CORRESPONDANCE - Année 1769 - Partie 37

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1769 - Partie 37

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à M. le cardinal de Bernis.

 

A Ferney, le 13 Novembre 1769.

 

 

          Votre éminence veut s’amuser à Rome de quelques vers français : eh bien ! en voilà. Ma, per tutti i santi, oubliez que vous êtes archevêque et cardinal. Souvenez-vous seulement que vous êtes le plus aimable des hommes, l’académicien le plus éclairé, et que vous avez du génie. J’ajouterai encore : Souvenez-vous que vous avez de la bonté pour moi ; et dites-moi, je vous en prie, si vous êtes de l’avis de milord Cornsbury.

 

          Vous ne montrerez pas les Guèbres au cardinal Torregiani, n’est-il pas vrai ? Ma foi, votre pape paraît une bonne tête. Comment donc : depuis qu’il règne, il n’a fait aucune sottise.

 

 

 

 

 

à M. le comte de Rochefort.

 

18 Novembre 1769.

 

 

          Je suis devenu plus paresseux que jamais, monsieur, parce que je suis devenu plus faible et plus misérable. Il m’aurait été impossible de faire le voyage de Paris : je peux à peine faire celui de mon jardin. Madame Denis a rapporté une belle lunette, mais il faut avoir des yeux. On perd tout petit à petit, excepté les sentiments qui m’attachent à vous et à madame de Rochefort.

 

          Je voudrais bien avoir des compliments à vous faire sur l’accomplissement des promesses qu’on vous a faites. C’est là ce qui m’intéresse véritablement ; car, en vérité, j’ai beaucoup d’indifférence pour tout le reste. J’espère que M. le duc de Choiseul fera les choses que vous désirez. C’est la plus belle âme que je connaisse ; il est généreux comme Aboul-Cassem, brillant comme le chevalier de Grammont, et travailleur comme M. de Louvois. Il aime à faire plaisir ; vous serez trop heureux d’être son obligé.

 

          Je compte qu’au printemps vous serez un père de famille. Madame de Rochefort accouchera d’un brave philosophe ; il en faut de cette espèce.

 

          Je voudrais bien vous envoyer une nouvelle édition d’une pièce (1) qui commence ainsi :

 

Je suis las de servir ; souffrirons-nous, mon frère,

Cet avilissement du grade militaire ?

 

mais je ne sais comment m’y prendre. Il est beaucoup plus aisé d’envoyer des lunettes que des livres.

 

          L’oncle et la nièce disent tout ce qu’ils peuvent de plus tendre à M. et à madame de Rochefort.

 

 

1 – La tragédie des Guèbres. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame ***.

 

Au château de Ferney, 19 Novembre 1769 (1).

 

 

          Madame, il est vrai que si je n’avais cru que mes sentiments respectueux pour votre personne et ma sensibilité pour votre triste état, j’aurais écrit à M. l’avocat-général du sénat de Chambéry ; mais étant partie dans cette affaire, je n’ai pas osé prendre cette liberté. Il m’a paru qu’un étranger ne devait qu’attendre le jugement et s’y soumettre. D’ailleurs, tout ce qu’on m’a dit de M. l’avocat général me fait croire que les sollicitations sont très inutiles auprès de lui. Je sais qu’il est beaucoup mieux informé de votre affaire que je ne puis l’être. On m’assure de tous côtés qu’il est aussi bienfaisant qu’éclairé. Votre cruelle situation l’a sans doute attendri. Je vous conseille de faire comme moi, madame, d’attendre son rapport, et de vous conformer à ce qui sera décidé. Je ne puis croire que la grâce que le roi vous a faite vous devienne jamais inutile. J’ai l’honneur d’être avec respect, madame, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

21 Novembre 1769.

 

 

          On a l’honneur de renvoyer à M. Hennin la très belle et très sage lettre du roi.

 

          On lui envoie un paquet qu’on a reçu pour lui. On se doute de ce que c’est, et on souhaite qu’il ne soit point ennuyé.

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

22 Novembre 1769.

 

 

          Je n’ai pu encore, monseigneur, avoir les Souvenirs (1), mais j’ai l’honneur de vous envoyer un petit ouvrage (2) qui ne doit pas vous déplaire : car, après tout, vous avez servi sous Louis XIV, vous avez été blessé au siège de Fribourg ; il me semble qu’il vous aimait. La manie qu’on a aujourd’hui de le dénigrer me paraît bien étrange. Rien assurément ne me flatterait plus que de voir mes sentiments d’accord avec les vôtres.

