CORRESPONDANCE - Année 1766 - Partie 46

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1766 - Partie 46

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à M. le comte d’Argental.

 

7 Novembre 1766.

 

 

          Vraiment cela n’allait pas mal ; j’étais en train. Je me disais : Il y a là des choses qui plairont à mes anges ; cette idée me soutenait. Mais, ô mes anges ! les tracasseries viennent en foule : elles tarissent la source qui commençait à couler. On me conteste la turpitude de notre ami Jean-Jacques. On soutient que Jean-Jacques était secrétaire d’ambassade à Venise, et qu’il avait seul le secret du ministère. M. le chevalier de Taulès m’a apporté les originaux des lettres de Jean-Jacques, où il n’est question que de coups de bâton, et point du tout de politique. Il est avéré que ce grand homme, loin d’avoir le secret de la cour, était copiste chez M. le comte de Montaigu, à deux cents livres de gages. M. l’ambassadeur et M. le chevalier de Taulès sont d’avis qu’on imprime ces lettres pour les joindre à l’éducation d’Emile, dès qu’Emile sera reçu maître menuisier, et qu’il aura épousé la fille du bourreau.

 

          Je conçois bien que la publication de la honte de Jean-Jacques pourrait servir à ramener à la raison le parti qu’il a encore dans Genève, et refroidirait des têtes qu’il enflamme, et qui s’opposent à la médiation. Mais, comme ces lettres sont tirées du dépôt des affaires étrangères, je n’ose rien faire sans le consentement de M. le duc de Praslin et de M. le duc de Choiseul. Je remets cette affaire, mes divins anges, comme toutes les autres, à votre prudence et à vos bontés. Il me paraît essentiel que le ministère de France soit lavé de l’opprobre qui rejaillirait sur lui d’avoir employé Jean-Jacques. La manière insultante dont ce malheureux Rousseau a parlé, dans plusieurs endroits, de la cour de France, exige qu’on démasque ce charlatan, aussi méchant qu’absurde. Nous verrons si madame la duchesse de Luxembourg et madame de Boufflers le soutiendront encore. On me mande qu’il est en horreur à tous les honnêtes gens, mais je sais qu’il a encore des partisans.

 

          Dites-moi, je vous en prie, des nouvelles de mademoiselle Durancy. On est toujours fou d’Olympie à Genève ; on la joue tous les jours. Le bûcher tourne la tête ; il y avait beaucoup moins de monde au bûcher de Servet, quand vingt-cinq faquins le firent brûler. Je me mets au bout de vos ailes.

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

8 Novembre 1766.

 

 

          Permettez, mon cher monsieur, que je vous adresse cette lettre pour M. d’Alembert, de l’Académie des sciences, dont j’ignore la demeure.

 

          Nous sommes toujours, ma femme (1) et moi, très inquiets de votre santé. M. Coladon voudrait savoir si vous vous trouvez bien des remèdes qu’il vous a fournis.

 

          Je vous envoie un exemplaire de la Lettre de M. de Voltaire à M. Hume. Nos citoyens reviennent furieusement sur le compte de J.-J. Rousseau ; on le regarde comme un fou et comme un monstre. Ce sera la seule réputation qui lui restera.

 

          J’ai l’honneur d’être très cordialement, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. JEAN BOURSIER.

 

 

1 – Madame Denis. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le chevalier de Taulès.

 

A Ferney, 8 Novembre 1766.

 

 

          Je donnai, monsieur, ces jours passés, à ma nièce, un petit mémorandum (1) pour la faire souvenir de vous demander une petite grâce dont j’avais besoin. Il s’agissait de vérifier une date  au lieu de vous prier de vouloir bien lui dire la date qu’elle aurait pu oublier, elle vous laissa mon petit billet. Je ne voulais que savoir précisément la date des lettres de Venise que vous avez entre les mains ; c’est vous qui aviez eu la bonté de m’en procurer une copie ; je l’ai prêtée, et on ne me l’a pas encore rendue. Au moins, madame Denis vous a dit combien je vous suis attaché ; quoique vous ayez eu la cruauté de m’écrire que vous étiez avec respect, j’ai la justice, moi, d’être avec respect, et malgré cela avec sincérité, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

          Voulez-vous mieux, monsieur, avoir la bonté de me mettre aux pieds de son excellence ? M. Thomas ne sera-t-il pas de l’Académie ?

