THÉÂTRE : L'ÉCOSSAISE - Partie 13
Photo de PAPAPOUSS
L’ÉCOSSAISE.
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SCÈNE V.
MONROSE, FABRICE.
FABRICE.
Monsieur, vous êtes étonné peut-être du procédé de M. Freeport, mais c’est sa façon. Heureux ceux qu’il prend tout d’un coup en amitié ! il n’est pas complimenteur, mais il oblige en moins de temps que les autres ne font des protestations de services.
MONROSE.
Il y a de belles âmes… Que deviendrai-je ?
FABRICE.
Gardons-nous au moins de dire à notre pauvre petite le danger qu’elle a couru.
MONROSE.
Allons, partons cette nuit même.
FABRICE.
Il ne faut avertir les gens de leur danger que quand il est passé.
MONROSE.
Le seul ami que j’avais à Londres est mort… Que fais-je ici ?
FABRICE.
Nous la ferions évanouir encore une fois.
SCÈNE VI.
MONROSE.
MONROSE.
On arrête une jeune Ecossaise, une personne qui vit retirée, qui se cache, qui est suspecte au gouvernement ? Je ne sais … mais cette aventure me jette dans de profondes réflexions… Tout réveille l’idée de mes malheurs, mes afflictions, mon attendrissement, mes fureurs.
SCÈNE VII.
MONROSE, POLLY.
MONROSE, apercevant Polly qui passe..
Mademoiselle, un petit mot, de grâce… Etes-vous cette jeune et aimable personne née en Ecosse, qui …
POLLY.
Oui, monsieur, je suis assez jeune ; je suis Ecossaise ; et pour aimable, bien des gens me disent que je le suis.
MONROSE.
Ne savez-vous aucune nouvelle de votre pays ?
POLLY.
Oh ! non, monsieur ; il y a si longtemps que je l’ai quitté !
MONROSE.
Et qui sont vos parents, je vous prie ?
POLLY.
Mon père était un excellent boulanger, à ce que j’ai ouï dire et ma mère avait servi une dame de qualité.
MONROSE.
Ah ! j’entends ; c’est vous apparemment qui servez cette jeune personne dont on m’a tant parlé ; je me méprenais.
POLLY.
Vous me faites bien de l’honneur.
MONROSE.
Vous savez sans doute qui est votre maîtresse ?
POLLY.
Oui, monsieur ; c’est la plus douce, la plus aimable fille, la plus courageuse dans le malheur.
MONROSE.
Elle est donc malheureuse ?
POLLY.
Oui, monsieur, et moi aussi ; mais j’aime mieux la servir que d’être heureuse.
MONROSE.
Mais je vous demande si vous ne connaissez pas sa famille.
POLLY.
Monsieur, ma maîtresse veut être inconnue : elle n’a point de famille ; que me demandez-vous là ? pourquoi ces questions ?
MONROSE.
Une inconnue ! O ciel si longtemps impitoyable ! s’il était possible qu’à la fin je pusse ! … Mais quelles vaines chimères ! Dites-moi, je vous prie, quel est l’âge de votre maîtresse ?
POLLY.
Oh ! pour son âge, on peut le dire ; car elle est bien au-dessus de son âge ; elle a dix-huit ans.
MONROSE.
Dix-huit ans !... Hélas ! ce serait précisément l’âge qu’aurait ma malheureuse Monrose, ma chère fille, seul reste de ma maison, seul enfant que mes mains aient pu caresser dans son berceau : dix-huit ans ?…
POLLY.
Oui, monsieur ; et moi je n’en ai que vingt-deux : il n’y a pas une si grande différence. Je ne sais pas pourquoi vous faites tout seul tant de réflexions sur son âge.
MONROSE.
Dix-huit ans ! et née dans ma patrie ! et elle veut être inconnue ! je ne me possède plus : il faut, avec votre permission, que je la voie, que je lui parle tout à l’heure.
POLLY.
Ces dix-huit ans tournent la tête à ce bon vieux gentilhomme. Monsieur, il est impossible que vous voyiez à présent ma maîtresse ; elle est dans l’affliction la plus cruelle.
MONROSE.
Ah ! c’est pour cela même que je veux la voir.
POLLY.
De nouveaux chagrins qui l’ont accablée, qui ont déchiré son cœur, lui ont fait perdre l’usage de ses sens. Elle est à peine revenue à elle, et le peu de repos qu’elle goûte dans ce moment, est un repos mêlé de trouble et d’amertume : de grâce, monsieur, ménagez sa faiblesse et ses douleurs.
MONROSE.
Tout ce que vous me dites redouble mon empressement. Je suis son compatriote ; je partage toutes ses afflictions ; je les diminuerai peut-être : souffrez qu’avant de quitter cette ville, je puisse entretenir votre maîtresse.
POLLY.
Mon cher compatriote, vous m’attendrissez : attendez encore quelques moments. Je vais à elle : je reviendrai à vous.