ARTICLES DE JOURNAUX - La Mérope du marquis Maffei

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ARTICLES DE JOURNAUX - La Mérope du marquis Maffei

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ARTICLES DE JOURNAUX.

 

 

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LA MÉROPE DU MARQUIS MAFFEI.

 

 

 

 

Gazette littéraire, 14 Juin 1764.

 

 

 

 

 

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          On prépare à Vérone une nouvelle édition de la Mérope du célèbre marquis Maffei (1).

 

          L’archevêque Trissin (2), le même qui débarrassa la poésie italienne des entraves de la rime, ranima le premier, ou plutôt renouvela le drame ainsi que l’épopée. La pièce qu’il publia sous le titre de Sophonisbe, en 1524, et non en 1529, comme l’a annoncé Crescimbeni, est le premier ouvrage de théâtre que les Italiens aient regardé comme une vraie tragédie. Peu de temps après, Rucellai, donna sa Rosmunde et son Oreste ; le Speroni, sa Canace, etc. ; mais toutes ces pièces, froidement modelées sur celles des Grecs, ne ressemblent pas plus aux drames de Sophocle et d’Euripide que ne ressemblerait à l’Apollon du Belvédère une statue à laquelle on s’attacherait à donner les mêmes proportions, sans se mettre en peine du caractère, de l’expression, et de la vie. Elles servent uniquement à prouver que leurs auteurs connurent très bien les règles de la tragédie ancienne ; et cela même doit nous faire sentir le cas qu’il faut faire des règles, puisque ce n’est point assurément d’après eux qu’on se serait jamais avisé d’en prescrire. L’Italien ne put s’accommoder d’un genre d’ouvrages où l’on ne lui présentait que des actions et des mœurs étrangères qui n’étaient pas même liées aux siennes. D’ailleurs son caractère semblait pencher beaucoup plus vers la plaisanterie et la malignité du genre comique, que vers l’austère majesté de la tragédie. Les mascarades, les improvisements, les comédies espagnoles, et surtout les drames lyriques, ou, pour nous servir de l’expression des Italiens, les mélodrames, achevèrent d’étouffer la bonne tragédie. Il y avait près d’un siècle que le goût en était entièrement éteint lorsque Pierre Martelli crut le ranimer en substituant aux intrigues bizarres et romanesques que les Italiens avaient empruntées des Espagnols, on ne sait trop quels procédés de la tragédie française ; mais il ne fut pas plus heureux que ne l’avaient été les premiers poètes de sa nation lorsqu’il essayèrent de transporter à leur théâtre la manière des Grecs (3). Gravina écrivit dans le même temps sur les principes de l’art en homme de génie, et fit des tragédies pitoyables. La véritable époque du bon goût dramatique en Italie, c’est la Mérope du marquis Maffei. Ce savant homme touchait à son huitième lustre lorsqu’il fit cette tragédie. C’était le seul genre dans lequel il n’eût pas encore essayé ses forces. De toutes les passions qui meuvent le cœur humain, la tendresse maternelle lui ayant paru la plus propre à faire une impression tout à la fois universelle et profonde, il fit choix de l’histoire de Mérope, d’après laquelle Euripide avait fait autrefois son Cresphonte. En travaillant à son plan il consulta la nature et la raison, et méprisa toutes ces lois et ces règles qui, loin de servir le talent, le rétrécissent et l’alarment, en faisant envisager la tragédie comme un ouvrage presque impossible à exécuter.

 

          La Mérope du marquis Maffei eut en Italie le sort qu’eut en France le Cid de Corneille. Elle fut extrêmement applaudie, extrêmement critiquée, et, après les critiques, applaudie encore plus que jamais. Il y a dans la sixième scène du second acte de cette pièce un mot si vrai, si tendre, si sublime, que nous ne pouvons nous empêcher de le rapporter ici. M. Maffei avoue lui-même qu’il n’en est point l’auteur ; mais il ne l’a emprunté d’aucun ouvrage ; il le doit uniquement aux grands modèles qu’il observait sans cesse en travaillant à sa tragédie, la nature et la vérité. La femme d’un noble Vénitien ayant perdu son fils unique, s’abandonnait au désespoir ; un religieux tâchait de la consoler : Souvenez-vous, lui disait-il, d’Abraham à qui Dieu commanda de plonger lui-même le poignard dans le sein de son fils, et qui obéit sans murmure. « Ah ! mon père, répondit-elle avec impétuosité, Dieu n’aurait jamais commandé ce sacrifice à une mère. »

 

          La Mérope du marquis Maffei a eu jusqu’à présent plus de cinquante éditions ; nous n’en connaissons pas de plus belle et de plus complète que celle de Vérone, 1745 (4).

 

 

 

1 – Voyez au THÉÂTRE, Mérope. (G.A.)

 

2 – Erreur que commet toujours Voltaire. (G.A.)

 

3 – Le même auteur, persuadé qu’il n’était possible d’exprimer d’une manière tragique les caractères et les actions des héros qu’en employant notre vers alexandrin, des deux vers italiens de sept syllabes n’en fit qu’un seul qu’il unit au vers suivant par le moyen de la rime ; ces nouveaux vers furent appelés martelliens, du nom de leur auteur. Mais Martelli ne fit pas attention que les rimes masculines et féminines du vers français produisaient une variété dont sa langue composée de mots toujours terminés par des voyelles ne la rendaient point susceptible, et qu’en supposant que la noblesse et la majesté du vers auraient suppléé cette variété, la césure ou le repos établi constamment à la septième syllabe, et la longueur extrême du vers ne pouvaient plaire aux oreilles italiennes. (Gazette littéraire.)

 

4 – A la suite de cet article devrait venir un morceau sur les Songes, en date du 20 Juin 1764, mais nous l’avons rejeté à l’exemple des éditeurs de Kehl, dans le Dictionnaire philosophique, à l’article SOMNAMBULES et SONGES, section II. (G.A.)

 

 

 

 

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