THÉÂTRE : L'ÉCOSSAISE - Partie 6

Publié le par loveVoltaire

THÉÂTRE : L'ÉCOSSAISE - Partie 6

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

L’ÉCOSSAISE.

 

 

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PERSONNAGES.

 

 

 

 

 

  • Maître FABRICE                                tenant un café avec des appartements.

  • LINDANE                                           Ecossaise.

  • Le Lord MONROSE                          Ecossais.

  • Le Lord MURRAY                           

  • FREEPORT                                        qu’on prononce FRIPORT, gros négociant             Londres

  • POLLY                                               suivante.

  • FRÉLON                                            écrivain de feuilles.

  • Lady ALTON                                     qu’on prononce LÉDY.

  • ANDRÉ                                              laquais de lord Monrose.

  • Plusieurs Anglais                            qui viennent au café.

  • Domestiques

  • Un messager d’Etat

     

     

     

     

     

     

    La scène est à Londres.

     

     

     

     

     

______

 

 

 

 

 

ACTE PREMIER.

 

SCÈNE I.

 

 

 

La scène représente un café et des chambres sur les ailes, de façon qu’on peut entrer de plain-pied des appartements dans le café.

 

(1)

 

 

 

 

 

FRÉLON.

 

dans un coin, auprès d’une table sur laquelle

il y a une écritoire et du café, lisant la gazette.

 

 

          Que de nouvelles affligeantes ! Des grâces répandues sur plus de vingt personnes ! aucune sur moi ! Cent guinées de gratification à un bas officier, parce qu’il a fait son devoir, le beau mérite ! Une pension à l’inventeur d’une machine qui ne sert qu’à soulager des ouvriers ! une à un pilote ! Des places à des gens de lettres ! et à moi rien. Encore, encore, et à moi rien ! (Il jette la gazette et se promène.) Cependant je rends service à l’Etat ; j’écris plus de feuilles que personne ; je fais enchérir le papier … et à moi rien ! Je voudrais me venger de tous ceux à qui on croit du mérite. Je gagne déjà quelque chose à dire du mal ! si je puis parvenir à en faire, ma fortune est faite. J’ai loué des sots, j’ai dénigré les talents ; à peine y a-t-il de quoi vivre. Ce n’est pas à médire, c’est à nuire qu’on fait fortune (2).

 

(Au maître du café.)

 

          Bonjour, monsieur Fabrice, bonjour. Toutes les affaires vont bien, hors les miennes : j’enrage.

 

FABRICE.

 

          Monsieur Frélon, monsieur Frélon, vous vous faites bien des ennemis.

 

FRÉLON.

 

          Oui, je crois que j’excite un peu d’envie.

 

FABRICE.

 

          Non, sur mon âme, ce n’est point du tout ce sentiment-là que vous faites naître : écoutez ; j’ai quelque amitié pour vous ; je suis fâché d’entendre parler de vous comme on en parle. Comment faites-vous donc pour avoir tant d’ennemis, monsieur Frélon ?

 

FRÉLON.

 

          C’est que j’ai du mérite, monsieur Fabrice.

 

FABRICE.

 

          Cela peut être ; mais il n’y a encore que vous qui me l’ayez dit : on prétend que vous êtes un ignorant ; cela ne me fait rien : mais on ajoute que vous êtes malicieux, et cela me fâche, car je suis bon homme.

 

FRÉLON.

 

          J’ai le cœur bon, j’ai le cœur tendre ; je dis un peu de mal des hommes, mais j’aime toutes les femmes, monsieur Fabrice, pourvu qu’elles soient jolies ; et, pour vous le prouver, je veux absolument que vous m’introduisiez chez cette aimable personne qui loge chez vous, et que je n’ai pu encore voir dans son appartement.

 

FABRICE.

 

          Oh, pardi ! monsieur Frélon, cette jeune personne-là n’est guère faite pour vous ; car elle ne se vante jamais, et ne dit de mal de personne.

 

FRÉLON.

 

          Elle ne dit de mal de personne, parce qu’elle ne connaît personne. N’en seriez-vous point amoureux, mon cher monsieur Fabrice ?

 

FABRICE.

 

          Oh ! non : elle a quelque chose de si noble dans son air, que je n’ose jamais être amoureux d’elle : d’ailleurs sa vertu…

 

FRÉLON.

 

          Ah ! ah ! ah ! ah ! sa vertu !...

