THEÂTRE : LE DROIT DU SEIGNEUR - Partie 8

Publié le par loveVoltaire

LE-DROIT-DU-SEIGNEUR---8.jpg

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

LE DROIT DU SEIGNEUR.

 

 

 

 

 

______

 

 

 

ACTE DEUXIÈME.

 

 

SCÈNE VI.

 

_______

 

 

LE CHEVALIER, CHAMPAGNE.

 

 

_______

 

 

 

CHAMPAGNE.

 

Vous êtes fin, monsieur le chevalier ;

Très à propos vous venez le premier.

Dans tous vos faits votre beau talent brille ;

Vous vous doutez qu’on marie une fille ;

Acanthe est belle, au moins.

 

LE CHEVALIER.

 

Eh ! oui, vraiment,

Je la connais ; j’apprends en arrivant

Que Mathurin se donne l’insolence

De s’appliquer ce bijou d’importance ;

Mon bon destin nous a fait accourir

Pour y mettre ordre ; il ne faut pas souffrir

Qu’un riche rustre ait les tendres prémices

D’une beauté qui ferait les délices

Des plus huppés et des plus délicats.

Pour le marquis, il ne se hâte pas :

C’est, je l’avoue, un grave personnage,

Pressé de rien, bien compassé, bien sage,

Et voyageant comme un ambassadeur.

Parbleu ! jouons un tour à sa lenteur :

Tiens, il me vient une bonne pensée,

C’est d’enlever presto la fiancée,

De la conduire en quelque vieux château,

Quelque masure.

 

CHAMPAGNE.

 

Oui, le projet est beau.

 

LE CHEVALIER.

 

Un vieux château, vers la forêt prochaine,

Tout délabré, que possède Dormène,

Avec sa vieille…

 

CHAMPAGNE.

 

Oui, c’est Laure, je crois.

 

LE CHEVALIER.

 

Oui.

 

CHAMPAGNE.

 

Cette vieille était jeune autrefois ;

Je m’en souviens, votre étourdi de père

Eut avec elle une certaine affaire,

Où chacun d’eux fit un mauvais marché.

Ma foi ! c’était un maître débauché,

Tout comme vous, buvant, aimant les belles,

Les enlevant, et puis se moquant d’elles.

Il mangea tout, et ne vous laissa rien.

 

LE CHEVALIER.

 

J’ai le marquis, et c’est avoir du bien ;

Sans nul souci je vis de ses largesses.

Je n’aime point l’embarras des richesses :

Est riche assez qui sait toujours jouir.

Le premier bien, crois-moi, c’est le plaisir.

 

CHAMPAGNE.

 

Eh ! que ne prenez-vous cette Dormène ?

Bien plus qu’Acanthe elle en vaudrait la peine ;

Elle est très fraîche, elle est de qualité ;

Cela convient à votre dignité :

Laissez pour nous les filles du village.

 

LE CHEVALIER.

 

Vraiment Dormène est un très doux partage,

C’est très bien dit. Je crois que j’eus un jour,

S’il m’en souvient, pour elle un peu d’amour,

Mais, entre nous, elle sent trop sa dame ;

On ne pourrait en faire que sa femme.

Elle est bien pauvre, et je le suis aussi ;

Et pour l’hymen j’ai fort peu de souci.

Mon cher Champagne, il me faut une Acanthe,

Cette conquête est beaucoup plus plaisante :

Oui, cette Acanthe aujourd’hui m’a piqué.

Je me sentis, l’an passé, provoqué

Par ses refus, par sa petite mine.

J’aime à dompter cette pudeur mutine.

J’ai deux coquins, qui font trois avec toi,

Déterminés, alertes comme moi ;

Nous tiendrons prêt à cent pas un carrosse,

Et nous fondrons tous quatre sur la noce.

Cela sera plaisant ; j’en ris déjà.

 

CHAMPAGNE.

 

Mais croyez-vous que monseigneur rira ?

 

LE CHEVALIER.

 

Il faudra bien qu’il rie, et que Dormène

En rie encor, quoique prude et hautaine,

Et je prétends que Laure en rie aussi.

Je viens de voir, à cinq cents pas d’ici,

Dormène et Laure, en très mince équipage,

Qui s’en allaient vers le prochain village,

Chez quelque vieille : il faut prendre ce temps.

 

CHAMPAGNE.

 

C’est bien pensé ; mais vos déportements

Sont dangereux, je crois, pour ma personne.

 

LE CHEVALIER.

 

Bon ! l’on se fâche, on s’apaise, on pardonne.

Tous les gens gais ont le don merveilleux

De mettre en train tous les gens sérieux.

 

CHAMPAGNE.

 

Fort bien.

 

LE CHEVALIER.

 

L’esprit le plus atrabilaire

Est subjugué quand on cherche à lui plaire.

On s’épouvante, on crie, on fuit d’abord,

Et puis l’on soupe, et puis l’on est d’accord.

 

CHAMPAGNE.

 

On ne peut mieux ; mais votre belle Acanthe

Est bien revêche.

 

LE CHEVALIER.

 

Et c’est ce qui m’enchante.

La résistance est un charme de plus ;

Et j’aime assez une heure de refus.

Comment souffrir la stupide innocence

D’un sot tendron faisant la révérence,

Baissant les yeux, muette à mon aspect,

Et recevant mes faveurs par respect ?

Mon cher Champagne, à mon dernier voyage,

D’Acanthe ici j’éprouvai le courage.

Va, sous mes lois je la ferai plier.

Rentre pour moi dans ton premier métier,

Sois mon trompette, et sonne les alarmes ;

Point de quartier, marchons, alerte, aux armes,

Vite.

 

CHAMPAGNE.

 

Je crois que nous sommes trahis ;

C’est du secours qui vient aux ennemis :

J’entends grand bruit, c’est monseigneur.

 

LE CHEVALIER.

 

N’importe.

Sois prêt ce soir à me servir d’escorte.

 

 

 

 

 

LE DROIT DU SEIGNEUR - 8

 

Publié dans Le Droit du Seigneur

Commenter cet article