DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : D comme DROIT CANONIQUE - Partie 3
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D comme DROIT CANONIQUE.
(Partie 3)
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SECTION VI.
Inspection des magistrats sur l’administration des sacrements.
L’administration des sacrements doit être aussi soumise à l’inspection assidue du magistrat en tout ce qui intéresse l’ordre public.
On convient d’abord que le magistrat doit veiller sur la forme des registres publics des mariages, des baptêmes, des morts, sans aucun égard à la croyance des divers citoyens de l’Etat.
Les mêmes raisons de police et d’ordre n’exigeraient-elles pas qu’il y eût des registres exacts, entre les mains du magistrat, de tous ceux qui font des vœux pour entrer dans les cloîtres, dans les pays où les cloîtres sont admis ?
Dans le sacrement de pénitence, le ministre qui refuse ou accorde l’absolution, n’est comptable de ses jugements qu’à Dieu ; de même aussi le pénitent n’est comptable qu’à Dieu, s’il communie ou non, et s’il communie bien ou mal.
Aucun pasteur pécheur ne peut avoir le droit de refuser publiquement, et de son autorité privée, l’eucharistie à un autre pécheur. Jésus-Christ, impeccable, ne refusa pas la communion à Judas.
L’extrême-onction et le viatique, demandés par les malades, sont soumis aux mêmes règles. Le seul droit du ministre est de faire des exhortations au malade, et le devoir du magistrat est d’avoir soin que le pasteur n’abuse pas de ces circonstances pour persécuter les malades.
Autrefois c’était l’Eglise en corps qui appelait ses pasteurs et leur conférait le droit d’instruire et de gouverner le troupeau : ce sont aujourd’hui des ecclésiastiques qui en consacrent d’autres ; mais la police publique doit y veiller.
C’est sans doute un grand abus, introduit depuis longtemps, que de conférer les ordres sans fonction ; c’est enlever des membres à l’Etat sans en donner à l’Eglise. Le magistrat est en droit de réformer cet abus.
Le mariage, dans l’ordre civil, est une union légitime de l’homme et de la femme pour avoir des enfants, pour les élever, et pour leur assurer les droits des propriétés sous l’autorité de la loi. Afin de constater cette union, elle est accompagnée d’une cérémonie religieuse, regardée par les uns comme un sacrement, par les autres comme une pratique du culte public ; vraie logomachie qui ne change rien à la chose. Il faut donc distinguer deux parties dans le mariage, le contrat civil ou l’engagement naturel, et le sacrement ou la cérémonie sacrée. Le mariage peut donc subsister avec tous ses effets naturels et civils, indépendamment de la cérémonie religieuse. Les cérémonies mêmes de l’Eglise ne sont devenues nécessaires, dans l’ordre civil, que parce que le magistrat les a adoptées. Il s’est même écoulé un long temps sans que les ministres de la religion aient eu aucune part à la célébration des mariages. Du temps de Justinien, le consentement des parties en présence de témoins, sans aucune cérémonie de l’Eglise, légitimait encore le mariage parmi les chrétiens. C’est cet empereur qui fit vers le milieu du sixième siècle, les premières lois pour que les prêtres intervinssent comme simples témoins, sans ordonner encore de bénédiction nuptiale. L’empereur Léon, qui mourut sur le trône en 886, semble être le premier qui ait mis la cérémonie religieuse au rang des conditions nécessaires. La loi même qu’il fit atteste que c’était un nouvel établissement.
De l’idée juste que nous nous formons ainsi du mariage, il résultat d’abord que le bon ordre et la piété même rendent aujourd’hui nécessaires les formalités religieuses, adoptées dans toutes les communions chrétiennes ; mais l’essence du mariage ne peut en être dénaturée ; et cet engagement qui est le principal dans la société, est et doit demeurer toujours soumis, dans l’ordre politique, à l’autorité du magistrat.
Il suit de là encore que deux époux élevés dans le culte même des infidèles et des hérétiques ne sont point obligés de se remarier, s’ils l’ont été selon la loi de leur patrie ; c’est au magistrat, dans tous les cas, d’examiner la chose.
