CORRESPONDANCE - Année 1766 - Partie 27

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1766 - Partie 27

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à M. le comte de Rochefort.

 

Aux eaux de Rolle en Suisse, par Genève, 25 Juillet 1766.

 

 

          J’ai reçu, monsieur, les Ruines d’Athènes, et père Adam celles de mon visage. Vous nous comblez de présents. Une nouvelle visite mettrait le comble à tant de bontés. Si jamais vous allez dans vos terres, daignez regarder Ferney comme une terre qui vous appartient sur la route.

 

          Votre cœur a été touché, sans doute, de la Relation que j’ai eu l’honneur de vous envoyer. On n’a guère profité de l’excellent libre Des délits et des peines ; on ne connaît pas les proportions. Vous voyez par le lieu dont je date que ma santé n’est pas trop bonne ; elle diminue tous les jours, et l’âge augmente. On quitterait la vie sans regret s’il n’y avait pas des âmes telles que la vôtre, qui réparent par leur vertu aimable les horreurs qu’on voit de tous côtés.

 

          Toute ma petite famille vous fait les plus tendres compliments. Père Adam vous donne sa bénédiction, et vous renouvelle ses plus sincères hommages.

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

A Genève, 25 Juillet 1766.

 

 

          Le roi de Prusse vient d’envoyer cinq cents livres à Sirven. Cette petite générosité, à laquelle rien ne l’engageait, m’a été d’autant plus sensible qu’il ne l’a faite qu’à ma prière, et que ce bienfait a passé par mes mains. Le mémoire du divin Elie produirait bien un autre effet.

 

          Je ne doute pas un moment que, si vous vouliez venir vous établir à Clèves, avec Platon et quelques amis, on ne vous fît des conditions très avantageuses. On y établirait une imprimerie qui produirait beaucoup ; on y établirait une autre manufacture plus importante, ce serait celle de la vérité. Vos amis viendraient y vivre avec vous. Il faudrait qu’il n’y eût dans ce secret que ceux qui fonderaient la colonie. Soyez sûr qu’on quitterait tout pour vous joindre. Platon pourrait partir avec sa femme et sa fille, ou les laisser à Paris, à son choix.

 

          Soyez sûr qu’il se ferait alors une grande révolution dans les esprits, et qu’il suffirait de deux ou trois ans pour faire une époque éternelle : les grandes choses sont souvent plus faciles qu’on ne pense. Puisse cette idée n’être pas un beau rêve ! Il ne faut que du zèle et du courage pour la réaliser ; vous avez l’un et l’autre. J’attends votre réponse avec impatience, et je vous supplie surtout, mon cher ami, de presser Elie. Quand même on n’imprimerait qu’une centaine d’exemplaires de son factum pour Sirven, quand même les horreurs où l’on est plongé empêcheraient de poursuivre cette affaire, il en reviendrait toujours beaucoup de gloire à Elie et une grande consolation pour Sirven.

 

          Je sèche en attendant la consultation des avocats en faveur de cet infortuné, qui est mort avec plus de courage que Socrate  nous attendons aussi les noms des juges dont la postérité doit faire justice. Voici l’extrait d’une lettre que je viens de recevoir (1) :

 

« Le chevalier de La Barre a soutenu les tourments et la mort sans aucune faiblesse et sans aucune ostentation. Le seul moment où il a paru ému est celui où il a vu le sieur Belleval dans la foule des spectateurs. Le peuple aurait mis Belleval en pièces, s’il n’y avait pas eu main-forte. Il y avait cinq bourreaux à l’exécution du chevalier. Il était petit-fils d’un lieutenant-général des armées, et serait devenu un excellent officier. Le cardinal Le Camus, dont il était parent, avait commis des profanations bien plus grandes, car il avait communié un cochon avec une hostie, et il ne fut qu’exilé. Il devint ensuite cardinal, et mourut en odeur de sainteté. Son parent est mort dans les plus horribles supplices, pour avoir chanté des chansons, et pour n’avoir pas ôté son chapeau. »

 

BOURSIER, chez M. Souchai, au Lion-d’Or.

