CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 25

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 25

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à M. le comte d’Argental.

 

3 Auguste 1763.

 

 

          Je dois cette lettre à Lekain, et je supplie mes anges de vouloir bien la lui faire donner quand ils iront à la Comédie.

 

          Si mes anges m’avaient renvoyé ma drogue, je la leur aurais dépêchée sur-le-champ, corrigée autant qu’on corrige pour la première fournée, et cela aurait été encore un amusement pour mes anges.

 

          On dit que le président Hénault est fort malade. Il semble qu’il retombe bien souvent : cela fait peine. Je voudrais bien savoir s’il joint à sa maladie celle de la dévotion. Serait-il bête à ce point-là, avec l’esprit qu’il a ? Mais les gens faibles, quelque esprit qu’ils aient, sont capable de croire que deux et deux font cinq. J’ai une autre maladie : c’est d’être sensiblement affligé de voir tant de faiblesse dans des hommes de mérite. On me console beaucoup en me disant que le président n’a pas infiniment de compagnons de sa maladie d’esprit. Le nombre des sages augmente, dit-on, à vue d’œil. Dieu soit loué ! c’est tout ce qu’on veut dans Alep.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

A Ferney, 3 auguste.

 

 

          Mes divins anges sauront que je ne sais rien de la Gazette littéraire, à laquelle ils s’intéressent. Il est toujours fort singulier qu’après les peines que je me suis données, les auteurs ne m’aient rien fait dire, et ne m’aient pas envoyé une de leurs gazettes. Ne trouvez-vous pas cela fort encourageant ? Mes anges, servire e non gradire è una cosa per far morire.

 

          Le président Hénault m’a envoyé une préface anglaise, en son honneur, qui est à la tête de la traduction (1) de sa Chronologie ; il ne me parle que de cela, et date de Versailles. Et moi je ne lui parle point de la traduction anglaise de l’Histoire générale ; je ne parle de cette histoire qu’à vous. Nous avons imaginé avec Cramer une tournure pour que le parlement ne soit point fâché, et nous vous enverrons incessamment le petit Avertissement. Je suis bien aise de ne point parler en mon nom ; il y a toujours quelque ridicule de parler de soi.

 

          M. de Thivouville crie toujours après un cinquième acte. Vraiment j’ai bien autre chose à faire. Il faut attendre que l’inspiration vienne : malheur à qui fait des vers quand il le veut ! quiconque n’en fait pas malgré soi n’en fait que de mauvais.

 

          Permettez encore ce petit billet (2) pour Lekain ; il vous apprendra que je suis le plus grand acteur qu’il y ait en Suisse. J’ai joué, à l’âge de soixante-dix ans, Gengis-kan avec un applaudissement universel. Nous avions parmi les spectateurs une espèce de kalmouk qui disait que je ressemblais à Gengis-kan, comme deux gouttes d’eau, et que j’avais le geste tout à fait tartare ; madame Denis jouait encore mieux que moi, s’il est possible.

 

          Je prends toujours la liberté de vous adresser des paquets pour frère Damilaville. Il y a des choses concernant mes petites affaires, des mémoires pour mon notaire et pour mon procureur. Je suis forcé de prendre ce tour, parce que M. Mariette, l’avocat des Calas, n’a pas reçu une lettre de change que je lui ai envoyée avec un mémoire imprimé. L’imprimé a été saisi, et la lettre de change avec lui. On ne sait plus comment faire ; on coupe les vivres à l’âme, comme on coupe les bourses.

 

          Vous n’aurez point de tragédie nouvelle par cette poste ; vous n’aurez pas même le changement pour la tragédie des roués, parce qu’il vaut mieux que je vous la renvoie avec toutes les corrections que j’aurai imaginées, et avec celles que vous m’aurez indiquées.

 

          Respect et tendresse, et pardon pour les paquets.

 

 

1 – Traduction anglaise par Nugent. (G.A.)

2 – On n’a pas ce billet. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

8 Auguste 1763.

 

 

          Je vous prie, mon cher frère, de lire le nouveau mémoire ci-joint, et de vouloir bien le faire passer à M. Mariette.

