîner en longueur. A-t-il rencontré des difficultés ? N’est-il pas conduit par un excellent avocat ? N’a-t-il pas de bons protecteurs ? Je vous supplie de vouloir bien, quand vous aurez un moment de loisir, me mettre au fait de la situation de cet infortuné.

 

          Il y a un académicien de Toulouse, nommé d’Arquier, qui me mande qu’on fait une souscription pour former une bonne troupe de comédiens, et que l’intention des souscripteurs est de faire représenter des pièces tragiques avec des chœurs. Je me prêterais volontiers à cette entreprise, s’il y avait en effet une bonne troupe, ou du moins une troupe qu’on pût former. Mon goût pour les beaux-arts ne finira qu’avec ma vie ; mais j’aime mieux employer mes derniers jours à servir avec vous des malheureux. Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Mémoire sur la situation actuelle de la compagnie des Indes. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. ***.

Genève, 13 Août 1769.

 

 

          Monsieur, quelques bains que mon père (1) a pris ont remis sa santé dans un si bon état, que toute notre famille est on ne peut plus joyeuse. Je vous ai parlé, le 1er de ce mois, des bonnes nouvelles de Nervis (2) ; celles qu’on a eues depuis de notre ami qui est dans le service de Russie ont encore augmenté notre joie.

 

          Quant aux nouvelles littéraires, notre voisin C. (3) Philibert vient de publier des Réflexions sur les mœurs, la religion et le culte, par J. Vernet, pasteur et professeur en théologie ; 18 pages in-8°.

 

          Voici ce qu’en pense un de nos républicains, en attendant son Tout en Dieu, etc.

 

 

1 – C’est madame Dupuits qui écrit. (G.A.)

2 – Sirven. (G.A.)

3 – Cramer. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la duchesse de Choiseul.

 

14 Auguste 1769.

 

 

          Madame Gargantua, j’ai reçu le soulier dont il a plu à votre grandeur de me gratifier ; il est long d’un pied de roi et d’un demi-pouce ; et comme j’ai ouï dire que vous êtes de la taille la mieux proportionnée, il est clair que vous devez avoir sept pieds trois pouces et demi de haut, ce qui, avec les deux pouces et demi de votre talon, compose une dame de sept pieds six pouces : c’est une taille fort avantageuse. On dira, tant qu’on voudra, que la Vénus de Médicis est petite, mais Minerve était très grande.

 

          C’est à Minerve à me dire si elle aime les Guèbres. L’auteur sera enchanté de ne lui pas déplaire ; il me l’a dit lui-même. C’est précisément votre tolérance qu’il demande. On s’est bien donné de garde de l’imprimer à Paris sous le titre de la Tolérance. Tout ce qu’on demande à vos grâces, madame, c’est que vous en disiez un peu de bien. Il y a des âmes approchantes de la vôtre qui la prennent sous leur protection, et il n’y a que ce moyen-là de lui procurer une entrée agréable dans le monde. On se garde bien de vous compromettre ; mais on ne croit ne point abuser de vos bontés en vous suppliant de joindre tout doucement votre voix à celles qui favorisent ces pauvres Guèbres.

 

          Quant à la ville de la tolérance (1), il est bien clair que ce ne sera pas là son nom ; mais si la chose n’y est pas, j’assure le maître de votre pied qu’elle ne sera jamais peuplée.

 

          L’Histoire (2) dont vous me faites l’honneur de me parler, madame, m’a paru écrite de deux mains bien différentes ; la fin est remplie d’erreurs, de sottises monstrueuses et de solécismes. Cette fin est impertinente de tout point. Je crois qu’il n’y a qu’un Fréron dans le monde qui puisse l’attribuer à mon ami. Il mourrait d’un excès d’indignation, si un être raisonnable et honnête pouvait perdre la raison et l’honnêteté au point de lui attribuer une si infâme rapsodie. Je me fâche presque en vous parlant. Je mets ma tête dans votre soulier (elle y entre très aisément) pour oublier des idées si désagréables ; et, me confiant à votre tête et à votre cœur beaucoup plus qu’à vos souliers, je suis avec un profond respect, madame Gargantua, votre, etc. GUILLEMET.

 

 

1 – Versoix. (G.A.)

2 – L’Histoire du Parlement. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte de Rochefort.

 

A Ferney, 14 Auguste 1769.

 

 

          Nous vous remercions, monsieur, ma famille et moi, des bontés dont vous ne cessez de nous honorer. Nous nous réjouissons beaucoup que madame votre femme soit en train de vous donner un enfant qui vous ressemble. Nous ne voulons point fatiguer M. votre frère l’abbé de trop de lettres. Nous l’avons remercié deux fois de la protection qu’il nous accorde, et il nous a toujours répondu très gracieusement. Nous comptons toujours sur sa faveur.

 

          Nous avons aussi reçu des lettres de M. et madame Bigot (1), ainsi que de sa sœur (2) ; nous croyons même vous l’avoir mandé. Mais ce qui serait pour nous d’une très grande importance, ce serait de savoir si M. Anjoran (3) a donné à madame votre cousine un petit paquet que je lui ai envoyé pour elle. J’ai mandé à M. Anjoran combien vous l’aimiez. Vous pourrez lui parler à cœur ouvert sur ce paquet et sur les bonnes intentions que madame votre cousine semble avoir pour moi ; il en pourrait résulter des choses qui me mettraient à portée de vous témoigner plus souvent de vive voix combien je vous suis dévoué.

 

          Nous avons vu à Lyon la tragédie des Guèbres ; elle nous a paru très utile pour la réforme des mœurs et pour la destruction des préjugés. Il est bien à désirer qu’elle soit jouée ; mais elle ne le sera point, à moins que tous les honnêtes gens n’élèvent leur voix en sa faveur. Vous êtes fait pour conduire les plus gros bataillons de cette armée. On espère que les ennemis ne pourront pas tenir devant vous.

 

          Je vous présente mes respects, ainsi qu’à madame la comtesse de Rochefort. Votre très humble et très obéissant. COUTURIER.

 

 

1 – Le duc et la duchesse de Choiseul. (G.A.)

2 – Madame la duchesse de Grammont. (G.A.)

3 – Le maréchal de Richelieu. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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