 

 

1 – Les Mémoires secrets attribuent cette lettre à Voltaire. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

Aux eaux de Rolle, 26 Juillet 1766.

 

 

          Je vous importunai, mes anges, par ma dernière lettre, en faveur d’un Ballexserd, qui en effet a du mérite : je vous suppliai de daigner lui procurer une audience de M. le duc de Choiseul ; mais aujourd’hui je crois devoir vous prier de n’en rien faire. Je viens d’apprendre que la moitié de Genève a publié un libelle contre l’autre, que même on manque violemment de respect dans ce libelle à M. l’ambassadeur de France. J’ignore de quel parti est ce Ballexserd ; mais il me semble que, dans les circonstances présentes, et au point d’aigreur où en sont les esprits, je ne dois pas compromettre vos bontés. M. le duc de Choiseul est lassé et indigné de toutes les manœuvres des Génevois, et je ne voudrais pas que vous eussiez à vous reprocher d’avoir présenté un homme dont peut-être on serait mécontent. Je retire donc très humblement ma requête ; mais je persiste toujours à vous conjurer de me faire avoir au moins le précis de la consultation des avocats en faveur des Polyeucte et des Néarque. Je vous envoie un petit extrait des dernières nouvelles d’Abbeville. Vous serez attendris de plus en plus. J’attends le petit paquet en toile cirée adressé à Meyrin par la diligence de Lyon. La tragédie des langues coupées, etc., m’intéresse plus que celle des roués, ou plutôt, après tant d’horreurs, je ne m’intéresse à rien.

 

          Nous prenons des eaux en Suisse, madame Dupuits et moi : elles ne nous font nul bien ; mais au moins ces eaux ne sont point en Picardie. Respect et tendresse.

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

26 Juillet 1766.

 

 

          Mon ancien ami, voici de quoi animer votre correspondance avec Frédéric ; il vaut mieux que cette Relation lui vienne par vous que par moi.

 

          J’ai été très touché qu’il ait envoyé cinq cents livres aux Sirven, à ma seule prière, et qu’il ait fait passer ce petit bienfait par mes mains. Cela me fait oublier tout le reste.

 

          Vous frémirez en lisant la Relation que je vous envoie. Ne dites ni n’écrivez que cette relation vient de M. de Florian et de moi.

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

 

 

          Voici une grande diablesse de virtuose vénitienne qui vient vous demander votre protection au saut du lit. Elle chante, elle rimaille, elle… Que ne fait-elle point ? Je suis indigne d’elle. Si elle peut vous amuser, vous m’appellerez Bonneau. Elle voudrait concerter chez vous. Mille tendres respects.

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Florian.

 

Aux eaux de Rolle, 28 Juillet 1766.

 

 

          Je viens de lire le mémoire signé de huit avocats. Il ne parle point d’une abbesse, mais d’une supérieure de couvent. Il dit que le juge devait se récuser lui-même, parce que de cinq accusés il y en avait quatre dont les familles avaient avec lui de violents démêlés. Le mémoire porte que ce juge voulait marier son fils unique avec une demoiselle qui voulait épouser le frère aîné d’un de ces accusés mêmes. Cette demoiselle était dans le couvent, et la supérieure, favorisait les prétentions du rival. Il y a bien plus : ce juge était curateur de cette jeune personne, et on avait tenu une assemblée des parents de la demoiselle, pour ôter la curatelle à ce juge.

 

          Voilà donc de tous les côtés l’amour qui est la cause d’un si grand malheur ; voilà un lieutenant de l’élection, âgé de soixante ans, amoureux d’une religieuse, et voilà un jeune homme amoureux d’une pensionnaire, qui ont produit toute cette affaire épouvantable.