 

          On me mande que les Scythes viennent d’être représentés dans votre royaume de Bordeaux, avec un très grand succès. Quelque peu de cas que je fasse de ces bagatelles, je vous supplie toujours de vouloir bien ordonner que les comédiens de Paris me rendent la justice qu’ils me doivent ; car, en effet, du temps de Louis XIV, ils ne manquaient point ainsi aux lois que les premiers gentilshommes de la chambre leur avaient données. Il est si désagréable d’être maltraité par eux, que vous me pardonnerez mes instances réitérées : je vous demande cette grâce au nom de mon ancien attachement et de vos bontés.

 

          Agréez, monseigneur, mon très tendre respect.

 

 

1 – Souvenirs de madame de Caylus. (G.A.)

2 – Journal de la cour de Louis XIV, depuis 1684 jusqu’à 1715, avec des notes intéressantes. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte de Féketé.

 

A Ferney, le 27 Novembre 1769.

 

 

          Monsieur, il n’y a qu’une seule chose qui ait pu m’empêcher de répondre sur-le-champ à votre très aimable lettre et à vos très jolis vers, c’est que j’ai été sur le point de mourir. Peut-être dois-je au plaisir que vous m’avez fait d’être encore en vie ; mais vous n’avez pas pu faire le miracle tout entier. Je suis si faible, que je ne peux même entrer dans aucun détail sur les beautés de votre ouvrage. Je n’ai précisément que la force de vous remercier. Si je vis, je vous supplie de me conserver vos bontés ; et si je meurs, je vous demande votre souvenir.

 

          Pardon d’une lettre si courte. Il faut tout pardonner à un vieillard qui n’en peut plus, et qui vous est très tendrement attaché.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

29 Novembre 1769.

 

 

          Vous êtes le premier, mon cher ange, à qui je dois apprendre que l’innocence de Sirven vient de triompher, que les juges lui ont ouvert les prisons, qu’ils lui ont donné mainlevée de ses biens saisis par les fermiers du domaine ; mais il faut qu’il y ait toujours quelque amertume dans la joie, et quelque absurdité dans les jugements des hommes. On a compensé les dépens entre le roi et lui ; cela me paraît d’un énorme ridicule. De plus, il est fort incertain que messieurs du domaine rendent les arrérages qu’ils ont reçus. Sirven en appelle au parlement de Toulouse. J’ose me flatter que ce parlement se fera un honneur de réparer entièrement les malheurs de la famille Sirven, et que le roi paiera les frais tout du long. Ce n’est pas là le cas où il faut lésiner, et sûrement le roi trouvera fort bon que les dépens du procès retombent sur lui.

 

          J’ai vu, dans une gazette de Suisse, que M. le duc de Praslin quittait le ministère. Ce n’est certainement pas le suisse de votre porte qui mande ces belles nouvelles ; mais il y a dans Paris un Suisse bel esprit, qui inonde les Treize-Cantons des bruits de ville les plus impertinents.

 

          Mais comment se porte madame d’Argental ? On dit qu’elle est languissante, qu’elle fait des remèdes : je la plains bien, je sais ce que c’est que cette vie-là. Est-ce la peine de vivre quand on souffre ? oui, car on espère toujours qu’on ne souffrira pas demain ; du moins, c’est ainsi que j’en use depuis plus de soixante ans. Ce n’est pas pour rien que j’ai fait un opéra où l’espérance arrive au cinquième acte. On dit que la Pandore de La Borde a très bien réussi à la répétition ; mais il y a certains vers où l’on dit que le mari de Pandore doit obéir ; cela est manifestement contraire à saint Paul, qui dit expressément : Femmes, obéissez à vos maris. Je croyais avoir rayé cette hérésie de l’opéra.

 

          Mille tendres respects, mon cher ange, à vous et à madame d’Argental.

 

 

 

 

 

à M. l’abbé Audra.

 

Le 30 Novembre 1769.

 

 

          Mon cher philosophe, vous êtes actuellement instruit du contenu de la sentence. Je conseille à Sirven de faire tout ce que vous et M. de La Croix lui ordonnerez. Son innocence ne peut plus être contestée. Faudra-t-il qu’il lui en coûte de l’argent pour avoir été si indignement accusé, pour avoir été exilé de sa patrie pendant sept ans, et pour avoir vu mourir sa femme de douleur ? Je suis prêt à payer les deux cent quatre-vingts livres de frais auxquelles on le condamne ; mais il serait plus juste que le juge de  Mazamet les payât. Il est vrai que Sirven était contumax, mais il ne fallait pas le condamner, lui et sa famille, quand on n’avait nulle preuve contre lui. Le juge et le médecin méritaient tous d’être mis au pilori avec un bonnet d’âne sur leur tête.