 

          Vous avez dû recevoir une petite plainte de moi contre le receveur de notre vingtième, qui demeure à Belley, à quinze lieues de chez nous, et qui veut que nous lui envoyions un exprès pour le payer. Le directeur des vingtièmes du pays m’est venu voir, et s’est chargé d’accommoder l’affaire. Il se trouve que ce directeur est précisément M. de Marinval, à qui vous avez disputé ce que vous n’avez eu ni l’un ni l’autre.

 

          Je n’ai point vu la lettre que Jean-Jacques a écrite à Paris, dans laquelle ce fou traite les philosophes aussi mal que les prêtres, afin qu’il ne lui reste aucun ami sur la terre.

 

          J’ai lu les Quatre Saisons du cardinal de Bernis. Il y a la valeur de vingt-quatre saisons au moins. Les campagnes que j’habite ne sont pas si fertiles, il s’en faut de beaucoup. Quelle terrible profusion de vers !

 

          Je prie mon cher frère de me mander s’il a reçu des paquets par M. d’Argental. La poste est une belle invention, mais il faut un peu de fidélité et même d’indulgence.

 

          Je prie mon cher frère de m’envoyer sur-le-champ la lettre de Jean-Jacques (1), s’il en a une copie. N’est-ce pas une lettre à M. le duc de Luxembourg, qui tient seize pages ? On dit qu’elle a été lue de M. le dauphin.

 

          Ma tendre bénédiction à tous les frères. Ecr. l’inf…

 

 

1 – M. Beuchot croit qu’il s’agit d’une Lettre de J.J. Rousseau, de Genève, qui contient sa renonciation à la société et ses derniers adieux aux hommes. Cette lettre avait été fabriquée par de Lacroix, avocat de Toulouse. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Pigalle.

 

De Ferney, 10 auguste.

 

 

          Il y a longtemps, monsieur, que j’ai admiré vos chefs-d’œuvre (1), qui décorent un palais du roi de Prusse, et qui devraient embellir la France. La statue dont vous ornez la ville de Reims me paraît digne de vous ; mais je peux vous assurer qu’il vous est beaucoup plus aisé de faire un beau monument, qu’à moi de faire une inscription. La langue française n’entend rien au style lapidaire. Je voudrais dire à la fois quelque chose de flatteur pour le roi et pour la ville de Reims ; je voudrais que cette inscription ne contînt que deux vers ; je voudrais que ces deux vers plussent au roi et aux Champenois ; je désespère d’en venir à bout.

 

          Voyez si vous serez content de ceux-ci :

 

Peuple fidèle et juste, et digne d’un tel maître,

L’un par l’autre chéri, vous méritez de l’être.

 

          Il me paraît que, du moins, ni le roi ni les Rémois ne doivent se fâcher. Si vous trouvez quelque meilleure inscription, employez-la. Je ne suis jaloux de rien ; mais je disputerai à tout le monde le plaisir de sentir tout ce que vous valez.

 

          J’ai l’honneur d’être, avec tous les sentiments que vous méritez, etc.

 

 

1 – Les statues de Mercure et de Vénus. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

De Ferney, 10 auguste.

 

 

          Frère, vous m’avez donné une terrible commission. Notre langage gaulois n’est point fait pour les inscriptions. Quand vous voudrez du style lapidaire, commencez par retrancher les verbes auxiliaires et les articles. J’essaie pourtant de louer le roi et messieurs de Reims en deux vers, sans article et sans verbe avoir. Le roi est un bon prince, les Rémois sont de bons sujets, et il me paraît juste de dire un petit mot de ceux qui font la dépense de la statue :

 

Peuple fidèle et juste, et digne d’un tel maître,

L’un par l’autre chéri, vous méritez de l’être.

 

          Si on ne veut pas de ce petit disticon, qu’on se couche auprès, car je n’en ferai pas d’autre.

 

          Je suis très fâché que vous ne soyez pas voisin de mon autre frère (1) ; mais je me flatte que vous le voyez souvent.

 

          Il y a une profusion de poésie dans les Quatre Saisons qui fait grand plaisir aux gens du métier.

 

          Je n’ai nulle nouvelle de Protagoras. J’ai lu les Richesses de l’Etat. On aurait beau faire cent volumes de cette espèce, ils ne produiraient pas un sou au roi. Ce petit roman de finance n’est point pris du tout de la Dîme, attribuée au maréchal de Vauban, laquelle n’est point de ce maréchal, mais d’un Normand nommé La Guilletière (2), autant qu’il peut m’en souvenir.

