ZAIRE - Partie 9
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Z A Ї R E
ACTE QUATRIÈME.
SCÈNE I.
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ZAÏRE, FATIME.
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FATIME.
Que je vous plains, madame, et que je vous admire !
C’est le dieu des chrétiens, c’est Dieu qui vous inspire ;
Il donnera la force à vos bras languissants,
De briser des liens si chers et si puissants.
ZAÏRE.
Eh ! pourrai-je achever ce fatal sacrifice ?
FATIME.
Vous demandez sa grâce, il vous doit sa justice :
De votre cœur docile il doit prendre le soin.
ZAÏRE.
Jamais de son appui je n’eus tant de besoin.
FATIME.
Si vous ne voyez plus votre auguste famille,
Le Dieu que vous servez vous adopte pour fille ;
Vous êtes dans ses bras, il parle à votre cœur ;
Et quand ce saint pontife, organe du Seigneur,
Ne pourrait aborder dans ce palais profane…
ZAÏRE.
Ah ! j’ai porté la mort dans le sein d’Orosmane.
J’ai pu désespérer le cœur de mon amant !
Quel outrage, Fatime, et quel affreux moment !
Mon Dieu, vous l’ordonnez, j’eusse été trop heureuse.
FATIME.
Quoi ! regretter encor cette chaîne honteuse :
Hasarder la victoire, ayant tant combattu !
ZAÏRE.
Victoire infortunée ! inhumaine vertu !
Non, tu ne connais pas ce que je sacrifie.
Cet amour si puissant, ce charme de ma vie,
Dont j’espérais, hélas ! tant de félicité,
Dans toute son ardeur n’avait point éclaté.
Fatime, j’offre à Dieu mes blessures cruelles,
Je mouille devant lui de larmes criminelles
Ces lieux où tu m’as dit qu’il choisit son séjour ;
Je lui crie en pleurant : Ote-moi mon amour,
Arrache-moi mes vœux, remplis-moi de toi-même ;
Mais, Fatime, à l’instant les traits de ce que j’aime,
Ces traits chers et charmants, que toujours je revoi,
Se montrent dans mon âme entre le ciel et moi.
Et bien ! race des rois, dont le ciel me fit naître,
Vous qui de mon amant me privez aujourd’hui,
Terminez donc mes jours, qui ne sont plus pour lui !
Que j’expire innocente, et qu’une main si chère
De ces yeux qu’il aimait ferme au moins la paupière !
Ah ! que fait Orosmane ? il ne s’informe pas
Si j’attends loin de lui la vie ou le trépas ;
Il me fuit, il me laisse, et je n’y peux survivre.
FATIME.
Quoi ! vous ! fille des rois que vous prétendez suivre,
Vous, dans les bras d’un Dieu, votre éternel appui…
ZAÏRE.
Eh ! pourquoi mon amant n’est-il pas né pour lui ?
Orosmane est-il fait pour être sa victime ?
Dieu pourrait-il haïr un cœur si magnanime ?
Généreux, bienfaisant, juste, plein de vertus,
S’il était né chrétien, que serait-il de plus ?
Et plût à Dieu du moins que ce saint interprète,
Ce ministre sacré que mon âme souhaite,
Du trouble où tu me vois vînt bientôt me tirer !
Je ne sais, mais enfin j’ose encore espérer
Que ce Dieu, dont cent fois on m’a peint la clémence,
Ne réprouverait point une telle alliance :
Peut-être, de Zaïre en secret adoré,
Il pardonne aux combats de ce cœur déchiré ;
Peut-être, en me laissant au trône de Syrie,
Il soutiendrait par moi les chrétiens de l’Asie.
Fatime, tu le sais, ce puissant Saladin,
Qui ravit à mon sang l’empire du Jourdain,
Qui fit comme Orosmane admirer sa clémence,
Au sein d’une chrétienne il avait pris naissance.
FATIME.
Ah ! ne voyez-vous pas que pour vous consoler…
ZAÏRE.
Laisse-moi ; je vois tout ; je meurs sans m’aveugler :
Je vois que mon pays, mon sang, tout me condamne ;
Que je suis Lusignan, que j’adore Orosmane ;
Que mes vœux, que mes jours à ses jours sont liés.
Je voudrais quelquefois me jeter à ses pieds,
De tout ce que je suis faire un aveu sincère.
FATIME.
Songez que cet aveu peut perdre votre frère,
Expose les chrétiens qui n’ont que vous d’appui,
Et va trahir le Dieu qui vous rappelle à lui.