 

 

1 – « Mille tendres respects à M. le chevalier de Taulès. Les lettres de Venise de Jean-Jacques. » (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le chevalier de Taulès.

 

A Ferney, 10 Novembre 1766.

 

 

          J’ose supplier, monsieur, son excellence, ou vous, de vouloir bien mettre dans vos paquets de la cour ces deux guérillas (1) que MM. les ducs de Choiseul et de Pralin m’ont demandées.

 

          Dites-moi, je vous en prie, ce qu’on pense de Jean-Jacques à Genève. Les vingt-cinq perruques sont assurément sur des têtes de travers, si elles pensent que je suis enrôlé contre elles dans le régiment de Rousseau. Ces messieurs-là connaissent bien mal leur monde, et sont bien maladroits.

 

          M. Thomas, Dieu merci, a tous les suffrages. Donnez-moi ici le vôtre, et traitez avec amitié v.t.h.o.s. VOLTAIRE.

 

 

1 – La tragédie des Scythes et la Lettre à M. Hume. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

12 Novembre 1766.

 

 

          Vous devez déjà avoir reçu, mon très cher ami, la lettre par laquelle je vous mandais que le petit ballot était parvenu à M. Boursier, par la messagerie de Lyon à Genève. Tout arrive, n’en doutez pas ; et il n’y a point de pays où le public soit mieux servi qu’en France. Tout le mal venait, comme je vous l’ai dit, de ce qu’on avait mis l’adresse à Genève, au lieu de la mettre à Meyrin, et qu’on n’avait pas envoyé de lettre d’avis pour Genève : sans ces précautions, on court les risques d’un grand retardement.

 

          Je vous ai mandé combien la lettre de M. Tonpla (1) avait attendri M. Boursier. Je vous répète qu’il est bon de s’assurer de la personne (2) dont on semble trop se défier. Je vous répète que cette personne donne tous les jours des paroles positives à M. Boursier, et que ce Boursier, en cas de besoin, pourrait faire face à tout. Il a écrit à M. de Lemberta, et il attend sa réponse ; il ne fera rien sans avoir le consentement de M. de Lemberta. Voilà tout ce que je sais.

 

          Je vous envoie, par une autre lettre, celle que j’écrivis à M. Hume le 24 Octobre. Je vous en ai déjà adressé plusieurs exemplaires, mais je crains que M. Janel, qui a des ordres très positifs et très justes de ne laisser passer aucun imprimé de Genève, n’ait confondu celui-ci avec tous les autres ; il y a pourtant une très grande différence. Ma lettre à M. Hume n’est qu’une justification honnête et légitime, quoique plaisante, contre les accusations d’un petit séditieux nommé J.-J. Rousseau, qui a osé insulter le roi et tous ses ministres dans tous ses ouvrages, et qui mériterait au moins le pilori, s’il ne méritait pas les Petites-Maisons. Ma lettre à M. Hume venge la patrie.

 

          Voici une lettre tout ouverte que je vous envoie pour madame de Beaumont. Je vous prie, mon cher ami de la lui faire parvenir, soit en l’envoyant à sa maison à Paris avec certitude qu’elle lui sera rendue, soit en l’adressant à sa terre de Vieux-Fumé, d’où madame de Beaumont a daté. Je ne sais pas où est cette terre de Vieux-Fumé (3) ; je suppose qu’elle est près de Caen ; mais, dans cette incertitude, je ne puis qu’implorer votre secours.

 

          L’affaire des Sirven devient pour moi plus importante que jamais ; il s’agit de sauver la vie à un père et à deux filles qui se désespèrent, et qui vont suivre une femme et une mère morte de douleur. M. de Beaumont aurait bien mieux fait de suivre cette affaire que celle de M. de La Luzerne : il y aurait eu peut-être autant de profit, et sûrement plus d’honneur.

