THEÂTRE : LE DROIT DU SEIGNEUR - Partie 14

Publié le par loveVoltaire

LE-DROIT-DU-SEIGNEUR---14.jpg

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

LE DROIT DU SEIGNEUR.

 

 

 

 

 

______

 

 

 

ACTE TROISIÈME.

 

 

SCÈNE X.

 

_______

 

 

LE MARQUIS, sur le devant ; DIGNANT, au fond.

 

_______

 

 

LE MARQUIS.

 

Je vois d’où part l’attentat qui m’afflige ;

Le chevalier m’avait presque promis

De se porter à des coups si hardis.

Il croit au fond que cette gentillesse

Est pardonnable au feu de sa jeunesse :

Il ne sait pas combien j’en suis choqué.

A quel excès ce fou-là m’a manqué !

Jusqu’à quel point son procédé m’offense !

Il déshonore, il trahit l’innocence :

Voilà le prix de mon affection

Pour un parent indigne de mon nom !

Il est pétri des vices de son père ;

Il a ses traits, ses mœurs, son caractère ;

Il périra malheureux comme lui.

Je le renonce, et je veux qu’aujourd’hui

Il soit puni de tant d’extravagance.

 

DIGNANT.

 

Puis-je en tremblant prendre ici la licence

De vous parler ?

 

LE MARQUIS.

 

Sans doute, tu le peux :

Parle-moi d’elle.

 

DIGNANT.

 

Au transport douloureux

Où votre cœur devant moi s’abandonne,

Je ne reconnais plus votre personne.

Vous avez lu ce qu’on vous a porté,

Ce gros paquet qu’on vous a présenté ?

 

LE MARQUIS.

 

Eh ! mon ami, suis-je en état de lire ?

 

DIGNANT.

 

Vous me faites frémir.

 

LE MARQUIS.

 

Que veux-tu dire ?

 

DIGNANT.

 

Quoi ! ce paquet n’est pas encore ouvert ?

 

LE MARQUIS.

 

Non.

 

DIGNANT.

 

Juste ciel ! ce dernier coup me perd.

 

LE MARQUIS.

 

Comment  ? … J’ai cru que c’était un mémoire

De mes forêts.

 

DIGNANT.

 

Hélas ! vous deviez croire

Que cet écrit était intéressant.

 

LE MARQUIS.

 

Eh ! lisons vite… Une table à l’instant ;

Approchez donc cette table.

 

DIGNANT.

 

Ah ? mon maître !

Qu’aura-t-on fait, et qu’allez-vous connaître ?

 

LE MARQUIS, assis, examine le paquet.

 

Mais ce paquet, qui n’est pas à mon nom,

Est cacheté des sceaux de ma maison ?

 

DIGNANT.

 

Oui.

 

LE MARQUIS.

 

Lisons donc.

 

DIGNANT.

 

 Cet étrange mystère,

En d’autres temps aurait de quoi vous plaire ;

Mais à présent il devient bien affreux.

 

LE MARQUIS, lisant.

 

Je ne vois rien jusqu’ici que d’heureux…

Je vois d’abord que le ciel la fit naître

D’un sang illustre… et cela devait être.

Oui, plus je lis, plus je bénis les cieux…

Quoi ! Laure a mis ce dépôt précieux

Entre vos mains ? Quoi ! Laure est donc sa mère ?

 

DIGNANT.

 

Oui.

 

LE MARQUIS.

 

Mais pourquoi lui serviez-vous de père ?

Indignement pourquoi la marier ?

 

DIGNANT.

 

J’en avais l’ordre ; et j’ai dû vous prier

En sa faveur… Sa mère infortunée

A l’indigence était abandonnée,

Ne subsistant que des nobles secours

Que par mes mains vous versiez tous les jours.

 

LE MARQUIS.

 

Il est trop vrai : je sais bien que mon père

Fut envers elle autrefois trop sévère…

Quel souvenir !... Que souvent nous voyons

D’affreux secrets dans d’illustres maisons (1) !...

Je le savais : le père de Gernance

De Laure, hélas ! séduisit l’innocence ;

Et mes parents, par un zèle inhumain,

Avaient puni cet hymen clandestin.

Je lis, je tremble. Ah ! douleur trop amère !

Mon cher ami, quoi ! Gernance est son frère !

 

DIGNANT.

 

Tout est connu.

 

LE MARQUIS.

 

Quoi ! c’est lui que je vois !

Ah ! ce sera pour la dernière fois…

Sachons dompter le courroux qui m’anime.

Il semble, ô ciel ! qu’il connaisse son crime !

Que dans ses yeux je lis d’égarement !

Ah ! l’on n’est pas coupable impunément.

Comme il rougit, comme il palît… le traître !

A mes regards il tremble de paraître.

C’est quelque chose.

 

 

LE DROIT DU SEIGNEUR - 14

 

 

1 – Voilà des vers qui prêtaient à bien des allusions. (G.A.)

Publié dans Le Droit du Seigneur

Commenter cet article