THÉÂTRE - LES SCYTHES - Partie 5

Publié le par loveVoltaire

THÉÂTRE - LES SCYTHES - Partie 5

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LES SCYTHES.

 

 

_______________

 

 

 

 

SCÈNE IV.

 

HERMODAN, SOZAME, INDATIRE.

 

 

 

 

INDATIRE.

 

Obéide se donne,

Obéide est à moi, si ta bonté l’ordonne,

Si mon père y souscrit.

 

SOZAME.

 

Nous l’approuvons tous deux ;

Notre bonheur, mon fils, est de te voir heureux.

Cher ami, ce grand jour renouvelle ma vie ;

Il me fait citoyen de ta noble patrie.

 

 

 

 

 

SCÈNE V.

 

SOZAME, HERMODAN, INDATIRE, UN SCYTHE.

 

 

 

 

 

LE SCYTHE.

 

Respectables vieillards, sachez que nos hameaux

Seront bientôt remplis de nos hôtes nouveaux.

Leur chef est empressé de voir dans la Scythie

Un guerrier qu’il connut aux champs de la Médie ;

Il nous demande à tous en quels lieux est caché

Ce vieillard malheureux qu’il a longtemps cherché.

 

 

HERMODAN, à Sozame.

 

O ciel ! jusqu’en mes bras il viendrait te poursuivre !

 

INDATIRE.

 

Lui, poursuivre Sozame ! il cesserait de vivre.

 

LE SCYTHE.

 

Ce généreux Persan ne vient point défier

Un peuple de pasteurs innocent et guerrier ;

Il paraît accablé d’une douleur profonde ;

Peut-être est-ce un banni qui se dérobe au monde,

Un illustre exilé qui dans nos régions

Fuit une cour féconde en révolutions.

Nos pères en ont vu qui, loin de ces naufrages,

Rassasiés de trouble, et fatigués d’orages,

Préféraient de nos mœurs la grossière âpreté

Aux attentats commis avec urbanité.

Celui-ci paraît fier, mais sensible, mais tendre :

Il veut cacher les pleurs que je l’ai vu répandre

 

 

HERMODAN, à Sozame.

 

Ses pleurs me sont suspects, ainsi que ses présents.

Pardonne à mes soupçons, mais je crains les Persans :

Ces esclaves brillants veulent au moins séduire.

Peut-être c’est à toi qu’on cherche encore à nuire ;

Peut-être ton tyran, par ta fuite trompé,

Demande ici ton sang à sa rage échappé.

D’un prince quelquefois le malheureux ministre

Pleure en obéissant à son ordre sinistre.

 

SOZAME.

 

Oubliant tous les rois dans ces heureux climats,

Je suis oublié d’eux, et je ne les crains pas (1).

 

INDATIRE, à Sozame.

 

Nous mourrions à tes pieds avant qu’un téméraire

Pût manquer seulement de respect à mon père.

 

LE SCYTHE.

 

S’il vient pour te trahir, va, nous l’en punirons ;

Si c’est un exilé nous le protégerons.

 

INDATIRE.

 

Ouvrons en paix nos cœurs à la pure allégresse ;

Que nous fait d’un Persan la joie ou la tristesse ?

Et qui peut chez le Scythe envoyer la terreur ?

Ce mot honteux de crainte a révolté mon cœur.

Mon père, mes amis, daignez de vos mains pures

Préparer cet autel redouté des parjures,

Ces festons, ces flambeaux, ces gages de ma foi.

 

(A Sozame.)

 

Viens présenter la main qui combattra pour toi,

Cette main trop heureuse, à ta fille promise,

Terrible aux ennemis, à toi toujours soumise.

 

 

1 – Toujours Voltaire à Ferney. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

ACTE DEUXIÈME.

 

 

 

 

 

SCÈNE I.

 

OBÉIDE, SULMA.

 

 

 

 

 

 

SULMA.

 

Vous y résolvez-vous ?

 

OBÉIDE. (1)

 

Oui, j’aurai le courage

D’ensevelir mes jours en ce désert sauvage :

On ne me verra point, lasse d’un long effort,

D’un père inébranlable attendre ici la mort,

Pour aller dans les murs de l’ingrate Ecbatane

Essayer d’adoucir la loi qui le condamne,

Pour aller recueillir des débris dispersés

Que tant d’avides mains ont en foule amassés.

Quand sa fuite en ces lieux fut par lui méditée,

Ma jeunesse peut-être en fut épouvantée ;

Mais j’eus honte bientôt de ce secret retour

Qui rappelait mon cœur à mon premier séjour.