Le prêtre est aujourd’hui le magistrat que la loi a désigné librement en certains pays pour recevoir la foi de mariage. Il est très évident que la loi peut modifier ou changer, comme il lui plaît, l’étendue de cette autorité ecclésiastique.
Les testaments et les enterrements sont incontestablement du ressort de la loi civile et de celui de la police. Jamais les magistrats n’auraient dû souffrir que le clergé usurpât l’autorité de la loi à aucun de ces égards. On peut voir encore, dans le Siècle de Louis XIV et dans celui de Louis XV, des exemples frappants des entreprises de certains ecclésiastiques fanatiques sur la police des enterrements. On a vu des refus de sacrements, d’inhumation, sous prétexte d’hérésie, barbarie dont les païens mêmes auraient eu horreur (1).
SECTION VII.
Juridiction des ecclésiastiques.
Le souverain peut sans doute abandonner à un corps ecclésiastique ou à un seul prêtre une juridiction sur certains objets et sur certaines personnes, avec une compétence convenable à l’autorité confiée. Je n’examine point s’il a été prudent de remettre ainsi une portion de l’autorité civile entre les mains d’un corps ou d’une personne qui avait déjà une autorité sur les choses spirituelles. Livrer à ceux qui devaient seulement conduire les hommes au ciel une autorité sur la terre, c’était réunir deux pouvoirs dont l’abus était trop facile ; mais il est certain du moins qu’aucun homme, en tant qu’ecclésiastique, ne peut avoir aucune sorte de juridiction. S’il la possède, elle est ou concédée par le souverain, ou usurpée ; il n’y a point de milieu. Le royaume de Jésus-Christ n’est point de ce monde, il a refusé d’être juge sur la terre ; il a ordonné de rendre à César ce qui appartient à César ; il a interdit à ses apôtres toute domination ; il n’a prêché que l’humilité, la douceur et la dépendance. Les ecclésiastiques ne peuvent tenir de lui ni puissance, ni autorité, ni domination, ni juridiction, dans le monde ; ils ne peuvent donc posséder légitimement aucune autorité que par une concession du souverain, de qui tout pouvoir doit dériver dans la société.
Puisque c’est du souverain seul que les ecclésiastiques tiennent quelque juridiction sur la terre, il suit de là que le souverain et les magistrats doivent veiller sur l’usage que le clergé fait de son autorité, comme nous l’avons prouvé.
Il fut un temps, dans l’époque malheureuse du gouvernement féodal où les ecclésiastiques s’étaient emparés en divers lieux des principales fonctions de la magistrature. On a borné dès lors l’autorité des seigneurs de fiefs laïques, si redoutable au souverain et si dure pour les peuples ; mais une partie de l’indépendance des juridictions ecclésiastiques a subsisté. Quand donc est-ce que les souverains seront assez instruits ou assez courageux pour reprendre à eux toute autorité usurpée, et tant de droits dont on a si souvent abusé pour vexer les sujets qu’ils doivent protéger ?
C’est de cette inadvertance des souverains que sont venues les entreprises audacieuses de quelques ecclésiastiques contre le souverain même. L’histoire scandaleuse de ces attentats énormes est consignée dans des monuments qui ne peuvent être contestés ; et il est à présumer que les souverains éclairés aujourd’hui par les écrits des sages, ne permettront plus des tentatives qui ont si souvent été accompagnées ou suivies de tant d’horreurs.
La bulle In cœna Domini est encore en particulier une preuve subsistante des entreprises continuelles du clergé contre l’autorité souveraine et civile, etc. (2).
EXTRAIT DU TARIF DES DROITS.
Qu’on paye en France à la cour de Rome pour les bulles, dispenses, absolutions, etc., lequel tarif fut arrêté au conseil du roi, le 4 septembre 1691, et qui est rapporté tout entier dans l’Instruction de Jacques le Pelletier, imprimée à Lyon, en 1699, avec approbation et privilège du roi. A Lyon, chez Antoine Boudet, huitième édition. On en a retiré les exemplaires, et les taxes subsistent.
1°/ Pour absolution du crime d’apostasie, on payera au pape quatre-vingts livres.
2°/ Un bâtard qui voudra prendre les ordres, payera pour la dispense vingt-cinq livres ; s’il veut posséder un bénéfice simple, il payera de plus cent quatre-vingts livres ; s’il veut que dans la dispense on ne fasse pas mention de son illégitimité, il payera mille cinquante livres.
