ZAIRE - Partie 8

Publié le par loveVoltaire

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Z A Ї R E

 

 

 

 

 

SCÈNE V.

 

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ZAÏRE.

 

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ZAÏRE.

 

Me voilà seule, ô Dieu ! que vais-je devenir ?

Dieu, commande à mon cœur de ne te point trahir !

Hélas ! suis-je en effet Française, ou Musulmane ?

Fille de Lusignan, ou femme d’Orosmane ?

Suis-je amante, ou chrétienne ? O serments que j’ai faits !

Mon père, mon pays, vous serez satisfaits !

Fatime ne vient point. Quoi ! dans ce trouble extrême

L’univers m’abandonne ! on me laisse à moi-même !

Mon cœur peut-il porter, seul et privé d’appui,

Le fardeau des devoirs qu’on m’impose aujourd’hui ?

A ta loi, Dieu puissant ! oui, mon âme est rendue ;

Mais fais que mon amant s’éloigne de ma vue.

Cher amant ! ce matin l’aurais-je pu prévoir,

Que je dusse aujourd’hui redouter de te voir ?

Moi qui, de tant de feux justement possédée,

N’avais d’autre bonheur, d’autre soin, d’autre idée,

Que de t’entretenir, d’écouter ton amour,

Te voir, te souhaiter, attendre ton retour !

Hélas ! et je t’adore, et t’aimer est un crime !

 

 

 

SCÈNE VI.

 

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ZAÏRE, OROSMANE.

 

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OROSMANE.

 

Paraissez, tout est prêt, et l’ardeur qui m’anime

Ne souffre plus, madame, aucun retardement ;

Les flambeaux de l’hymen brillent pour votre amant ;

Les parfums de l’encens remplissent la mosquée ;

Du Dieu de Mahomet la puissance invoquée

Confirme mes serments, et préside à mes feux.

Mon peuple prosterné pour vous offre ses vœux,

Tout tombe à vos genoux ; vos superbes rivales,

Qui disputaient mon cœur, et marchaient vos égales,

Heureuses de vous suivre et de vous obéir,

Devant vos volontés vont apprendre à fléchir.

Le trône, les festins, et la cérémonie,

Tout est prêt : commencez le bonheur de ma vie.

 

ZAÏRE.

 

Où suis-je, malheureuse ? ô tendresse ! ô douleur !

 

OROSMANE.

 

Venez.

 

ZAÏRE.

 

Où me cacher ?

 

OROSMANE.

 

Que dites-vous ?

 

ZAÏRE.

 

Seigneur !

 

OROSMANE.

 

Donnez-moi votre main ; daignez, belle Zaïre…

 

ZAÏRE.

 

Dieu de mon père, hélas ! que pourrai-je lui dire ?

 

OROSMANE.

 

Que j’aime à triompher de ce tendre embarras !

Qu’il redouble ma flamme et mon bonheur !

 

ZAÏRE.

 

Hélas !

 

OROSMANE.

 

Ce trouble à mes désirs vous rend encor plus chère ;

D’une vertu modeste il est le caractère.

Digne et charmant objet de ma constante foi,

Venez, ne tardez plus.

 

ZAÏRE.

 

Fatime, soutiens-moi…

Seigneur…

 

OROSMANE.

 

Oh ciel ! eh quoi !

 

ZAÏRE.

 

Seigneur, cet hyménée

Etait un bien suprême à mon âme étonnée.

Je n’ai point recherché le trône et la grandeur.

Qu’un sentiment plus juste occupait tout mon cœur !

Hélas ! j’aurais voulu qu’à vos vertus unie,

Et méprisant pour vous les trônes de l’Asie,

Seule et dans un désert, auprès de mon époux,

J’eusse pu sous mes pieds les fouler avec vous.

Mais… seigneur… ces chrétiens…

 

OROSMANE.

 

Ces chrétiens… Quoi ! madame,

Qu’auraient donc de commun cette secte et ma flamme !

 

ZAÏRE.

 

Lusignan, ce vieillard accablé de douleurs,

Termine en ces moments sa vie et ses malheurs.

 

OROSMANE.

 

Eh bien ! quel intérêt si pressant et si tendre

A ce vieillard chrétien votre cœur peut-il prendre ?

Vous n’êtes point chrétienne ; élevée en ces lieux,

Vous suivez dès longtemps la foi de mes aïeux.

Un vieillard qui succombe au poids de ses années

Peut-il troubler ici vos belles destinées ?

Cette aimable pitié, qu’il s’attire de vous,

Doit se perdre avec moi dans des moments si doux.

 

ZAÏRE.

 

Seigneur, si vous m’aimez, si je vous étais chère…

 

OROSMANE.

 

Si vous l’êtes, ah Dieu !

 

ZAÏRE.

 

Souffrez que l’on diffère…

Permettez que ces nœuds par vos mains assemblés…

 

OROSMANE.