 

          Ce qui nous étonne encore dans ce procès, c’est que la procédure, ni la sentence, ni l’arrêt, n’ont fait aucune mention de l’audace sacrilège avec laquelle on avait mutilé un crucifix ; il n’y a eu aucune charge sur ce crime contre les accusés ; et cette action est probablement d’un soldat ivre de la garnison, ou de quelque ouvrier huguenot de la manufacture d’Abbeville. Mais les enquêtes faites sur cette profanation, ayant été joints aux autres corps du délit, ont produit dans les esprits une fermentation qui n’a pas peu contribué à l’horreur de la catastrophe.

 

          Un des principaux corps du délit est une vieille chanson grivoise qu’on chante dans tous les régiments. L’une est intitulée, la Madeleine ; et l’autre, la Saint-Cyr.

 

          Il est peu parlé, dans la consultation des avocats, de l’infortuné jeune homme qui a fini ses jours d’une manière si cruelle, et avec une fermeté si héroïque.

 

          Il est très constant que de vingt-cinq juges il n’y en a eu que quinze qui aient opiné à la mort. Si les seigneurs d’Hornoy ont appris quelque chose qui puisse éclaircir cette horrible affaire, nous leur serons bien obligé de nous en faire part.

 

          Ils vont donc faire une tragédie avec le jeune La Harpe ? Il vaut mieux faire des tragédies que d’être témoin de celle qui vient de se passer dans votre voisinage.

 

          Nous vous embrassons très tendrement.

 

          Il est doux de cultiver son jardin, mais il me semble qu’on y jette de grosses pierres.

 

 

 

 

 

à M. de La Harpe.

 

Aux eaux de Rolle, 28 Juillet 1766.

 

 

          Vous partagerez donc vos faveurs, monsieur, entre mes deux nièces, cette année. Vous allez dans le pays du chevalier de La Barre ; il n’y a point de tragédie plus terrible que celle dont il a été le héros. Il est mort avec un courage étonnant, et avec un sang-froid et une raison qu’on ne devait pas attendre des extravagances de son âge. Il était petit-fils d’un lieutenant-général fort estimé ; tout le monde le plaint. Il avait commis les mêmes imprudences que Polyeucte, à cela près que Polyeucte avait raison, dans le fond, et qu’il était animé de la grâce, au lieu que son imitateur ne l’était que par la folie. Les larmes coulent volontiers pour la jeunesse qui a fait des fautes, et qu’elle aurait réparées dans l’âge mûr. Nous vous souhaitons une vie heureuse, dans ce chaos de malheurs et de peines qu’on appelle le monde, dont vous serez un jour détrompé. Soyez au-dessus des bons et des mauvais succès ; mais soyez sensible à l’amitié, elle seule adoucit les maux de la vie.

 

          Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

 

 

 

 

 

à M. Lacombe.

 

28 Juillet (1).

 

 

          J’ai reçu, monsieur, votre lettre du 21 Juillet. Quoique je sois ami de l’auteur, il s’en faut bien que je pense de son ouvrage (2) aussi favorablement que vous. Il n’est point du tout théâtral ; mais je pense comme vous qu’on pourra le lire, et que les notes sont curieuses. Vous êtes prié de vouloir bien m’adresser la préface, qu’il faut absolument corriger. On vous la renverra sur-le-champ, et si vous pouvez indiquer une adresse franche par la poste, on s’en servira ; Je vous supplie de la part de l’auteur de faire une très jolie édition. On ne vous conseille pas d’en tirer un grand nombre d’exemplaires, par la raison que, si l’ouvrage avait un peu de succès, on y joindrait quelques autres écrits, et cela pourrait vous procurer une seconde édition qui serait recherchée. On vous renouvelle, monsieur, les sentiments d’estime et d’amitié qu’on a pour vous, et c’est de tout mon cœur (3).

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Le Triumvirat. (G.A.)

3 – Ces derniers mots sont de la main de Voltaire. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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