3°/ Pour dispense et absolution de bigamies, mille cinquante livres.
4°/ Pour dispense à l’effet de juger criminellement, ou d’exercer la médecine, quatre-vingt-dix livres.
5°/ Absolution d’hérésie, quatre-vingt livres.
6°/ Bref de quarante heures pour sept ans, douze livres.
7°/ Absolution pour avoir commis un homicide à son corps défendant ou sans mauvais dessein, quatre-vingt-quinze livres. Ceux qui étaient dans la compagnie du meurtrier doivent aussi se faire absoudre, et payer pour cela quatre-vingt-cinq livres.
8°/ Indulgences pour sept années, douze livres.
9°/ Indulgences perpétuelles pour une confrérie, quarante livres.
10°/ Dispense d’irrégularité ou d’inhabileté, vingt-cinq livres ; si l’irrégularité est grande, cinquante livres.
11°/ Permission de lire les livres défendus, vingt-cinq livres.
12°/ Dispense de simonie, quarante livres ; sauf à augmenter suivant les circonstances.
13°/ Bref pour manger les viandes défendues, soixante-cinq livres.
14°/ Dispense de vœux simples de chasteté ou de religion, quinze livres. Bref déclaratoire de la nullité de la profession d’un religieux ou d’une religieuse, cent livres : si on demande ce bref dix ans après la profession, on paye le double.
DISPENSES DE MARIAGE.
Dispense du quatrième degré de parenté avec cause, soixante-cinq livres ; sans cause, quatre-vingt-dix livres ; avec absolution des familiarités que les futurs ont eues ensemble, cent quatre-vingts livres.
Pour les parents du troisième au quatrième degré, tant du côté du père que de celui de la mère, la dispense sans cause est de huit cent quatre-vingts livres ; avec cause, cent quarante-cinq livres.
Pour les parents au second degré d’un côté, et au quatrième de l’autre, les nobles payeront mille quatre cent trente livres ; pour les roturiers, mille cent cinquante-cinq livres.
Celui qui voudra épouser la sœur de la fille avec laquelle il a été fiancé, payera pour la dispense mille quatre cent trente livres.
Ceux qui sont parents au troisième degré, s’ils sont nobles, ou s’ils vivent honnêtement, payeront mille quatre cent trente livres ; si la parenté est tant du côté du père que de celui de la mère, deux mille quatre cent trente livres.
Parents au second degré payeront quatre mille cinq cent trente livres ; si la future a accordé des faveurs au futur, ils payeront de plus pour l’absolution deux mille trente livres.
Ceux qui ont tenu sur les fonts de baptême l’enfant de l’un ou de l’autre, la dispense est de deux mille sept cent trente livres. Si l’on veut se faire absoudre d’avoir pris des plaisirs prématurés, on payera de plus mille trois cent trente livres.
Celui qui a joui des faveurs d’une veuve pendant la vie du premier mari, payera pour l’épouser légitimement cent quatre-vingt-dix livres.
En Espagne et en Portugal, les dispenses de mariage sont beaucoup plus chères. Les cousins germains ne les obtiennent pas à moins de deux mille écus, de dix jules de componade.
Les pauvres ne pouvant pas payer des taxes aussi fortes, on leur fait des remises : il vaut bien mieux tirer la moitié du droit que de ne rien avoir du tout en refusant la dispense.
On ne rapporte pas ici les sommes que l’on paye au pape pour les bulles des évêques, des abbés, etc. on les trouve dans les almanachs : mais on ne voit pas de quelle autorité la cour de Rome impose des taxes sur les laïques qui épousent leurs cousines.
1 – En 1750, et les années suivantes, l’archevêque de Paris, Beaumont, voulant extirper le jansénisme, engagea les curés de son diocèse à refuser la communion, qu’on appelle le viatique, aux mourants qui avaient appelé de la bulle Unigenitus et qui s’étaient confessés à des prêtres appelants ; et, conséquemment à ce refus de communion, on devait priver les jansénistes reconnus de la sépulture. (G.A.)
2 – Voyez l’article BULLE, et surtout la première section de l’article PUISSANCE.