ZAÏRE.
Ah ! si tu connaissais le grand cœur d’Orosmane !
FATIME.
Il est le protecteur de la loi musulmane,
Et plus il vous adore, et moins il peut souffrir
Qu’ont vous ose annoncer un Dieu qu’il doit haïr.
Le pontife à vos yeux en secret va se rendre,
Et vous avez promis…
ZAÏRE.
Et bien ! il faut l’attendre.
J’ai promis, j’ai juré de garder ce secret :
Hélas ! qu’à mon amant je le tais à regret !
Et pour comble d’horreur je ne suis plus aimée.
SCÈNE II.
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OROSMANE, ZAÏRE.
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OROSMANE.
Madame, il fut un temps où mon âme charmée,
Ecoutant sans rougir des sentiments trop chers,
Se fit une vertu de languir dans vos fers.
Je croyais être aimé, madame, et votre maître,
Soupirant à vos pieds, devait s’attendre à l’être :
Vous ne m’entendrez point, amant faible et jaloux,
En reproches honteux éclater contre vous ;
Cruellement blessé, mais trop fier pour me plaindre,
Trop généreux, trop grand pour m’abaisser à feindre,
Je viens vous déclarer que le plus froid mépris
De vos caprices vains sera le digne prix.
Ne vous préparez point à tromper ma tendresse,
A chercher des raisons dont la flatteuse adresse,
A mes yeux éblouis colorant vos refus,
Vous ramène un amant qui ne vous connaît plus ;
Et qui, craignant surtout qu’à rougir on l’expose,
D’un refus outrageant veut ignorer la cause.
Madame, c’en est fait, une autre va monter
Au rang que mon amour vous daignait présenter ;
Une autre aura des yeux, et va du moins connaître
De quel prix mon amour et ma main devaient être.
Il pourra m’en coûter, mais mon cœur s’y résout.
Apprenez qu’Orosmane est capable de tout,
Que j’aime mieux vous perdre, et, loin de votre vue,
Mourir désespéré de vous avoir perdue
Que de vous posséder, s’il faut qu’à votre foi
Il en coûte un soupir qui ne soit pas pour moi.
Allez, mes yeux jamais ne reverront vos charmes.
ZAÏRE.
Tu m’as donc tout ravi, Dieu témoin de mes larmes !
Tu veux commander seul à mes sens éperdus…
Eh bien ! puisqu’il est vrai que vous ne m’aimez plus,
Seigneur…
OROSMANE.
Il est trop vrai que l’honneur me l’ordonne,
Que je vous adorai, que je vous abandonne,
Que je renonce à vous, que vous le désirez,
Que sous une autre loi… Zaïre, vous pleurez ? (1)
ZAÏRE.
Ah ! seigneur ! ah ! du moins, gardez de jamais croire
Que du rang d’un soudan je regrette la gloire ;
Je sais qu’il faut vous perdre, et mon sort l’a voulu :
Mais, seigneur, mais mon cœur ne vous est pas connu.
Me punisse à jamais ce ciel qui me condamne,
Si je regrette rien que le cœur d’Orosmane !
OROSMANE.
Zaïre, vous m’aimez !
ZAÏRE.
Dieu ! si je l’aime, hélas !
OROSMANE.
Quel caprice étonnant, que je ne conçois pas !
Vous m’aimez ! eh ! pourquoi vous forcez-vous, cruelle,
A déchirer le cœur d’un amant si fidèle ?
Je me connaissais mal ; oui, dans mon désespoir,
J’avais cru sur moi-même avoir plus de pouvoir.
Va, mon cœur est bien loin d’un pouvoir si funeste.
Zaïre, que jamais la vengeance céleste
Ne donne à ton amant, enchaîné sous ta loi,
La force d’oublier l’amour qu’il a pour toi !
Qui, moi, que sur mon trône une autre fût placée !
Non, je n’en eus jamais la fatale pensée.
Pardonne à mon courroux, à mes sens interdits,
Ces dédains affectés, et si bien démentis ;
C’est le seul déplaisir que jamais, dans ta vie,
Le ciel aura voulu que ta tendresse essuie.
Je t’aimerai toujours… Mais d’où vient que ton cœur,
En partageant mes feux, différait mon bonheur ?
Parle. Etait-ce un caprice ? est-ce crainte d’un maître,
D’un soudan, qui pour toi veut renoncer à l’être ?