 

          Mon cher ami, ne nous lassons pas de faire du bien aux hommes ; c’est notre unique récompense.

 

 

1 – Où Diderot expliquait pourquoi il ne fallait pas aller à Clèves. (G.A.)

2 – Frédéric II. (G.A.)

3 – Limitrophe de Canon-les-Bonnes-Gens. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

17 Novembre 1766.

 

 

          Mon cher ami, l’avocat de Besançon, auteur du  Commentaire des Délits et des peines, vous en envoie deux exemplaires par cette poste. J’y joins deux Lettres à M. Hume.

 

          Je vous supplie de vouloir bien mettre à la page 8 des Certificats un et au lieu des ni. Il faut : « Que le prétendu recueil de nos lettres, et un autre recueil, ne sont, etc. »

 

          Cette déclaration, mon cher ami, n’est que pour les journaux, et surtout pour les journaux étrangers. Je vous demande en grâce d’en faire tenir un exemplaire au directeur du Journal de Bouillon, avec contre-seing, en mettant au bas de la page 8, qu’il est supplié de corriger la faute indiquée.

 

          On dit que c’est Marc-Michel Rey, éditeur de Jean-Jacques, qui a imprimé le Recueil nécessaire (1). Cela est très vraisemblable, puisqu’on y trouve une partie du Vicaire savoyard. Je n’ai pas vérifié si la traduction de milord Bolingbroke (2) est fidèle. Les vrais philosophes, mon cher ami, ne font point de pareils ouvrages : ils respectent autant la religion qu’ils chérissent le roi.

 

          Tout ceci est en réponse à votre lettre du 10 Novembre. Dites à madame de Beaumont que je serai le plus attaché de leurs serviteurs jusqu’au dernier moment de ma vie.

 

          J’ai éclairci avec M. de La Borde la méprise du petit paquet qui vous est parvenu.

 

          Ma mémoire de soixante-treize ans me trompait. Ce n’est point M. de La Borde, c’est M. le comte de Cucé, maître de la garde-robe du roi, qui avait eu la bonté de se charger de cette commission. Il pense en sage, et il agit en homme bienfaisant.

 

          J’ai relu plusieurs fois la lettre de Tonpla : elle serre mon cœur et m’entraîne vers le sien. Que ne puis-je vous entretenir tous deux ! Mon âme s’unit à la vôtre plus que jamais.

 

          Voudriez-vous avoir la bonté de faire tenir l’incluse par la petite poste ?

 

 

1 – Voyez la lettre au Landgrave du 25 auguste. (G.A.)

2 – L’Examen important. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Lacombe.

 

17 Novembre 1766.

 

 

          Si tous les ouvrages que vous imprimez, monsieur, étaient écrits comme votre lettre du 9, vous feriez une grande fortune.

 

          Je suis effrayé des huit pages que vous comptez refaire. En vérité, cet ouvrage très froid (1) n’en vaut pas la peine, et l’on compte vous donner bientôt quelque chose de plus intéressant (2).

 

          Faites tout ce qu’il vous plaira du Recueil de Morale et de Philosophie (3). Quand il sera fait, je vous proposerai une petite préface. On prétend que c’est un M. Bordes, de l’Académie de Lyon, ancien antagoniste de Rousseau, qui a fait la lettre qu’on m’a attribuée dans les gazettes anglaises. Vous verrez par l’imprimé ci-joint que cette lettre n’est pas de moi. Si vous voulez donner au public ma lettre à M. Hume, avec des remarques (4) historiques et critiques assez curieuses, je vous les ferai tenir. Rousseau n’est pas seulement un fou ; c’est un méchant homme, c’est le singe de la philosophie qui saute sur un bâton, fait des grimaces et mord les passants. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

 

 

1 – Le Triumvirat. (G.A.)

2 – Les Scythes. (G.A.)

3 – Où se trouvait le Philosophe ignorant. (G.A.)

4 – Voyez ces notes, tome IV. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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