 

FABRICE.

 

          Oui, qu’avez-vous à rire ? est-ce que vous ne croyez pas à la vertu, vous ? Voilà un équipage de campagne qui s’arrête à ma porte ; un domestique en livrée qui porte une malle : c’est quelque seigneur qui vient loger chez moi.

 

FRÉLON.

 

          Recommandez-moi vite à lui, mon cher ami.

 

 

 

 

 

SCÈNE II.

 

LE LORD MONROSE, FABRICE, FRÉLON.

 

 

 

 

 

 

MONROSE.

 

          Vous êtes monsieur Fabrice, à ce que je crois ?

 

FABRICE.

 

          A vous servir, monsieur.

 

MONROSE.

 

          Je n’ai que peu de jours à rester dans cette ville. O ciel ! daigne m’y protéger… Infortuné que je suis ! … On m’a dit que je serais mieux chez vous qu’ailleurs, que vous êtes un bon et honnête homme.

 

FABRICE.

 

          Chacun doit l’être. Vous trouverez ici, monsieur, toutes les commodités de la vie, un appartement assez propre, table d’hôte, si vous daignez me faire cet honneur, liberté de manger chez vous, l’amusement de la conversation dans le café.

 

MONROSE.

 

          Avez-vous ici beaucoup de locataires ?

 

FABRICE.

 

          Nous n’avons à présent qu’une jeune personne, très belle et très vertueuse.

 

MONROSE.

 

          Eh ! oui, très vertueuse ! hé ! hé !

 

FABRICE.

 

          Qui vit dans la plus grande retraite.

 

MONROSE.

 

          La jeunesse et la beauté ne sont pas faites pour moi. Qu’on me prépare, je vous prie, un appartement où je puisse être en solitude … Que de peines ! … Y a-t-il quelque nouvelle intéressante dans Londres ?

 

FABRICE.

 

          M. Frélon peut vous en instruire, car il en fait ; c’est l’homme du monde qui parle et qui écrit le plus : il est très utile aux étrangers.

 

MONROSE, en se promenant.

 

          Je n’en ai que faire.

 

FABRICE.

 

          Je vais donner ordre que vous soyez bien servi.

 

(Il sort.)

 

FRÉLON.

 

          Voici un nouveau débarqué : c’est un grand seigneur, sans doute, car il a l’air de ne se soucier de personne. Milord, permettez que je vous présente mes hommages et ma plume.

 

MONROSE.

 

          Je ne suis point milord ; c’est être un sot de se glorifier de son titre, et c’est être un faussaire de s’arroger un titre qu’on n’a pas. Je suis ce que je suis : quel est votre emploi dans la maison ?

 

FRÉLON.

 

          Je ne suis point de la maison, monsieur ; je passe ma vie au café : j’y compose des brochures, des feuilles ; je sers les honnêtes gens. Si vous avez quelque ami à qui vous vouliez donner des éloges, ou quelque ennemi dont on doive dire du mal, quelque auteur à protéger ou à décrier, il n’en coûte qu’une pistole par paragraphe. Si vous voulez faire quelque connaissance agréable ou utile, je suis encore votre homme.

 

MONROSE.

 

          Et vous ne faites point d’autre métier dans la ville ?

 

FRÉLON.

 

          Monsieur, c’est un très bon métier.

 

MONROSE.

 

          Et on ne vous a pas encore montré en public, le cou décoré d’un collier de fer de quatre pouces de hauteur ?

 

FRÉLON.

 

          Voilà un homme qui n’aime pas la littérature.

 

 

 

1 – On a fait hausser et baisser une toile au théâtre de Paris, pour marquer le passage d’une chambre à une autre : la vraisemblance et la décence ont été bien mieux observées à Lyon, à Marseille, et ailleurs. Il y avait sur le théâtre un cabinet à côté du café. C’est ainsi qu’on aurait dû en user à Paris. (1761.) – Voltaire écrivait à d’Argental avant la première représentation : « Où est donc la difficulté de diviser en deux pièces le fond du théâtre, de pratiquer une porte dans une cloison qui avant de quatre ou cinq pieds ? L’avant-scène est alors supposée tantôt le café, tantôt la chambre de Lindane ; c’est ainsi qu’on en use dans tous les théâtres de l’Europe qui sont bien entendus. » (G.A.)

 

2 – Comparez la première scène de l’Envieux. (A.G.)

 

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