J’ai sans doute à ce cœur fait trop de violence

Pour démentir jamais tant de persévérance.

Je me suis fait enfin, dans ces grossiers climats,

Un esprit et des mœurs que je n’espérais pas.

Ce n’est plus Obéide à la cour adorée,

D’esclaves couronnés à toute heure entourée ;

Tous ces grands de la Perse, à ma porte rampants,

Ne viennent plus flatter l’orgueil de mes beaux ans.

D’un peuple industrieux les talents mercenaires

De mon goût dédaigneux ne sont plus tributaires :

J’ai pris un nouvel être ; et s’il m’en a coûté

Pour subir le travail avec la pauvreté,

La gloire de me vaincre et d’imiter mon père,

En m’en donnant la force, est mon noble salaire.

 

SULMA.

 

Votre rare vertu passe votre malheur :

Dans votre abaissement je vois votre grandeur ;

Je vous admire en tout  mais le cœur est-il maître

De renoncer aux lieux où le ciel nous fit naître ?

La nature a ses droits ; ses bienfaisantes mains

Ont mis ce sentiment dans les faibles humains.

On souffre en sa patrie, elle peut nous déplaire ;

Mais quand on l’a perdue, alors elle est bien chère.

 

 

OBÉIDE.

 

Le ciel m’en donne une autre, et je la dois chérir,

La supporter du moins, y languir, y mourir ;

Telle est ma destinée… Hélas ! tu l’as suivie !

Tu quittas tout pour moi, tu consoles ma vie ;

Mais je serais barbare en t’osant proposer

De porter ce fardeau qui commence à peser.

Dans les lâches parents qui m’ont abandonnée

Tu trouveras peut-être une âme assez bien née,

Compatissante assez pour acquitter vers toi

Ce que le sort m’enlève, et ce que je te doi ;

D’une pitié bien juste elle sera frappée

En voyant de mes pleurs une lettre trempée.

Pars, ma chère Sulma ; revois, si tu le veux,

La superbe Ecbatane et ses peuples heureux ;

Laisse dans ces déserts ta fidèle Obéide.

 

SULMA.

 

Ah ! que la mort plutôt frappe cette perfide

Si jamais je conçois le criminel dessein

De chercher loin de vous un bonheur incertain !

J’ai vécu pour vous seule, et votre destinée

Jusques à mon tombeau tient la mienne enchaînée ;

Mais je vous l’avouerai, ce n’est pas sans horreur

Que je vois tant d’appas, de gloire, de grandeur,

D’un soldat de Scythie être ici le partage.

 

OBÉIDE.

 

Après mon infortune, après l’indigne outrage

Qu’à fait à ma famille, à mon âge, à mon nom,

De l’immortel Cyrus un fatal rejeton ;

De la cour à jamais lorsque tout me sépare,

Quand je dois tant haïr ce funeste Athamare ;

Sans Etat, sans patrie, inconnue en ces lieux,

Tous les humains, Sulma, sont égaux à mes yeux ;

Tout m’est indifférent.

 

SULMA.

 

Ah ! contrainte inutile !

 

OBÉIDE.

 

Cesse de m’arracher, en croyant m’éblouir,

Ce malheureux repos dont je cherche à jouir.

Au parti que je prends je me suis condamnée,

Va, si mon cœur m’appelle aux lieux où je suis née,

Ce cœur doit s’en punir ; il se doit imposer

Un frein qui le retienne, et qu’il n’ose briser.

 

SULMA.

 

D’un père infortuné, victime volontaire,

Quels reproches, hélas ! auriez-vous à vous faire ?

 

OBÉIDE.

 

Je ne m’en ferai plus. Dieux, je vous le promets,

Obéide à vos yeux ne rougira jamais.

 

SULMA.

 

Qui, vous ?

 

OBÉIDE.

 

Tout est fini. Mon père veut un gendre ;

Il désigne Indatire, et je sais trop l’entendre :

Le fils de son ami doit être préféré.

 

SULMA.

 

Votre choix est donc fait ?

 

OBÉIDE.

 

Tu vois l’autel sacré

Que préparent déjà mes compagnes heureuses,

Ignorant de l’hymen les chaînes dangereuses,

Tranquilles, sans regrets, sans cruel souvenir (2).

 

SULMA.

 

D’où vient qu’à cet aspect vous paraissez frémir ?

 

 

 

1 – Voilà maintenant madame Denis. (G.A.)

2 – Voltaire voulait que pendant cette scène de jeunes bergères, vêtues de blanc, vinssent attacher des guirlandes aux arbres qui entourent l’autel. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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