 

          Je suis bien malade. Je ne puis écrire à M. de La Croix. Je vous supplie de lui dire que je suis prêt à l’aimer autant que je l’estime. Bonjour, mon cher philosophe.

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

3 Décembre 1769.

 

 

          Enfin, monseigneur, voici les Souvenirs de madame de Caylus, que j’attendais depuis si longtemps ; ils sont détestablement imprimés. C’est dommage que madame de Caylus ait eu si peu de mémoire. Mais enfin, comme elle parle de tout ce que vous avez connu dans votre première jeunesse, et surtout de madame la duchesse de Richelieu votre mère, et de M. le duc de Richelieu, qui est votre père, quoi qu’on die, je suis persuadé que ces Souvenirs vous en rappelleront mille autres, et par là vous feront un grand plaisir. Je me flatte que le paquet vous parviendra, quoique un peu gros. Permettez-moi de vous faire souvenir des Scythes, pour le dernier mois de votre règne des Menus. On dit qu’il ne sied pas à un dévot comme moi de songer encore aux vanités de ce monde ; mais ce n’est point vanité, c’est justice. Je vous supplie d’être assez bon pour me dire si les Souvenirs de madame de Caylus vous ont amusé.

 

          Recevez, avec votre bonté ordinaire, mon très tendre respect.

 

 

 

 

 

à M. Servan.

 

6 Décembre 1769.

 

 

          Monsieur, la lettre dont vous m’honorez me ranime ; je suis bien malade, et presque mourant ; mais portez-vous bien et vivez. Soyez très sûr que, malgré votre modestie, le monde a besoin de vous. M. l’abbé de Ravel m’a dit que votre santé était très faible ; je vous conjure d’en avoir grand soin et surtout de votre poitrine.

 

          Il est très vrai que j’ai souvent sur ma cheminée et sous mes yeux le peu d’écrits publics qu’on a de vous ; mais je vous ai donné mon cœur ; je m’intéresse à votre vie, encore plus s’il est possible qu’à votre gloire ; qu’il y ait trois ou quatre hommes comme vous en France, et la France en vaudra mieux.

 

          Vous ai-je jamais dit combien de larmes interrompirent la lecture que je faisais à douze ou quinze personnes de ce discours (1) dans lequel vous vengiez les droits de l’humanité contre un lâche qui s’était fait catholique, apostolique, romain, pour trahir sa femme et la réduire à l’aumône ? On m’a dit que tout l’auditoire avait éclaté en sanglots comme nous. M. Daguesseau, dont on a imprimé dix volumes, n’a jamais fait répandre une larme. Je ne veux pas vous en dire davantage ; mais je ne suis point ébloui des noms.

 

          Je me flatte que vous n’avez pas oublié votre beau projet sur la jurisprudence. Peut-être l’article des MŒURS, dont vous voulez bien me parler, entre-t-il dans cet ouvrage. Permettez-moi de vous confier qu’une très petite société de gens, qui ont du moins le mérite de penser comme vous, travaille à un supplément de l’Encyclopédie (2), dont on va bientôt imprimer le premier volume. Si vous étiez assez bon pour envoyer ce que vous avez daigné écrire sur les Spectacles qui peuvent contribuer aux bonnes mœurs, ce serait un morceau bien précieux, dont nous ferions usage à l’article DRAMATIQUE ; et cela vaudrait mieux que la Conversation de l’intendant des Menus avec l’abbé Grizel (3).

 

          Il est bien plaisant, monsieur, que Jean-Jacques ait écrit contre les spectacles en faisant une mauvaise comédie, et contre les romans en faisant un mauvais roman. Mais qu’attendre d’un polisson qui dit dans je ne sais quel Emile, que M. le dauphin pourrait faire un bon mariage en épousant la fille du bourreau ? Cet inconcevable fou descend en droite ligne du chien de Diogène : vous lui faites bien de l’honneur de prononcer son nom.

 

          Si vous poussiez la générosité jusqu’à nous envoyer ce qui regarde les spectacles, vous pouvez être sûr du plus profond secret. Vous n’auriez qu’à faire adresser le paquet à M. Vasselier, premier commis des bureaux des postes à Lyon. Je ne mérite pas cette bonté de votre part ; mais accordez-là au public, et agréez l’extrême vénération et l’attachement très respectueux du pauvre vieillard des montagnes.

 

 

1 – Discours dans la cause d’une femme protestante. (G.A.)

2 – Il s’agit des Questions sur l’Encyclopédie. (G.A.)

3 – Voyez aux DIALOGUES. (G.A.)

 

 

 

 

 

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