FACÉTIE - Omer de Fleury
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OMER DE FLEURY
ÉTANT ENTRÉ, ONT DIT :
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[ Cet écrit est la parodie du réquisitoire que l’avocat-général Omer de Fleury prononça contre l’inoculation, le 8 juin 1763. Sur ce réquisitoire, le parlement fit défense de pratiquer l’inoculation jusqu’à ce que les facultés de théologie et de médecine eussent donné leur avis. On attribua d’abord cette facétie au comte de Lauraguais.] (G.A.)
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MESSIEURS,
Comme je suis chargé, par état (page 3), de vous proposer des thèses de médecine, et qu’il s’agit de dissiper des nuages qui affaiblissent la sécurité, et de souhaiter une solution à des craintes, votre sagesse qui préside à vos démarches assurera un nouveau poids à ce que votre autorité pourra régler sur le fait de l’inoculation qui se présente naturellement sous deux aspects.
Et comme dans la petite-vérole ordinaire (page 4) on s’en remet ordinairement à la prudence des malades et des médecins, vous sentez bien que dans l’inoculation, où la tête est beaucoup plus libre, il ne faut s’en remettre à la prudence de personne.
Mais, comme ce qui peut intéresser la religion ne regarde en aucune manière le bien public (page 3), et que le bien public ne regarde pas la religion, il faut consulter la Sorbonne, qui, par état, est chargée de décider quand un chrétien doit être saigné et purgé, et la faculté de médecine chargée, par état, de savoir si l’inoculation est permise par le droit canon.
Ainsi, messieurs, vous qui êtes les meilleurs médecins et les meilleurs théologiens de l’Europe, vous devez rendre un arrêt sur la petite-vérole, ainsi que vous en avez rendu sur les Catégories d’Aristote (1), sur la circulation du sang, sur l’émétique, et sur le quinquina.
On sait que vous vous entendez, par état, à toutes ces choses comme en finances.
Puisque l’inoculation, messieurs, réussit dans toutes les nations voisines qui l’ont essayée, puisqu’elle a sauvé la vie à des étrangers qui raisonnent, il est juste que vous proscriviez cette pratique, attendu qu’elle n’est pas enregistrée ; et pour y parvenir, vous emploierez les décisions de la Sorbonne, qui vous dira que saint Augustin n’a pas connu l’inoculation, et la Faculté de Paris qui est toujours de l’avis des médecins étrangers.
Surtout, messieurs, ne donnez point un temps fixe aux salutaires et sacrées Facultés pour décider, parce que l’insertion utile de la petite-vérole sera toujours proscrite en attendant.
A l’égard de la grosse, sœur de la petite, messieurs des enquêtes sont exhortés à examiner scrupuleusement les pilules de Keyser (2), tant pour le bien public que pour le bien particulier des jeunes messieurs (3), qui en ont besoin, par état, la Sorbonne ayant préalablement donné son décret sur cette matière théologique.
Nous espérons que vous ordonnerez peine de mort (que les facultés de médecine ont ordonnée quelquefois dans de moindres cas) contre les enfants de nos princes (4), inoculés sans votre permission, et contre quiconque révoquera en doute votre sagesse et votre impartialité reconnues.
1 – Voyez l’Histoire du parlement, chapitre XLIX. (G.A.)
2 – Remède antisyphilitique fort en vogue. (G.A.)
3 – Les jeunes conseillers au parlement. (G.A.)
4 – Les enfants du duc d’Orléans, inoculés, en 1756, par Tronchin. (G.A.)