Correspondance avec le roi de Prusse - Année 1765 - Partie 94
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372 – DU ROI
A Berlin, le 1er Janvier 1765 (1)
Je vous ai cru si occupé à écraser l’inf…, que je n’ai pu présumer que vous pensiez à autre chose (2). Les coups que vous lui avez portés l’auraient terrassée il y a longtemps, si cette hydre ne renaissait sans cesse du fond de la superstition répandue sur toute la face de la terre. Pour moi, détrompé dès longtemps des charlataneries qui séduisent les hommes, je range le théologien, l’astrologue, l’adepte, et le médecin, dans la même catégorie.
J’ai des infirmités et des maladies : je me guéris moi-même par le régime et par la patience. La nature a voulu que notre espèce payât à la mort un tribut de deux et demi pour cent. C’est une loi immuable contre laquelle la faculté s’opposera vainement, et quoique j’aie très grande opinion de l’habileté du sieur Tronchin, il ne pourra cependant pas disconvenir qu’il y a peu de remèdes spécifiques, et qu’après tout, des herbes, et des minéraux pilés, ne peuvent ni refaire ni redresser des ressorts usés et à demi détruits par le temps.
Les plus habiles droguent le malade pour tranquilliser son imagination, et le guérissent par le régime : et comme je ne trouve pas que des élixirs et des potions puissent me donner la moindre consolation, dès que je suis malade je me mets à un régime rigoureux ; et jusqu’ici je m’en suis bien trouvé.
Vous pouvez donc consoler l’Europe de la perte importante qu’elle croyait faire de mon individu (quoique je la trouve des plus minces) ; car, quoique je ne jouisse pas d’une santé bien ferme ni bien brillante, cependant je vis ; et je ne suis pas du sentiment que notre existence vaille qu’on se donne la peine de la prolonger, quand même on le pourrait.
D’ailleurs je vous suis fort obligé de la part que vous prenez à ma santé, et des choses obligeantes que vous me dites. Je regrette que votre âge donne de justes appréhensions de voir finir avec vous cette pépinière de grands hommes et de beaux génies qui ont signalé le siècle de Louis XIV. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde. FÉDÉRIC.
1 – On n’a rien trouvé de 1761 à 1765. (K.)
2 – Voltaire et Frédéric ne correspondaient plus ensemble depuis longtemps, lorsque la nouvelle se répandit que le roi de Prusse était gravement malade. Les ministres s’adressèrent à Voltaire pour savoir à quoi s’en tenir et Voltaire, pour se renseigner lui-même, renoua avec le roi de Prusse. On n’a pas la lettre qu’il écrivit. (G.A.)