Serait-ce un artifice ? épargne-toi ce soin ;
L’art n’est pas fait pour toi, tu n’en as pas besoin :!
Qu’il ne souille jamais le saint nœud qui nous lie ?
L’art le plus innocent tient de la perfidie.
Je n’en connus jamais, et mes sens déchirés,
Pleins d’un amour si vrai…
ZAÏRE.
Vous me désespérez.
Vous m’êtes cher, sans doute, et ma tendresse extrême
Est le comble des maux pour ce cœur qui vous aime.
OROSMANE.
O ciel ! expliquez-vous. Quoi ! toujours me troubler ?
Se peut-il ?...
ZAÏRE.
Dieu puissant, que ne puis-je parler ?
OROSMANE.
Quel étrange secret me cachez-vous, Zaïre ?
Est-il quelque chrétien qui contre moi conspire ?
Me trahit-on ? parlez.
ZAÏRE.
Eh ! peut-on vous trahir ?
Seigneur, entre eux et vous vous me verriez courir :
On ne vous trahit point, pour vous rien n’est à craindre ;
Mon malheur est pour moi, je suis la seule à plaindre.
OROSMANE.
Vous, à plaindre ! grand Dieu !
ZAÏRE.
Souffrez qu’à vos genoux
Je demande en tremblant une grâce de vous.
OROSMANE.
Une grâce ! ordonnez et demandez ma vie.
ZAÏRE.
Plût au ciel qu’à vos jours la mienne fût unie !
Orosmane… seigneur… permettez qu’aujourd’hui,
Seule, loin de vous-même, et toute à mon ennui,
D’un œil plus recueilli contemplant ma fortune,
Je cache à votre oreille une plainte importune…
Demain, tous mes secrets vous seront révélés.
OROSMANE.
De quelle inquiétude, ô ciel, vous m’accablez :
Pouvez-vous ? …
ZAÏRE.
Si pour moi l’amour vous parle encore,
Ne me refusez pas la grâce que j’implore.
OROSMANE.
Eh bien ! il faut vouloir tout ce que vous voulez ;
J’y consens ; il en coûte à mes sens désolés.
Allez, souvenez-vous que je vous sacrifie
Les moments les plus beaux, les plus chers de ma vie.
ZAÏRE.
En me parlant ainsi, vous me percez le cœur.
OROSMANE.
Eh bien ! vous me quittez, Zaïre ?
ZAÏRE.
Hélas ! seigneur.
SCÈNE III.
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OROSMANE, CORASMIN.
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OROSMANE.
Ah ! c’est trop tôt chercher ce solitaire asile,
C’est trop tôt abuser de ma bonté facile ;
Et plus j’y pense, ami, moins je puis concevoir
Le sujet si caché de tant de désespoir. (2)
Quoi donc ! par ma tendresse élevée à l’empire,
Dans le sein du bonheur que son âme désire,
Près d’un amant qu’elle aime, et qui brûle à ses pieds,
Ses yeux, remplis d’amour, de larmes sont noyés !
Je suis bien indigné de voir tant de caprices.
Mais moi-même, après tout, eus-je moins d’injustices ?
Ai-je été moins coupable à ses yeux offensés ?
Est-ce à moi de me plaindre ? on m’aime, c’est assez.
Il me faut expier, par un peu d’indulgence,
De mes transports jaloux l’injurieuse offense.
Je me rends : je le vois, son cœur est sans détours ;
La nature naïve anime ses discours.
Elle est dans l’âge heureux où règne l’innocence ;
A sa sincérité je dois ma confiance.
Elle m’aime sans doute ; oui, j’ai lu devant toi,
Dans ses yeux attendris, l’amour qu’elle a pour moi ;
Et son âme, éprouvant cette ardeur qui me touche,
Vingt fois pour me le dire a volé sur sa bouche.
Qui peut avoir un cœur assez traitre, assez bas,
Pour montrer tant d’amour, et ne le sentir pas ?
SCÈNE IV.
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OROSMANE, MÉLÉDOR.
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MÉLÉDOR.
Cette lettre, seigneur, à Zaïre adressée,
Par vos gardes saisie, et dans mes mains laissée…
OROSMANE.
Donne… Qui la portait ? … Donne.
MÉLÉDOR.
Un de ces chrétiens
Dont vos bontés, seigneur, ont brisé les liens :
Au sérail, en secret, il allait s’introduire ;
On l’a mis dans les fers.
OROSMANE.
Hélas ! que vais-je lire ?
Laisse-nous… Je frémis.