 

Que dites-vous ! ô ciel ! est-ce vous qui parlez !

Zaïre !

 

ZAÏRE.

 

Je ne puis soutenir sa colère.

 

OROSMANE.

 

Zaïre !

 

ZAÏRE.

 

Il m’est affreux, seigneur, de vous déplaire ;

Excusez ma douleur… Non, j’oublie à la fois

Et tout ce que je suis, et tout ce que je dois.

Je ne puis soutenir cet aspect qui me tue,

Je ne puis… Ah ! souffrez que loin de votre vue,

Seigneur, j’aille cacher mes larmes, mes ennuis,

Mes vœux, mon désespoir, et l’horreur où je suis.

 

(Elle sort.)

 

 

SCÈNE VII.

 

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OROSMANE, CORASMIN.

 

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OROSMANE.

 

Je demeure immobile, et ma langue glacée

Se refuse aux transports de mon âme offensée.

Est-ce à moi que l’on parle ? Ai-je bien entendu ?

Est-ce moi qu’elle fuit ? O ciel ! et qu’ai-je vu ?

Corasmin, quel est donc ce changement extrême ?

Je la laisse échapper ! Je m’ignore moi-même.

 

CORASMIN.

 

Vous seul causez son trouble, et vous vous en plaignez !

Vous accusez, seigneur, un cœur où vous régnez !

 

OROSMANE.

 

Mais pourquoi donc ces pleurs, ces regrets, cette fuite…

Cette douleur si sombre en ses regards écrite ?

Si c’était ce Français ! quel soupçon ! quelle horreur !

Quelle lumière affreuse a passé dans mon cœur !

Hélas : je repoussais ma juste défiance :

Un barbare, un esclave aurait cette insolence !

Cher ami, je verrais un cœur comme le mien

Réduit à redouter un esclave chrétien !

Mais, parle ; tu pouvais observer son visage,

Tu pouvais de ses yeux entendre le langage ;

Ne me déguise rien, mes feux sont-ils trahis ?

Apprends-moi mon malheur… Tu trembles… tu frémis…

C’en est assez.

 

CORASMIN.

 

Je crains d’irriter vos alarmes.

Il est vrai que ses yeux ont versé quelques larmes ;

Mais, seigneur, après tout, je n’ai rien observé

Qui doive…

 

OROSMANE.

 

A cet affront je serais réservé !

Non, si Zaïre, ami, m’avait fait cette offense,

Elle eût avec plus d’art trompé ma confiance.

Le déplaisir secret de son cœur agité,

Si ce cœur est perfide, aurait-il éclaté ?

Ecoute, garde-toi de soupçonner Zaïre.

Mais, dis-tu, ce Français gémit, pleure, soupire :

Que m’importe après tout le sujet de ses pleurs ?

Qui sait si l’amour même entre dans ses douleurs ?

Et qu’ai-je à redouter d’un esclave infidèle,

Qui demain pour jamais va se séparer d’elle ?

 

CORASMIN.

 

N’avez-vous pas, seigneur, permis, malgré nos lois,

Qu’il jouît de sa vue une seconde fois ?

Qu’il revînt en ces lieux ?

 

OROSMANE.

 

Qu’il revînt, lui, ce traître ?

Qu’aux yeux de ma maîtresse il osât reparaître ?

Oui, je le lui rendrais, mais mourant, mais puni,

Mais versant à ses yeux le sang qui m’a trahi,

Déchiré devant elle ; et ma main dégouttante

Confondrait dans son sang le sang de son amante…

Excuse les transports de ce cœur offensé ;

Il est né violence, il aime, il est blessé.

Je connais mes fureurs, et je crains ma faiblesse ;

A des troubles honteux je sens que je m’abaisse.

Non, c’est trop sur Zaïre arrêter un soupçon ;

Non, son cœur n’est point fait pour une trahison.

Mais ne crois pas non plus que le mien s’avilisse

A souffrir des rigueurs, à gémir d’un caprice,

A me plaindre, à reprendre, à redonner ma foi :

Les éclaircissements sont indignes de moi.

Il vaut mieux sur mes sens reprendre un juste empire ;

Il vaut mieux oublier jusqu’au nom de Zaïre.

Allons, que le sérail soit fermé pour jamais ;

Que la terreur habite aux portes du palais ;

Que tout ressente ici le frein de l’esclavage.

Des rois de l’Orient suivons l’antique usage.

On peut, pour son esclave oubliant sa fierté,

Laisser tomber sur elle un regard de bonté ;

Mais il est trop honteux de craindre une maîtresse ;

Aux mœurs de l’Occident laissons cette bassesse.

Ce sexe dangereux, qui veut tout asservir,

S’il règne dans l’Europe, ici doit obéir.

 

 

ZAIRE- Acte troisième - Partie 2

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