 

          Il faut absolument que frère Marmontel soit de l’Académie, en attendant frère Diderot. Je voudrais les recevoir tous les deux, et puis m’enfuir dans mes  montagnes. Tâchez, pour Dieu, de me faire avoir cette lettre extravagante de Jean-Jacques. Frère, je vous embrasse tendrement.

 

 

1 – Damilaville. (G.A.)

2 – Voltaire veut dire Boisguillebert. On sait que la Dîme royale est bien de Vauban. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

à M. Balaidier.

 

10 auguste.

 

 

          Monsieur Balaidier est prié de s’informer si M. de Divone a la dîme entière de sa terre, et de nous en instruire ; je lui serai obligé.

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

10 auguste.

 

 

          Mon cher frère, si vous avez du loisir, jetez un coup d’œil sur tout ce que je vous envoie, et daignez le faire dépêcher à son adresse. Je trouve cette façon plus sûre.

 

          Je vois, Dieu soit loué ! que le paquet où était la lettre de change n’a point été perdu. On a eu plus de pitié de nous que je ne croyais.

 

          Si vous pouvez m’envoyer cette lettre de Jean-Jacques qui fait tant de bruit, je vous aurai une extrême obligation.

 

          Je compte que vous recevrez incessamment des mémoires concernant nos vingtièmes.

 

          Buvez à ma santé avec frère Platon, et écr. L’inf…

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

12 auguste.

 

 

          Je commence par dire à M. le ministre du vingtième que M. Marinval ou Morinval, directeur de Lyon, a payé pour moi mes trois vingtièmes pour toute l’année 1763, quoique je ne dusse en payer la moitié qu’au mois de septembre prochain ; mais j’aime à m’acquitter de bonne heure de mes petits devoirs de bon citoyen et de bon sujet ; c’est ainsi que sont faits les véritables philosophes.

 

          Je me flatte qu’on ne trouvera pas mauvais que je vous envoie le gros paquet ci-joint pour le conseil : le tout s’adresse à M. Mariette. C’est une affaire très importante, pour laquelle même je vous supplie, mon cher frère, d’encourager le zèle que M. Mariette veut bien me témoigner.

 

          Je bénis Dieu de ce que vous avez reçu tous nos paquets. Vous avez eu la bonté en dernier lieu de m’envoyer les lettres patentes du roi pour des échanges de terre. Je mande à M. Mariette qu’il me manque deux pièces essentielles, qui sont la grosse de mon contrat d’échange et la permission de l’évêque. J’avais envoyé ces deux pièces : elles doivent être ou dans les bureaux de M. de Saint-Florentin, ou chez M. Mariette.

 

          Quant aux autres pièces plus importantes, j’espère en faire tenir à mon frère dès qu’on sera revenu de Compiègne.

 

          Je l’ai déjà supplié de me faire tenir le Radoteur ou le Radotage (1) ; on dit que c’est un bon ouvrage, qui a été fait sous les yeux de M. le contrôleur-général. Je vous avoue que je crois que les ministres en savent toujours plus que moi ; je pourrais leur dire seulement ce que Despréaux disait au roi : Sire, je me connais mieux en vers que votre majesté.

 

          J’ai demandé aussi à frère Thieriot la lettre de Jean-Jacques, qui a fait, dit-on, quelque bruit à Paris.

 

          Est-ce que mon frère connaît le conseiller Nigon ? C’est une chose bien extraordinaire qu’un Savoyard (2) sans éducation ait si bien ramoné la cheminée des cagots.

 

          Il me paraît que M. de Forbonnais avait fait autrefois un fort bon livre de finance ; mais, comme dit François : Magis magnos clericos non sunt magis magnos sapientes.

 

          Le présomptueux (3), l’ambitieux, mauvais sujets de comédie. Ecr. l’inf…

 

 

1 – Entendons-nous, ou Radotage d’un vieux notaire sur la richesse de l’Etat ; brochure de J.-N. Moreau. (G.A.)

2 – Voyez la lettre du 12 Juillet à Damilaville. (G.A.)

3 – Cailhava avait fait jouer, le 1er août, la Présomption à la mode, comédie. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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